6.12.24




Quoi de mieux, lors d’une froide et pluvieuse journée parisienne, que de se réfugier dans une petite salle de cinéma du boulevard de Strasbourg pour découvrir sur grand écran les quatre films restaurés de Man Ray ? Parmi eux, Emak Bakia, où l’on retrouve la miraculeuse apparition de Jacques Rigaut. Ces films, sublimés par la mise en musique du groupe new-yorkais de Jim Jarmusch, offrent une expérience hypnotique : sur l’écran, les images de Man Ray dansent au rythme d’une musique presque crépusculaire, plongeant le spectateur aux limites d’une transe. Impossible de ne pas sourire en voyant le générique de fin, où le nom de Jacques Rigaut est orthographié fautivement.




 

6.11.24

6 novembre



 Après avoir passé une nuit blanche à Paris, le matin du 6 novembre 1929, Jacques Rigaut est rentré à la clinique de la Vallée-aux-Loups à Châtenay-Malabry et s’est tiré une balle dans le cœur. « Je serai un grand mort » avait-il écrit, et d’ajouter ce dernier aphorisme : « Le jour se lève, ça vous apprendra. » Comme chaque 6 novembre, j’ai fait mon pèlerinage sur sa tombe au cimetière de Montmartre, je suis passé dire bonjour à l’ami Daniel Darc qui repose à une centaine de mètres de la tombe de Lord Patchogue. En partant, je me suis arrêté au bureau de la conservation du cimetière pour leur demander quelle procédure suivre pour sauvegarder la tombe de Jacques Rigaut qui aujourd’hui est abandonnée. Je leur ai dit que dans le même caveau il y avait la comédienne Marcelle Chantal qui a tourné entre autres avec Marcel L’Herbier, Pierre Chenal, Maurice Tourneur… J’ai laissé mon numéro, on m’a dit que le service concerné m’appelera. P.S. La conservatrice m'a appelé pour me dire qu'elle proposerait Jacques Rigaut comme nouvelle personnalité à l'instar de Marcelle Chantal, mais l'un comme l'autre ne seront pas inscrits sur le plan des personnalités inhumées au cimetière de Montmartre car ils ne font pas parties des personnalités "les plus demandées". 

5.11.24

4.11.24

Annie Le Brun

 




Annie Le Brun détestait les anniversaires et commémorations, elle avait refusé de participer aux préparatifs du centenaire du surréalisme. En revanche, elle avait accepté de rééditer ce recueil de 465 citations surréalistes, comme des « balises lumineuses » qui nous invitent à changer de chemin, 465 preuves irréfutables que « non seulement il était une fois mais que toujours il sera une fois ». Des preuves qui nous questionnent et nous rappellent qu’il nous appartient d’énoncer urgemment « la médiocrité de notre univers ». C’est le premier livre posthume d’Annie Le Brun, il y en aura d’autres, quelques jours avant sa disparition qui nous a laissés esseulés en plein milieu de l’été, Annie finalisait un livre sur l’intelligence artificielle. En attendant, lisons ces mots qui font l’amour en compagnie de Rigaut (« Je vous aime assez pour n’avoir rien à vous dire »), Breton (« Le cœur humain, beau comme un sismographe »), Cravan (« Désirs, vous m’avez laissé à moitié mort sur une chaise » et de bien d’autres.

31.10.24

La petite librairie


Etonnant de retrouver Drieu et Rigaut dans La p'tite librairie de François Busnel à une heure de grande écoute... diffusé le 16 octobre 2024. 

 

30.9.24

Le Feu follet sur Arte

 


Depuis le 23 septembre et jusqu’au 15 décembre 2024, le film « Le Feu follet » de Louis Malle est disponible gratuitement sur Arte. Cliquez ICI pour voir le film. Ceux qui n’ont pas encore vu l’un des plus beaux films du cinéma français du XXe siècle n’auront vraiment plus d’excuses! C’est grâce à ce film que j’ai écrit la biographie de Jacques Rigaut.

7.9.24

Trouvaille

 






Une curiosité que cet exemplaire du "Feu follet" (trouvé dans une boîte à livres) avec une dédicace (“ce récit des tristesses des grandes villes”) à Louis Dumont-Wilden, écrivain, biographe, critique belge et fondateur de l’hebdomadaire “Pourquoi pas?”.




15.8.24

Annie

Légende de la photo : En 2019, Annie était venue me soutenir chez Gallimard lors de la corvée du service de presse de ma biographie de Rigaut dont elle avait rédigé la remarquable préface.


