Tour de vis en vue pour le suicide assisté
Le Conseil fédéral met en circulation deux propositions alternatives: réglementer l’activité des organisations d’aide au suicide ou interdire purement et simplement ces dernières. Dans la première hypothèse, des certificats médicaux seraient exigés et seules les personnes en fin de vie pourraient être aidées.
La gestation a été longue, l’accouchement est abrupt. Le Conseil fédéral met en consultation un projet de réglementation de l’assistance au suicide qui place d’emblée les associations spécialisées sur les pattes de derrière. Deux variantes sont envisagées: une réglementation de leurs activités. Ou leur interdiction pure et simple.
La première solution a, a précisé Eveline Widmer-Schlumpf, la préférence du Conseil fédéral. Ou plutôt de sa majorité: c’est sur le souhait de certains de ses membres que la seconde a été mise en circulation. Mais, assure-t-elle, Pascal Couchepin, qui n’a pas caché ses réticences, répétant hier encore que l’assistance au suicide est «un projet de mort» quand il «préfère les projets de vie», s’est rallié à l’ordre des priorités de la majorité.
Quoi qu’il en soit, seule la première proposition semble avoir des chances de réunir une majorité en procédure de consultation, au point qu’on peut se demander si la seconde n’est pas avant tout là pour faire passer une pilule particulièrement robuste.
Règles de bonne conduite pour le suicide assisté
Seule l’association Exit est prête à signer un texte détaillé, qui définit notamment les personnes qui peuvent prétendre à ses services. Le canton de Zurich espère par cette démarche accélérer les travaux pour une loi fédérale sur l’aide au suicide. Selon la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf, la procédure de consultation devrait être ouverte d’ici à l’automne
Le canton de Zurich, qui appelle de ses vœux depuis longtemps une loi fédérale, fait un premier pas pour tenter de régler l’assistance au suicide. Une convention devrait être bientôt signée entre l’association Exit, qui n’offre ses services qu’à des personnes vivant en Suisse, et le procureur général du canton. Dignitas, l’association de Ludwig Minelli régulièrement accusée de pratiquer un tourisme de la mort, n’est pas de la partie.
Ce document, dont la NZZ am Sonntag a publié des extraits, fixe de manière très détaillée des règles de conduite pour accompagner une personne désireuse de mettre fin à ses jours. Elaboré par le procureur général Andreas Brunner, il se veut un moyen d’assurer des standards minimums de qualité.
Entretiens approfondis
Seize paragraphes sont consacrés à la définition des personnes qui peuvent prétendre aux services d’Exit. Les personnes qui ont recours à l’aide au suicide doivent être capables de discernement, capacité que les médecins impliqués et Exit doivent établir sur la base de plusieurs entretiens approfondis, étalés sur plusieurs semaines. La procédure peut, en cas d’urgence, être raccourcie. Le désir de mourir doit être justifié par des souffrances dues à une grave maladie. Les malades n’ont toutefois pas besoin d’être au seuil de la mort. «La définition de maladie est à prendre dans un sens large et comprend aussi des souffrances dues à un accident ou à un handicap lourd», prévoit notamment l’article 4 cité par la NZZ am Sonntag. Les personnes souffrant de troubles psychiques ne sont pas exclues, même si «une extrême retenue» est recommandée.
Douze «suicides» par an
Pour l’assistance même, la convention prescrit que deux personnes au moins doivent être présentes, dont un accompagnateur d’Exit. Ceux-ci ne devraient pas accompagner plus de douze suicides par année, pour «éviter la routine». Leur dédommagement ne peut pas excéder 500 francs par cas. Le dosage de la substance qui conduit à la mort est aussi fixé: 15 grammes de natrium pentobarbital.
Des règles ont également été fixées pour la police, qui doit venir constater la mort. Il lui est demandé de faire preuve de retenue, et d’éviter d’arriver avec plus de deux hommes sur les lieux. Le collaborateur d’Exit doit remettre un dossier qui résume toutes les étapes jusqu’à la décision finale.
