27.4.12
Bernard Delvaille en 1995
Lecture du (très beau) Journal de Bernard Delvaille dont les trois tomes ont été publiés en 2001 aux éditions de La Table Ronde. Le 2 octobre 1974, il évoque une rencontre avec Philippe Soupault :
"Déjeuné avec Philippe Soupault dans un restaurant de l'avenue de la Tour-Maubourg. Il aime bien le vin blanc et fume des cigarettes anglaises. Il a conservé une prodigieuse mémoire, bourrée d'anecdotes. Il me parle tour à tour de Rigaut et de Crevel, d'Apollinaire et d'Aragon. Je l'interroge sur la rédaction des Champs magnétiques et sur sa découverte des Chants de Maldoror, dans une librairie de médecine rue Monsieur-le-Prince, je crois, tout à fait par hasard. Nous décidons de faire une série d'entretiens radiophoniques sur son oeuvre personnelle et sur le surréalisme. Il est grand; son chapeau mou est cabossé; il ne se sépare pas de son parapluie."
On peut entendre des extraits de ces entretiens dans le documentaire "Portrait au revolver, Jacques Rigaut" de Stéphane Bonnefoi diffusé sur France Culture le 24 avril dernier. Le podcast du documentaire est disponible quelques jours sur le site de la radio, mais également à l'écoute en streaming durant 500 jours!
9.4.12
SAVE THE DATE
Portrait au revolver, Jacques Rigaut (écrivain dadaïste, 1898-1929)
FRANCE CULTURE mardi 24 avril 2012 - 23:00
Un documentaire de Stéphane Bonnefoi, réalisé par Céline Ters
Avec Grégoire Leprince-Ringuet, Daniel Darc, Jean-Luc Bitton
Et la voix de Philippe Soupault et de Louis Malle
« Tant que je n’aurai pas surmonté le goût du plaisir,
je serai sensible au vertige du suicide, je le sais bien » - J.R.
Ceci n’est pas un portrait. Encore moins un hommage. Mais une résurrection comme un coup de feu. De ceux qui jalonnèrent la vie de l’écrivain Jacques Rigaut.
Le feu de la première guerre. L’emprise violente de Dada. Le corps à corps fugitif avec l’écriture. Le vertige du suicide.
Jacques Rigaut n’a vécu que 30 ans, mais il a laissé sur ses contemporains, et bien au-delà, un souvenir aussi entêtant que son obsession méticuleuse pour le suicide.
Maître des aphorismes, des récits sacrifiés, Rigaut a écrit comme il a vécu : sans espoir du lendemain.
A l’âge de 23 ans, il cesse de publier ses textes.
D’ailleurs, Rigaut n’a pas écrit, il a raturé sur le vif : « penser est une besogne de pauvres, une misérable revanche. Il n’y a pas 36 façons de penser ; penser, c’est considérer la mort et prendre une décision ». Une décision que Rigaut a prise depuis longtemps…
A 24 ans, Rigaut se jette contre un miroir pour tenter de faire corps avec son double. De ce fracas, naîtra Lord Patchogue : l’homme qui « criait son propre nom lorsqu’il faisait l’amour, comme pour en frapper son adversaire, comme une seconde manière de jeter sa semence ».
Le 6 novembre 1929, après une dernière nuit blanche, il se tire une balle dans le cœur. En pur dandy qu’il fût (« le plus beau et le mieux habillé de Dada », selon Man Ray – avec qui il tourna le cinépoème Emak Bakia), Rigaut a posé le canon du revolver contre son cœur, après s’être servi d’une règle pour être certain de ne pas le manquer. Il a posé un drap de caoutchouc pour ne pas abîmer le matelas, et un oreiller pour amortir le son de la détonation. Il s’agissait surtout de ne pas rater son suicide. Rigaut avait 30 ans.
« Je serai un grand mort », avait-il écrit.
Breton, Drieu la Rochelle, Soupault, Eluard, lui consacrèrent maints récits ou témoignages, jusqu’au Feu follet que Louis Malle adapta au cinéma en 1963, et qui narre les derniers jours de la vie de ce « Chamfort noir ».
Ceci n’est pas un portrait. Mais un rendez-vous programmé avec la mort.
Avec :
* Lecture des aphorismes et des écrits de Jacques Rigaut par le comédien Grégoire Leprince-Ringuet et d’Adieu à Gonzague de Drieu la Rochelle par le chanteur Daniel Darc, grand admirateur de l’écrivain.
