Une dernière digression (offerte par Greg) sur M.D puis nous reviendrons à J.R.
Hello,
Du nouveau sur la tombe de Duchamp !
D'abord dire que si Duchamp a bien été incinéré au Père Lachaise, ses cendres furent ensuite transportées (je ne sais si les clés prirent part au voyage) au Cimetière Monumental de Rouen pour être placées dans le caveau familial.
Et parler de deux oeuvres qui rendirent hommage à Duchamp, et ce en intervenant sur sa tombe ! (mes infos sont tirées des n° 17 et 2000 de la revue La peau des deux côtés, revue épisodique de la Société des amis de Rrose Sélavy, dite Ffondation Marcel Duchamp) :
- la première est l'une des deux photographies de Mohamed Kemal ayant fait scandale à l'exposition "Prendre Duchamp" de juin 1997 à Rouen. Une photographie représentait une femme dans la même position que celle d' "Etant donnés...", mais, figurant ainsi Léda, avec un cygne entre les jambes : "c'est le retour du cygne, clin d'oeil à Marcel Duchamp" dont le photographe dit qu'il tuait le signe. L'autre photographie, intitulée sobrement "Cimetière Monumental", Mohamed Kemal la présente ainsi :
"Provoquer Duchamp, se mettre nue sur sa tombe, c'est jouer tout simplement sur son propre terrain. Mais le nu sur la pierre tombale n'est pas seulement provocation. Du moins la provocation est-elle, elle-même, forme d'hommage. D'autant que c'est ici Marcel Duchamp désormais qui semble devenu le cygne espéré, l'égal de Zeus, l'égal de dieu. Marcel Duchamp est désormais à sa place. Il est lui-même le Créateur, position ironique et superbe.
Si la seconde photographie apparaît comme la plus choquante, c'est que j'ai associé le nu à la mort. La nudité érotique, le plaisir à l'image du désespoir : la joie à ce qu'on appelle le deuil.
S'il y a choc, c'est que nous vivons dans un monde de mythologies et pour tout dire, les tabous - la forêt des tabous - nous entourent.
Or, si j'ai fait cette photographie, c'est que le rapport à la mort commence à changer. Ce ne sera pas là l'un des minces mérites de Marcel Duchamp que de nous avoir ouvert la voie à une autre vision de la mort, une mort dédramatisée, humorisée, érotisée, Marcel Duchamp devenu jusqu'au-delà de la mort, héros de l'éros.
La tombe est froide à la manière d'une table d'opération. Est-ce dans l'attente de la naissance d'un monde nouveau ?"
- la deuxième est un happening de... Pierre Pinoncelli durant lequel, travesti en un double de Rrose Sélavy, a donné une sorte de strip-tease, s'est brûlé la joue avec un fer chauffé au chalumeau, pour finir dans la fameuse position d' "Etant donnés". Pinoncelli raconte lui-même l'événement, dans un style qui d'ailleurs n'a rien à envier à THTH :
"[...] un événement historique, hic : la naissance de Rrose Sélamore, le samedi 24 avril 1999 à 11 h, à Rouen, au Cimetière Monumental, sur la tombe de Marcel Duchamp...
Oui, Rrose Sélamore, la soeur jumelle (à 80 ans de distance) et morticole de Rrose Sélavy, le double féminin de Duchamp...
Rrose Sélamore, mon double féminin à moi... femme-à-barbe, grâce à qui je peux assumer tout le mortuaire, et avoir aussi des ovaires, des menstrues, et une ménopause-casse-croûte (le retour d'âge comme un retour de manivelle, O Jean de Nivelle !)...
Rrose Sélamore... créée non pas pour m'installer définitivement dans l'ombre protectrice de Duchamp, après mon action au Carré d'Art de Nîmes en 1993, non...
[...]
Rrose Sélamore... créée simplement pour le plaisir d'un jeu de rôle : inventer une petite suite amusante et mortifère à l'aventure de Duchamp, en y ajoutant une autre "bonne-femme" à laquelle il n'avait pas songé...
Rrose Sélamore... magnifique et grotesque, avec sa barbe blanche, ses seins en obus, son chemisier à fleurs, sa jupe plissée beige en Tergal, ses godasses à talons plats, et son chapeau-à-voilette avec une grande plume, quel look !
Rrose Sélamore... éblouissement d'une femme-enfant qui a joué à la marelle sur la tombe de Duchamp... et la dalle qui bougeait, c'était Duchamp lui-même qui voulait sortir de son tombeau pour jouer avec elle à ce jeu d'enfance, et raccourcir ainsi le concept d'éternité...