Le Département zurichois de la justice, qui a supervisé la démarche, confirme que le texte est prêt, mais ne veut pas s’exprimer sur son contenu. «C’est une solution transitoire. Le conseil d’Etat zurichois reste favorable à une réglementation fédérale. Cette convention n’a pas la prétention de tout régler de manière optimale», explique Michael Rüegg, porte-parole du Département cantonal de justice. La convention, qui ne s’applique qu’aux cas zurichois de suicides assistés, n’est en effet pas contraignante. Le canton ne dispose pas non plus de mécanismes de contrôle. Le gouvernement zurichois avait ouvert, il y a deux ans, la discussion avec Exit et Dignitas. Cette dernière organisation, qui a toujours refusé de publier ses comptes, s’est vite retirée des négociations. Elle aurait refusé notamment de limiter à douze par année le nombre de suicides par assistant.
Interdiction pas exclue
Exit, sceptique dans un premier temps, est entre-temps prête à signer cette convention. Alors qu’une interdiction des associations d’aide au suicide n’est pas à exclure dans une future loi fédérale, elle veut probablement faire preuve de sa bonne volonté. Selon son président Hans Wehrli, cet accord ne va rien changer à son travail. «Le papier documente notre pratique actuelle», a-t-il déclaré à la NZZ am Sonntag.
Dans le SonntagsBlick, la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf a répété son intention d’ouvrir d’ici à l’automne la procédure de consultation pour une loi fédérale sur le suicide assisté. Même si elle n’est pas favorable à titre personnel à une interdiction, elle compte présenter deux variantes: une interdiction totale et une réglementation qui mette notamment des garde-fous aux procédures accélérées pour des personnes en provenance de l’étranger «On pourrait par exemple exiger deux expertises indépendantes», a-t-elle déclaré.
Couchepin était opposé
La démission de Pascal Couchepin permettra peut-être de faire avancer le dossier. Selon la NZZ am Sonntag, le ministre de la Santé est un farouche partisan de l’interdiction totale des associations d’aide au suicide. Il n’a aucune compréhension non plus pour la convention zurichoise élaborée sous la houlette du conseiller d’Etat socialiste Markus Notter.
n’y a toutefois pas de front radical en faveur d’une interdiction des associations Exit et Dignitas, comme le suggère la NZZ am Sonntag. Le radical zurichois Thomas Heiniger, directeur du Département de la santé, est opposé pour des motifs formels à une convention, car il ne revient pas à l’Etat de conclure un contrat avec des associations privées, précise lundi son porte-parole. D’autant plus que la Direction de la santé doit assurer la surveillance des médecins qui exercent dans le canton. Mais Thomas Heiniger ne veut pas interdire le suicide assisté. Il se retrouve sur la même ligne que son collègue socialiste pour réclamer une loi fédérale qui règle la procédure.
Réglementer l’assistance organisée au suicide
Le Conseil fédéral envoie deux options en consultation
Berne. Le Conseil fédéral entend réglementer explicitement l’assistance organisée au suicide et propose à cette fin deux options de modification du droit pénal : la première consiste à fixer clairement dans le code pénal des devoirs de diligence imposés aux collaborateurs des organisations d’assistance au suicide, la seconde, à interdire l’activité de ces organisations. Il a envoyé ces deux options de modification du code pénal en consultation ce mercredi, accompagnées d’un rapport explicatif. La consultation durera jusqu’au 1er mars 2010.
Le Conseil fédéral n’entend pas toucher à la règlementation actuelle libérale qui autorise l’assistance au suicide lorsque celle-ci ne se fonde pas sur un mobile égoïste. Constatant cependant que les organisations actives dans ce domaine débordent de plus en plus du cadre légal et se soustraient parfois aux mécanismes de contrôle instaurés par l’Etat et par les règles déontologiques, il estime nécessaire de mettre en place des garde-fous et des restrictions. Il s’agit d’empêcher que l’assistance organisée au suicide ne se transforme en une activité orientée vers le profit et de s’assurer qu’elle demeure réservée à des malades en fin de vie et reste inaccessible à des personnes souffrant d’une affection chronique ou psychique. Le suicide doit être la dernière issue, la préservation de la vie humaine demeurant au premier plan. Tant le domaine des soins palliatifs que celui de la prévention du suicide offrent d’autres voies.