* Bande son du film de Louis Malle
* Archives Ina de Philippe Soupault et de Louis Malle
* Visite à Jacques Rigaut au cimetière de Montmartre avec Jean-Luc Bitton, biographe de Rigaut (et de Lord Patchogue…)
6.4.12
J-14
Rigaut et Drieu devant leur maison à Guéthary
Bernard Morlino, biographe de Berl et de Soupault évoque sur son blog l'entrée des oeuvres de Drieu dans la Pléiade.
"A l’occasion de l’entrée des romans de Pierre Drieu La Rochelle dans La Pléiade, chez Gallimard. La polémique sera au rendez-vous: pour ou contre ? Par son suicide, Drieu s’est lui-même condamné. Après avoir déjà publié son Journal (1939-1945)- qui comporte plusieurs passages d’une grande bassesse - Gallimard publie une partie de l’oeuvre romanesque qui mérite qu’on s’y arrête. Une partie de Drieu m’écoeure mais je n’arrive pas à le détester totalement car on ne peut pas classer la période de l’Occupation en deux parties, avec les bons et les méchants. A la Libération, beaucoup d’écrivains se sont confectionnés une panoplie littéraire sur mesure. Loin d’être un héros, comme le trop injustement méconnu Jean Prévost, Drieu n’a pas cessé de nous livrer toutes ses contradictions. C’est néanmoins le contraire d’un imposteur. Désespéré chronique. Excessif en tout.
“Qu’on soit pour ou contre, l’entrée de Pierre Drieu La Rochelle (1893-1945) dans La Pléiade est un événement. Bien sûr, il s’agit du romancier, cet académicien du malheur. Les écrits antisémites de l’ancien pronazi sont absents de l’édition papier Bible. Ses errements politiques font encore ombrage à son œuvre. Ici, je tente un portrait de Drieu et je ne parle pas de son oeuvre romanesque alors que d’habitude je me m’en tiens pour l’essentiel au livre, mais je tiens à être juste envers Drieu. Je m’attends à ce qu’on écrive encore pas mal d’âneries à son sujet.
Et si les éditions Gallimard avaient une dette envers Drieu ? En effet, l’écrivain dirigea la NRF lors de l’épisode le plus noir de la célèbre institution, entre décembre 1940 et le printemps 1943. La présence de Drieu dans les locaux de la rue Sébastien-Bottin permit à Gaston Gallimard de faire tourner la boutique alors qu’auparavant il fut question de nommer un administrateur allemand. Le 21 juin 1940, Drieu écrit dans son Journal: “Quand à la NRF, elle va ramper à mes pieds. Cet amas de Juifs, de pédérastes, de surréalistes timides, de pions francs-maçons va se convulser misérablement". Six mois plus tard, il publiait le premier numéro de la revue où ne pouvait plus signer Benjamin Crémieux qui mourra à Buchenwald : le chroniqueur régulier de chez Gallimard n’avait jamais été un fervent de Drieu qui voyait dans l’hitlérisme un rempart pour lutter contre «les ravages que déchaîneraient un conflit final sur le sol de l’Europe entre l’Amérique et la Russie ». Le 1er janvier 1943, Drieu, directeur-gérant de la NRF, écrit dans la revue : «Je n’ai vu d’autres recours que dans le génie de Hitler». Tâche à la fois débile et indélébile. Sous son règne le sigle NRF signifiait Nouvelle Revue Fasciste… Comme il croyait que l’Allemagne nazie était en train de construire les Etats-Unis d’Europe, il misa sur la case du nazisme. Jusqu’à sa mort, Drieu ne cessa pas d’être un foyer de contradictions, égaré dans tous les courants politiques possibles, disant tout et son contraire.