Rrose Sélamore... sa venue au monde a amené la VIE dans un cimetière uniquement occupé par des morts, vous trouvez ça normal, vous ? (quand vont-ils enfin se résoudre à construire des cimetières pour les vivants, maman ?)...
La VIE, désordonnée et burlesque... mais la VIE increvable comme une mauvaise herbe, hourra ! youpi !
le happening au Cimetière Monumental ?
pavane funèbre et destructurée, gestuelle lente et paradoxale d'un corps qui n'existe que par son usure, à cause de l'âge et des intempéries - hi ! -hi ! - et des forces d'entropie...
métamorphose, aussi... anamorphose ? mort noire et bossue, mort aveugle, mort en caleçon U.S., mort en culotte de paysanne et soutien-gorge à baleines, mort nue, mort sûre, mort-aux-dents, mort bide, mort femme, morte Adèle...
et puis, la naissance de Rrose, enfin... comme une chrysalide... la VIE, quoi, juste la vie, camarade...
[...]
la fin du happening au Cimetière Monumental ?
le corps de Rrose Sélamore - recouvert de fleurs déposées par les spectateurs (beaucoup de membres de l'APAC qui m'avaient invité à Rouen par l'entremise de leur président, Alain Bourdie) gît sur la tombe de Duchamp... rigoureusement immobile, et dans la position exacte du cadavre de femme nue de "Etant donnés", la dernière oeuvre posthume de Duchamp... jambes écartées et un cierge d'église dans la main gauche, à la place du gaz d'éclairage en souvnir du Square Verdrel, à Rouen...
position symbolique en hommage à Duchamp... un hommage organique, beurk ! quelle horreur, pour lui, l'homme-concept - ah ! ah ! - mais on n'est pas responsable de sa postérité, n'est-ce pas ?...
et puis, le drap blanc sur le corps - sous le grand ciel normand... et Rouen, au loin, avec ses cathédrales et ses maisons en bois - comme la fin d'une histoire...
histoire belle ou débille, on s'en fout... elle a le mérite d'avoir existé - dans l'espace-temps du Cimetière Monumental - et de continuer à VIVRE dans le coeur et la mémoire de ceux qui l'auront vue..."
Voila. En pièces jointes la photo "Cimetière Monumental" de Mohamed Kemal, et un petit montage que j'ai fait d'images du happening de Pinoncelli (on voit pas beaucoup mais bon).
bien à toi,
Greg
http://bartlebooth.over-blog.com/
P.S. : c'est le président de la Ffondation Duchamp, Patrice Quéréel, qui a fondé, il y a trois ans, le premier cimetière mondial de l'art ( http://www.aroots.org/forum2/viewtopic.php?t=77&view=next )
"Provoquer Duchamp, se mettre nue sur sa tombe, c'est jouer tout simplement sur son propre terrain. Mais le nu sur la pierre tombale n'est pas seulement provocation. Du moins la provocation est-elle, elle-même, forme d'hommage. D'autant que c'est ici Marcel Duchamp désormais qui semble devenu le cygne espéré, l'égal de Zeus, l'égal de dieu. Marcel Duchamp est désormais à sa place. Il est lui-même le Créateur, position ironique et superbe.
Si la seconde photographie apparaît comme la plus choquante, c'est que j'ai associé le nu à la mort. La nudité érotique, le plaisir à l'image du désespoir : la joie à ce qu'on appelle le deuil.
S'il y a choc, c'est que nous vivons dans un monde de mythologies et pour tout dire, les tabous - la forêt des tabous - nous entourent.
Or, si j'ai fait cette photographie, c'est que le rapport à la mort commence à changer. Ce ne sera pas là l'un des minces mérites de Marcel Duchamp que de nous avoir ouvert la voie à une autre vision de la mort, une mort dédramatisée, humorisée, érotisée, Marcel Duchamp devenu jusqu'au-delà de la mort, héros de l'éros.
La tombe est froide à la manière d'une table d'opération. Est-ce dans l'attente de la naissance d'un monde nouveau ?"