Option 1 : devoirs de diligence stricts
Le projet qui a la priorité pour le Conseil fédéral prévoit de compléter les art. 115 du code pénal (CP) et 119 du code pénal militaire (CPM), dont la teneur est identique, par des devoirs de diligence. Les points essentiels de cette option sont les suivants :
Volonté librement émise et persistante
Les collaborateurs des organisations d’assistance au suicide pourront aider une personne à mettre fin à ses jours, sans encourir de peine, s’ils ont respecté toutes les conditions fixées par cette disposition. En premier lieu, il sera nécessaire que le suicidant ait émis librement sa volonté de mourir et que sa décision soit mûrement réfléchie. Cette exigence vise à éviter des décisions impulsives et précipitées.
Deux avis médicaux
Deux médecins indépendants de l’organisation devront attester l’un que le suicidant est capable de discernement, l’autre qu’il est atteint d’une maladie physique incurable dont l’issue sera fatale à brève échéance. Il sera donc exclu que l’organisation aide à se suicider une personne atteinte d’une maladie chronique qui ne mène pas à la mort ou d’une affection psychique. Les soins palliatifs, englobant traitement médical, accompagnement et soutien, doivent permettre à ces personnes de continuer à vivre dans la dignité.
But non lucratif
Celui qui accompagne le suicidant devra en outre lui présenter les autres solutions possibles et en discuter avec lui. Le médicament utilisé pour amener la mort sera prescrit par un médecin, ce qui présuppose que ce dernier pose un diagnostic et une indication, en vertu des devoirs et de l’éthique professionnels du corps médical. L’accompagnateur ne devra pas poursuivre un but lucratif, c’est-à-dire qu’il lui sera interdit d’accepter une contre-prestation excédant la couverture des frais occasionnés par sa prestation. Cette condition garantit qu’il n’agit pas pour des motifs égoïstes et qu’il place au premier plan la volonté d’aider la personne désireuse de mourir. L’organisation d’assistance au suicide et ses collaborateurs devront enfin établir une documentation complète sur chaque cas, afin de faciliter une éventuelle enquête des autorités de poursuite pénale.
Le Conseil fédéral est convaincu que ces devoirs de diligence empêcheront les dérives et les abus dans le domaine de l’assistance organisée au suicide et endigueront le « tourisme de la mort ».
Option 2 : interdiction de l’assistance organisée au suicide
Le Conseil fédéral propose cependant en parallèle un projet d’interdiction de l’assistance organisée au suicide. Cette option repose sur l’idée qu’une personne agissant dans le cadre d’une organisation ne peut être mue par des motifs purement altruistes ni développer une proximité suffisante avec la personne qui désire se suicider.
SOURCE : LETEMPS.CH 29 octobre 2009
30.10.09
Des nouvelles de l'Agence Générale du Suicide suisse
25.10.09
"Seuls ceux qui vont mourir savent toucher un homme s'il est vivant." (Jacques Rigaut)
C'est un anniversaire de décès publié dans le carnet du Monde qui m'a mené jusqu'à deux films en ligne sur le Net. L'annonce publiée dans Le Monde concernait le réalisateur Michel Bongiovani disparu il y a dix ans et était accompagnée d'une adresse web à laquelle était visible le premier film, la lucide et émouvante confession d'un homme atteint d'une maladie mortelle, envisageant son mal comme l'aboutissement d'une lente maturation volontaire, une sorte de lent suicide. On songe à la thèse de l'écrivain suisse Fritz Zorn développée dans Mars, son unique livre, où il explique son cancer comme la conséquence d'une éducation anxiogène.