A l’inverse de Gaston Gallimard qui ne fit pas la Première Guerre mondiale, Drieu est un ancien soldat de la boucherie de 1914-1918. «Si Drieu et moi n’avions pas été traumatisés par la guerre, il est évident que nous aurions consacré tout notre temps à écrire des romans au lieu de nous épuiser à trouver des solutions politiques» m’a dit son ami Emmanuel Berl avec la sincérité qui le caractérisait. Quand je l’ai questionné sur Drieu sous l’Occupation, il me confia sans l’ombre d’une hésitation : «C’est lui qui sauva la NRF ! Sans Drieu, l’empire Gallimard risquait de s’effondrer pour toujours». L’audience culturelle de la NRF était si grande que tout Paris répétait une phrase attribuée à l’ambassadeur allemand Otto Abetz : «Il y a trois puissances en France : le communisme, les grandes banques et la NRF ». La revue faisait la pluie et le beau temps dans le monde littéraire depuis sa création en 1909, sous l’impulsion d’André Gide. Drieu fut pris entre deux feux : d’un côté Gaston Gallimard avait besoin de lui pour maintenir vivante la NRF; de l’autre Otto Abetz se servait de Drieu pour diffuser la peste nazie par le biais d’une diffusion de prestige. Aux différents sommaires de la revue collaborationniste, on note les présences de : Jouhandeau, Chardonne, Ramon Fernandez, Morand, Léautaud … mais aussi de Giono, Aymé, Audiberti, Armand Robin, Henri Thomas et Fargue. Drieu fit cette remarque : «Je suis loin de croire que « Fontaine » et « Poésie 41, 42 » aient présenté des sommaires plus importants que les nôtres. (…) Toute une nouvelle génération de poètes s’est levée dans la NRF (…) Certains m’ont reproché de faire de la politique dans la revue. J’aime mieux ceux qui me haïssent pour y avoir fait une certaine politique». Présent dans la livraison de la NRF de février 1941, Paul Eluard fut, à la Libération, sans pitié pour le perdant.
Eternel insatisfait, Drieu ne se réjouit pas longtemps de prendre la place de Jean Paulhan : « La revue, la collaboration, tout cela m’embête (…) Je suis excédé par le rôle qui me faut tenir jusqu’au bout. J’ai souvent envie de me suicider tout de suite », note-t-il dans son Journal, le 17 décembre 1942. Le mois suivant, il tente un examen de conscience : « Ai-je eu tort, ai-je eu raison de me lancer dans cette petite entreprise ? J’ai certes eu tort à l’égard de moi-même (…) Le propre d’un écrivain est d’écrire et non de s’occuper de l’écriture des autres». Berl avait bien raison de dire qu’ils avaient été détournés de l’essentiel en raison de l’actualité qui devenait trop vite de l’Histoire. La NRF cessa de paraître en juin 1943 alors que Drieu s’en était déjà détournée deux mois auparavant.
La décision de pouvoir lire la prose de Drieu dans la plus prestigieuse collection Gallimard n’a pas été prise à la légère: dans un passé pas si lointain dès qu’on évoquait la pléiadisation possible de l’auteur de « Rêveuse bourgeoisie », on se ravisait aussitôt afin de ne pas heurter, par exemple, la susceptibilité d’Hervé Bazin qui espérait voir son œuvre connaître les honneurs de La Pléiade. Avec le temps, on finit par récompenser celui qui porta un temps à bout de bras la maison Gallimard. A la fin de la guerre, les écrivains du bon côté frappèrent d’interdiction la NRF mais ne réclamèrent aucune sanction contre son éditeur qui pouvait toujours éditer leurs livres. Le Comité National des Ecrivains, composé à majorité de communistes, dressa une liste noire où figurait Drieu qui se suicida le 15 mars 1945, après deux tentatives ratées: «Ma mort est un sacrifice librement consenti qui m’évitera quelques salissures, certaines faiblesses ». Berl et Malraux avaient essayé de le localiser pour l’aider, en vain. Gaston Gallimard assista aux obsèques, à Neuilly, alors que Drieu ne le souhaitait pas. L’éditeur savait ce qu’il devait au disparu sans connaître ce que confia beaucoup plus tard le lieutenant Gerhard Heller, chargé de la censure dans la France occupée: «Drieu m’a demandé de veiller à ce qu’il n’arrive jamais rien à Malraux, Paulhan, Gaston Gallimard et Aragon… » Quand la demande ne fut pas respectée, Drieu intervint pour faire libérer Jean Paulhan. Proférer des horreurs sur sa première femme, Colette Jéramec, ne l’empêcha pas de l’extirper de Drancy. Drieu n’a pas pris soin de ses proches pour plaider ensuite le double jeu. Persuadé de finir en prison ou d’être condamné à la peine capitale, le samouraï de la NRF se supprima. Sa mort violente et celle de Brasillach (fusillé) permirent à Céline, Chardonne et Jouhandeau de mourir dans leur lit.”
-Romans, récits, nouvelles
De Pierre Drieu La Rochelle
Sous la direction de Jean-François Louette, avec Julien Hervier, Hélène Baty-Delalande et Nathalie Piégay-Gros
La Pléiade, Gallimard, 1936 p., 65, 50 € jusqu’au 31/08/2012, puis 72, 50 €. MISE EN VENTE le 20 AVRIL 2012
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