- la deuxième est un happening de... Pierre Pinoncelli durant lequel, travesti en un double de Rrose Sélavy, a donné une sorte de strip-tease, s'est brûlé la joue avec un fer chauffé au chalumeau, pour finir dans la fameuse position d' "Etant donnés". Pinoncelli raconte lui-même l'événement, dans un style qui d'ailleurs n'a rien à envier à THTH :
"[...] un événement historique, hic : la naissance de Rrose Sélamore, le samedi 24 avril 1999 à 11 h, à Rouen, au Cimetière Monumental, sur la tombe de Marcel Duchamp...
Oui, Rrose Sélamore, la soeur jumelle (à 80 ans de distance) et morticole de Rrose Sélavy, le double féminin de Duchamp...
Rrose Sélamore, mon double féminin à moi... femme-à-barbe, grâce à qui je peux assumer tout le mortuaire, et avoir aussi des ovaires, des menstrues, et une ménopause-casse-croûte (le retour d'âge comme un retour de manivelle, O Jean de Nivelle !)...
Rrose Sélamore... créée non pas pour m'installer définitivement dans l'ombre protectrice de Duchamp, après mon action au Carré d'Art de Nîmes en 1993, non...
[...]
Rrose Sélamore... créée simplement pour le plaisir d'un jeu de rôle : inventer une petite suite amusante et mortifère à l'aventure de Duchamp, en y ajoutant une autre "bonne-femme" à laquelle il n'avait pas songé...
Rrose Sélamore... magnifique et grotesque, avec sa barbe blanche, ses seins en obus, son chemisier à fleurs, sa jupe plissée beige en Tergal, ses godasses à talons plats, et son chapeau-à-voilette avec une grande plume, quel look !
Rrose Sélamore... éblouissement d'une femme-enfant qui a joué à la marelle sur la tombe de Duchamp... et la dalle qui bougeait, c'était Duchamp lui-même qui voulait sortir de son tombeau pour jouer avec elle à ce jeu d'enfance, et raccourcir ainsi le concept d'éternité...
Rrose Sélamore... sa venue au monde a amené la VIE dans un cimetière uniquement occupé par des morts, vous trouvez ça normal, vous ? (quand vont-ils enfin se résoudre à construire des cimetières pour les vivants, maman ?)...
La VIE, désordonnée et burlesque... mais la VIE increvable comme une mauvaise herbe, hourra ! youpi !
le happening au Cimetière Monumental ?
pavane funèbre et destructurée, gestuelle lente et paradoxale d'un corps qui n'existe que par son usure, à cause de l'âge et des intempéries - hi ! -hi ! - et des forces d'entropie...
métamorphose, aussi... anamorphose ? mort noire et bossue, mort aveugle, mort en caleçon U.S., mort en culotte de paysanne et soutien-gorge à baleines, mort nue, mort sûre, mort-aux-dents, mort bide, mort femme, morte Adèle...
et puis, la naissance de Rrose, enfin... comme une chrysalide... la VIE, quoi, juste la vie, camarade...
[...]
la fin du happening au Cimetière Monumental ?
le corps de Rrose Sélamore - recouvert de fleurs déposées par les spectateurs (beaucoup de membres de l'APAC qui m'avaient invité à Rouen par l'entremise de leur président, Alain Bourdie) gît sur la tombe de Duchamp... rigoureusement immobile, et dans la position exacte du cadavre de femme nue de "Etant donnés", la dernière oeuvre posthume de Duchamp... jambes écartées et un cierge d'église dans la main gauche, à la place du gaz d'éclairage en souvnir du Square Verdrel, à Rouen...
position symbolique en hommage à Duchamp... un hommage organique, beurk ! quelle horreur, pour lui, l'homme-concept - ah ! ah ! - mais on n'est pas responsable de sa postérité, n'est-ce pas ?...
et puis, le drap blanc sur le corps - sous le grand ciel normand... et Rouen, au loin, avec ses cathédrales et ses maisons en bois - comme la fin d'une histoire...
histoire belle ou débille, on s'en fout... elle a le mérite d'avoir existé - dans l'espace-temps du Cimetière Monumental - et de continuer à VIVRE dans le coeur et la mémoire de ceux qui l'auront vue..."
Voila. En pièces jointes la photo "Cimetière Monumental" de Mohamed Kemal, et un petit montage que j'ai fait d'images du happening de Pinoncelli (on voit pas beaucoup mais bon).
bien à toi,
Greg
http://bartlebooth.over-blog.com/
P.S. : c'est le président de la Ffondation Duchamp, Patrice Quéréel, qui a fondé, il y a trois ans, le premier cimetière mondial de l'art ( http://www.aroots.org/forum2/viewtopic.php?t=77&view=next )