Extrait :
"Je suis jeune et riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé‚ et seul. Je descends d'une des meilleures familles de la rive droite du lac de Zurich, qu'on appelle aussi la Rive dorée. J'ai eu une éducation bourgeoise et j'ai été sage toute ma vie. Ma famille est passablement dégénérée, c'est pourquoi j'ai sans doute une lourde hérédité et je suis abîmé par mon milieu. Naturellement j'ai aussi le cancer, ce qui va de soi si l'on en juge d'après ce que je viens de dire. Cela dit, la question du cancer se présente d'une double manière : d'une part c'est une maladie du corps, dont il est bien probable que je mourrai prochainement, mais peut-être aussi puis-je la vaincre et survivre ; d'autre part, c'est une maladie de l'âme, dont je ne puis dire qu'une chose : c'est une chance qu'elle se soit enfin déclarée. Je veux dire par là qu'avec ce que j'ai reçu de ma famille au cours de ma peu réjouissante existence, la chose la plus intelligente que j'aie jamais faite, c'est d'attraper le cancer. Je ne veux pas prétendre ainsi que le cancer soit une maladie qui vous apporte beaucoup de joie. Cependant, du fait que la joie n'est pas une des principales caractéristiques de ma vie, une comparaison attentive m'amène à conclure que, depuis que je suis malade, je vais beaucoup mieux qu'autrefois, avant de tomber malade. Cela ne signifie cependant pas que je veuille qualifier ma situation de particulièrement agréable. Je veux dire simplement qu'entre un état particulièrement peu réjouissant et un état simplement peu réjouissant, le second est tout de même préférable au premier."
Le second film était l'écho bouleversant du premier : des extraits d'entretiens avec la comédienne Jeanne Lise Solar réalisés par le frère de Michel Bongiovani. Quelques jours après ces entretiens, la jeune femme mettra fin à ses jours. On regrette que Philippe Sollers ne se soit jamais déplacé pour voir la comédienne sur scène, mais peut-être ne méritait-il pas l'admiration que lui portait cette femme magnifique.
CORPS ROMPU (2003)
3 ANS AVANT SA MORT (LE 21 OCTOBRE 1997), MICHEL BONGIOVANNI RACONTE COMMENT, PAR DÉGOUT DU MONDE, UN INDIVIDU EN VIENT A FABRIQUER SON CANCER ET A PRÉPARER SA DISPARITION. VOIR LE FILM
EMMENEZ MOI DORMIR (2004)
QUELQUES JOURS AVANT SON SUICIDE, JEANNE LISE SOLAR, S’ENGAGE A CORPS PERDU DANS UNE CONVERSATION LUMINEUSE SUR LA PASSION ET LA CRÉATION. VOIR LE FILM
Miracle à Nantes
Le buste retrouvé de Jacques Vaché
"Savez-vous ce que sont devenues les très singulières aquarelles et cartes postales qu’il exécutait ? Il me semble que quelques-unes d’entre elles étaient en possession d’un jeune (alors) sculpteur du nom de Herbrant, qui avait exécuté le buste de Jacques. Autant que je me rappelle, ce buste, sans qualité artistiques particulières, était assez ressemblant. Serait-il demeuré dans votre famille ?"(Lettre d'André Breton à Marie-Louise Vaché, 25 août 1949)
Thomas Guillemin, auteur d'un site passionnant consacré à Jacques Vaché, m'informe qu'on a retrouvé un buste du dandy des tranchées chez un particulier nantais, une sculpture que Breton mentionnait dans une lettre à la soeur de Jacques Vaché. Une bonne nouvelle qui confirme encore une fois que le temps joue en la faveur des chercheurs. Stéphane Pajot, auteur d'un livre sur la mort de Vaché, raconte dans le journal Presse Océan cette miraculeuse (re)trouvaille. On peut voir l'artefact jusqu'au 27 février 2010 à la médiathèque de Nantes dans le cadre de l'exposition « En route mauvaise troupe, Nantes et le surréalisme ».
19.10.09
Le projet de Thomas
C’était il y a dix ans, le 2 octobre 1999. Seul dans l’appartement de sa mère, à Neuchâtel, Thomas se donnait la mort d’une rafale de fusil d’assaut. Le jeune homme laissait à ses proches, en guise de testament, quinze heures d’enregistrement vidéo retraçant les sept derniers mois de sa vie. Poignant et dérangeant, ce témoignage est aujourd’hui au cœur du film «Tabou», d’Orane Burri, diffusé demain sur la TSR.
Thomas avait 22 ans. Passionné de cinéma, il tournait des courts-métrages avec ses copains. Mais dans les derniers mois de sa vie, sa caméra lui a surtout servi de confidente: tous les jours ou presque, Thomas s’est filmé dans l’intimité de sa chambre, en cachette. A la caméra, il a confié tout ce qu’il ne voulait pas avouer à ses proches: son mal-être, sa frustration, sa résolution de mourir. Et son étrange excitation face à «ce projet très grave, très beau, très grand».
«Cela fait des années que j’y pense, j’ai décidé d’en finir. » Dès le premier enregistrement, daté du printemps 1999, Thomas annonce qu’il n’attend plus rien de la vie. «Mon rêve absolu, c’est d’être réalisateur de films. Mais je ne vais pas y arriver. Je ne fais presque rien depuis mon bac. Ce qui me dérange, c’est de n’arriver à rien artistiquement. Si je n’y arrive pas maintenant, quand est-ce que j’y arriverai?»
Au sentiment d’être un raté s’ajoute la déception amoureuse. C’est là qu’intervient Orane Burri, à l’époque âgée de 17 ans. «Orane, c’est une jeune fille qui fait de la vidéo», résume Thomas dans un de ses premiers enregistrements. Ils se sont rencontrés lors d’un concours de jeunes réalisateurs. Elle l’obsède, mais se refuse à lui. «Je n’arrête pas de penser à elle. Je vis complètement dans les fantasmes et je suis frustré parce que ça loupe à chaque fois. Cette histoire, je vais en parler jusqu’à la fin de ma vie. »
Convaincu que sa vie est un échec, Thomas a décidé que sa mort sera un chef-d’œuvre. Son «grand projet», comme il le désigne, c’est de tout faire pour que son suicide surprenne et impressionne son entourage. Il va donc s’employer à ne rien laisser paraître de son mal-être autour de lui. Surtout, il va s’employer à tout planifier, avec une rigueur méthodique et un apparent détachement. On le voit ainsi disserter sur le moment le plus opportun pour se donner la mort: «Je ne vais pas me tuer au milieu de l’été. Les gens seront en vacances, ça n’intéressera personne. J’hésite à le faire plutôt à la rentrée. » Plus tard, il confie à la caméra que «s’ouvrir les veines, c’est le sommet du romantique, avec la pendaison».
Mais le plus important, dans cette mise en scène macabre, ce sont les enregistrements. Thomas sait que le témoignage vidéo qu’il laisse à ses proches provoquera la stupéfaction et l’émotion: «Quelqu’un fera peut-être quelque chose de ces cassettes un jour, un film, un vrai film. » Plus tard, il ajoute: «Ce que je veux, c’est laisser une trace derrière moi. Je veux que les gens trouvent incroyable ce que j’ai fait. C’est totalement égocentrique. »
Mais le plus important, dans cette mise en scène macabre, ce sont les enregistrements. Thomas sait que le témoignage vidéo qu’il laisse à ses proches provoquera la stupéfaction et l’émotion: «Quelqu’un fera peut-être quelque chose de ces cassettes un jour, un film, un vrai film. » Plus tard, il ajoute: «Ce que je veux, c’est laisser une trace derrière moi. Je veux que les gens trouvent incroyable ce que j’ai fait. C’est totalement égocentrique. »
Obsédé par la réussite de son «projet», Thomas semble peu se soucier de la souffrance des autres. Lorsqu’il songe au moment où sa mère trouvera son cadavre, il admet que «ça va peut-être détruire sa vie», mais il ajoute: «C’est ma vie. Je m’en fous pas mal de ce que ça fait aux autres. »
Là est toute l’ambiguïté de ce témoignage, à la fois bouleversant et choquant. Comment ne pas se sentir ému par le désespoir de Thomas, et en même temps mal à l’aise devant ce besoin de mettre en scène son suicide? Ses proches eux-mêmes s’avouent encore déroutés par le geste de Thomas. «Il a caché à tout le monde son intention suicidaire, raconte la réalisatrice Orane Burri, 27 ans. Un jour, j’ai cru sentir qu’il projetait quelque chose de sombre et je lui ai demandé s’il n’avait pas l’intention de faire une connerie. Il a répondu non avec un grand sourire. Personne ne devait l’empêcher d’aller au bout de son projet. »
Là est toute l’ambiguïté de ce témoignage, à la fois bouleversant et choquant. Comment ne pas se sentir ému par le désespoir de Thomas, et en même temps mal à l’aise devant ce besoin de mettre en scène son suicide? Ses proches eux-mêmes s’avouent encore déroutés par le geste de Thomas. «Il a caché à tout le monde son intention suicidaire, raconte la réalisatrice Orane Burri, 27 ans. Un jour, j’ai cru sentir qu’il projetait quelque chose de sombre et je lui ai demandé s’il n’avait pas l’intention de faire une connerie. Il a répondu non avec un grand sourire. Personne ne devait l’empêcher d’aller au bout de son projet. »
«Je ne savais rien de ce qu’il faisait, poursuit Eva Putsch, la mère de Thomas. Il était gai, joyeux, plein d’humour. Il a sciemment caché toutes les traces de ce qu’il préparait. Il nous a tous manipulés. » Pour elle, c’est une «fierté malsaine» qui a poussé son fils à mettre en scène sa mort: «Il a laissé cette vidéo pour qu’on en fasse quelque chose. Il voulait un bout d’immortalité. Il voulait se tuer mais il ne voulait pas mourir. »
Ce n’est qu’en 2003 qu’Orane Burri s’est décidée à visionner les enregistrements de Thomas et à en faire un film. Mais comment utiliser ce témoignage? «Un des pièges, c’était justement l’ambiguïté du personnage de Thomas. Il y avait de sa part une certaine volonté qu’un film existe. Il imaginait sans doute un film totalement centré sur sa personne. Mais, pour moi, il était hors de question de glorifier le personnage. Je n’ai pas fait ce film pour obéir à sa dernière volonté mais pour aider les gens à comprendre ce qui peut pousser un jeune homme à se donner la mort. A ce titre, le témoignage de Thomas est unique, parce qu’il montre les réflexions d’un suicidaire de l’intérieur. » Directrice de l’unité des documentaires de la TSR, Irène Challand renchérit: «Le film a de quoi provoquer le malaise, mais il montre bien comment un jeune se laisse prendre au piège de ses intentions suicidaires. C’est pour cela que nous l’avons choisi, pour ouvrir le débat autour de cette question encore taboue. »
Ce n’est qu’en 2003 qu’Orane Burri s’est décidée à visionner les enregistrements de Thomas et à en faire un film. Mais comment utiliser ce témoignage? «Un des pièges, c’était justement l’ambiguïté du personnage de Thomas. Il y avait de sa part une certaine volonté qu’un film existe. Il imaginait sans doute un film totalement centré sur sa personne. Mais, pour moi, il était hors de question de glorifier le personnage. Je n’ai pas fait ce film pour obéir à sa dernière volonté mais pour aider les gens à comprendre ce qui peut pousser un jeune homme à se donner la mort. A ce titre, le témoignage de Thomas est unique, parce qu’il montre les réflexions d’un suicidaire de l’intérieur. » Directrice de l’unité des documentaires de la TSR, Irène Challand renchérit: «Le film a de quoi provoquer le malaise, mais il montre bien comment un jeune se laisse prendre au piège de ses intentions suicidaires. C’est pour cela que nous l’avons choisi, pour ouvrir le débat autour de cette question encore taboue. »
Source : Le Matin.ch 12/10/2009
Rendons à César ce qui est à César, "Tabou" est avant tout un film de Thomas Mendez. Orane Burri n'est qu'une passeuse (à son insu) de l'unique film de Thomas. Une passeuse qui n'a pas vraiment saisi toute la profondeur du personnage en se mettant maladroitement en scène dans le film de Thomas. Reste la force des images et des propos de ce jeune homme qu'on a sous-estimé. Dans certaines scènes, Thomas Mendez fait beaucoup penser à Alain Leroy du "Feu follet", par exemple quand il évoque les certitudes et l'incompréhension de ses amis, on ne peut s'empêcher de songer à l'échange entre "ce cafard de Dubourg" et Alain :"Si tu es mon ami, tu m'aimes comme je suis, pas autrement." Les derniers mots qu'envoie Thomas à un ami sont aussi poignants que ceux qui s'inscrivent en surimpression sur le visage figé d'Alain Leroy à la fin du "Feu follet" : " Aime, hais, sois fort, sois faible, souffre ou envole toi, mais aie le bonheur que je n'ai pas su trouver : vis. Thomas."
Pour regarder le film de Thomas, cliquez ICI.
Pour regarder le film de Thomas, cliquez ICI.
1.10.09
Nadja ou la suicidée du surréalisme
Voici ce qu'écrivait, en 1995, Mark Polizzoti, le biographe d'André Breton, à propos du mystère (entretenu) de la véritable identité de Nadja : "Malgré mes efforts, je n'ai pu identifier le nom de famille de Nadja. Il est vrai que rares sont les personnes qui aujourd'hui connaissent ce nom : quelques intimes de Breton ou des membres de la profession psychiatrique. Il demeure que le secret est jalousement gardé comme s'il s'agissait d'une affaire d'état. Les surréalistes justifient le plus souvent leur silence en disant vouloir épargner aux parents de Nadja des souvenirs douloureux et les "curiosités inopportunes" du monde en général. Mais on ne peut s'empêcher de rapprocher ce silence du climat de mystère qui entoura des événements comme la "conspiration" de Breton et d'Aragon en 1919, la découverte de l'écriture automatique et la fusion avec Clarté, par exemple. Le fait est qu'un certain goût pour l"occultation" (pour reprendre le mot de Breton) fait partie de l'expérience surréaliste - goût que les héritiers spirituels du mouvement ont pieusement entretenu jusqu'à nos jours." (André Breton par Mark Polizotti, Gallimard, 1999, note 129, p. 760)(1) On notera tout de même la remarquable enquête réalisée dans les années 80 par Marguerite Bonnet, une investigation qu'elle évoque dans une note à propos de Nadja dans les Œuvres complètes d'André Breton parues dans La Pléiade en 1988 : "Figure aujourd'hui intemporelle, nimbée de toute l'aura du rêve comme peut l'être l'Aurélia de Nerval, elle n'en fut pas moins une personne, avant d'être le personnage éponyme d'un livre dont l'éclat à la fois la révèle et la cache. Léona-Camille Ghislaine D. est née dans la région de Lille le 23 mai 1902."
Il peut paraître surprenant que le mystère Nadja ait pu résister à la sagacité d'un biographe aussi redoutable que Polizzoti qui consacra plus de 800 pages au fondateur du surréalisme. Surprenant mais éclairant sur l'incroyable omerta bretonienne entretenue depuis 1928 autour de ce mystère(1). Aujourd'hui, une femme brise enfin ce silence pesant, Hester Albach, une romancière néerlandaise, lectrice de Nadja qui s'est prise de passion pour cette "héroïne du surréalisme" dont l'existence avait été noyée dans la fiction. Hester Albach a réalisé une enquête biographique minutieuse pour reconstituer le puzzle de la vie de celle qui fut la muse et la maîtresse de Breton. La clef de l'énigme était sous les yeux de tous, dans le catalogue d'une exposition surréaliste, la reproduction d'un dessin de Nadja, sous la loupe de l'enquêtrice apparaît le vrai nom de la femme aux "yeux de fougère" : Melle Delcourt. Une visite aux archives de la police et la lecture d'un procès verbal suffisent pour compléter la véritable identité de Nadja : Léona Delcourt, née le 23 mai 1902 à Saint-André (ironie du sort) dans le Nord de la France. Quelques chrysanthèmes sur la tombe anonyme de "Nadja" permettent à la biographe de retrouver une descendante qui va enfin lui raconter la brève et tragique existence de Léona Delcourt. En 1920, à 17 ans, son départ forcé pour Paris suite à la naissance d'un enfant non désiré que ses parents éléveront. La morale était sauve. Puis les années parisiennes de précarité et d'errance, fascinée par ce miroir aux alouettes que représente la capitale pour une provinciale. Enfin, l'espoir retrouvé début octobre 1926, avec la rencontre de son amant-écrivain, André Breton :"Tu écriras un roman sur moi. Je t'assure." Espoir de courte durée, le 8 novembre Breton écrit à sa femme : "Je ne l'aime pas, elle est seulement capable de mettre en cause tout ce que j'aime et la manière que j'ai d'aimer." Léona Delcourt, écrit Hester Albach, est devenue une abstraction, un concept. Pendant que Breton écrit Nadja, Léona retourne à sa solitude, à la froideur des chambres d'hôtel. "La fin de mon souffle, écrit-elle à Breton, est le commencement du vôtre." Léona s'enfonce dans la pauvreté, la misère n'est pas loin, elle ne mange plus, ne paie plus sa chambre. Cette insécurité fait vaciller sa santé mentale. Le 21 mars 1927, elle est arrêtée pour trouble à l'ordre public, puis internée à l'asile de Bailleul où elle restera jusqu'à sa mort en 1941. Insoumise, elle continue malgré tout de lutter contre ceux qui veulent la mater, la "guérir". Elle vit le martyre réservé aux "aliénées hystériques" à l'époque. On lui rase la tête, les visites lui sont interdites, la nuit on l'attache dans un lit, les bras contre le corps, enroulé dans un drap mouillé qui rétrécit au fil des heures. Breton connaissait l'horreur concentrationnaire des hôpitaux psychiatriques. Dans Nadja, il écrit : "Il ne faut jamais avoir pénétré dans un asile pour ne pas savoir qu'on y fait les fous tout comme dans les maisons de correction on fait les bandits. (...) Selon moi, tous les internements sont arbitraires. Je continue à ne pas voir pourquoi on priverait un être humain de liberté. Ils ont enfermé Sade; ils ont enfermé Nietzsche; ils ont enfermé Baudelaire." André Breton ne pénétrera jamais dans l'asile de Bailleul pour rendre visite à Léona. Hester Albach n'accable pas Breton, mais les faits décrits dans son livre créent un malaise dont le lecteur a du mal à se débarrasser avec cette question en suspens : pourquoi Breton n'a-t-il pas fait un geste pour faire sortir Léona de son enfermement qui sera la cause de sa mort? Il existait déjà à l'époque d'autres maisons de santé plus progressistes en terme de soins psychiatriques et la notoriété de Breton était suffisante pour influencer les autorités médicales. "La fin de mon souffle est le commencement du vôtre."
Léona, héroïne du surréalisme, Hester Albach, éditions Actes Sud, 2009.
Pour ceux qui ont la chance de ne pas avoir encore vu "le Feu follet", ce film magnifique de Louis Malle, adaptation cinématographique du roman éponyme de Drieu qui raconte les derniers jours de son ami Jacques Rigaut, il sera projeté à la cinémathèque française ce vendredi 2 octobre à 16h, la séance sera suivie d'un débat avec Philippe Collin, Volker Schlöndorff et la comédienne Alexandra Stewart.
Pour plus d'informations, cliquez ICI.
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