Il y a toujours une part d’incrédulité quand on apprend la mort d’un être cher, puis la tristesse et l’accablement vous tombent dessus. J’ai appris le 1er août la mort d’Annie Le Brun (1942-2024), une mort brutale non annoncée en plein milieu de l’été. "J'espère que vous continuez à bien vous mouvoir dans cet étrange monde. », m’écrivait-elle dans l’un de ses derniers mails  qu’elle signait invariablement « De tout cœur ». C’est mon ami musicien Henri Graetz qui me l’avait présentée en 2013 lors de l’exposition "Victor Hugo et le surréalisme". Je l’avais revue ensuite au vernissage de la magnifique exposition "Sade-Attaquer le soleil" au musée d’Orsay dont elle était la commissaire générale et signataire du catalogue. En 2016, Henri Graetz m’invitait  à un concert de Nicolas Ker et d’Arielle Dombasle, improbable duo qu’il accompagnait au violon. Annie Le Brun était dans le public. A la fin du concert, je lui ai demandé si elle voulait bien m’écrire une préface pour ma biographie de Jacques Rigaut en voie d’achèvement. « Bien sûr, me répondit-elle, votre livre sera un événement. » En quelque pages, elle fit le plus beau portrait de Lord Patchogue. Je lui en serai éternellement reconnaissant. Annie Le Brun était une femme libre, elle vivait contre son temps. Visionnaire aussi, dans son premier livre en 1977, « Lâchez tout », elle dénonçait déjà les dérives sectaires et totalitaires du néoféminisme contemporain. Ce premier essai était un appel à la désertion : « Je serai toujours du côté des déserteurs contre les armées en marche. » Les « staliniennes en jupons » n’ont pas apprécié. Oui, toute sa vie, et à travers toute son œuvre, Annie Le Brun aura vécu contre son temps, contre l’enlaidissement du monde, contre la marchandisation de l’art, contre l’idéologie déconstructiviste. Annie Le Brun nous rappelait que « ce qui n'a pas de prix, ce sont les choses qui nous font vivre ». Elle va nous manquer, terriblement. 
 

24.7.24

29.5.24

New York

 


Le réalisateur Jean-Stéphane Sauvaire chez lui à New York avec ma biographie de Jacques Rigaut. Son dernier film “Black Flies” (Asphalt City) avec Sean Penn et Tye Sheridan, une adaptation cinématographique du roman 911 de Shannon Burke, raconte le quotidien de deux ambulanciers urgentistes dans le chaos urbain de Brooklyn. Photographie : Clarisse Gorokhoff. 

"New York, longue ville sans mystères, déchiffrable autant que ses rues bien aménagées pour les courants d’air. (...) Si vous êtes pressé, prenez plutôt une voiture de pompiers. Ceux-là ne s’ennuient pas, la ville est faite pour eux. Pour un mouchoir qui brûle, ils dévalent le long de la ville, doublent à droite, doublent à gauche, et si les autres voitures ne se rangent pas assez vite, montent sur le trottoir. Je préfère mourir brûlé." (Jacques Rigaut)




4.3.24

Jim

 


Le comédien et chanteur Henri Serre (1931-2023) est mort comme il a vécu, discrètement. Il connut son heure de gloire (méritée) en interprétant le rôle de Jim dans le « Jules et Jim » de Truffaut. En 1963, Louis Malle lui propose un petit rôle dans "Le Feu follet", Frédéric un jeune homme admirateur d’Alain Leroy. Henri Serre est mort le 9 octobre 2023 à l’âge de 92 ans dans sa maison de Saint-Jean-de-Bruel dans l’Aveyron où il s’était retiré depuis des années. Pour la regrettée émission "Cinémas, cinémas", Philippe Garnier installé aux Etats-Unis, filmait acteurs, réalisateurs, scénaristes des années glorieuses du cinéma hollywoodien, enregistrer les témoignages de ces hommes et femmes qui évoquaient leurs souvenirs, pour sauvegarder cette mémoire cinéphilique qui disparaissait au fil du temps. On regrette qu'en France, personne n'ait songé à sauvegarder cette mémoire. Personne n'est allé voir Henri Serre dans sa maison aveyronnaise pour lui demander d'évoquer ses souvenirs. Une mémoire aujourd'hui à jamais engloutie.        

25.1.24

Génies

 


Les éditions Séguier, toujours au top, publient en français les mémoires de Robert McAlmon (1895-1956), poète, écrivain, critique et éditeur américain. Il fut l’une des principales figures des expatriés américains à Paris. Il aide James Joyce à écrire Ulysses et sera le premier éditeur de Hemingway. Ami de Kiki et de Man Ray, il fréquente Rigaut à Montparnasse qu’il évoque dans ses souvenirs "Being Geniuses Together" publiés en 1938. Au début des années 50, il se retire à Desert Hot Springs (Californie) où il meurt en 1956, oublié de tous. On redécouvre aujourd’hui son rôle influent de passeur et son œuvre littéraire remarquable. En 2017, Maud Simonnot lui a consacré un émouvant portrait "La nuit pour adresse", paru chez Gallimard. 

 "Bande de génies » est disponible aujourd’hui dans toutes les (bonnes) librairies.  Le livre de 460 pages dispose d’un index au name dropping vertigineux… Rigaut en fait partie. Curieusement dans cette première édition VF, apparaissent des lignes inédites sur Rigaut que je n’avais pas trouvées dans le livre que j’avais à ma disposition qui était la deuxième édition américaine de ces mémoires parue en 1984. Les éditions Séguier ont travaillé avec la première édition parue en 1938 dont ils ont pourtant retranché certains passages, ce qui signifie que l’édition de 1938 était plus complète que celle de 1984 qui mentionnait bizarrement des ajouts au texte original. Encore une énigme à résoudre. 

Voici les passages inédits sur Rigaut qui sont formidables : «  Lorsque j’appris le suicide de  Jacques Rigaut, j’eus l’impression que ce qui était arrivé était parfaitement naturel. Il avait écrit quelques fragments de textes et était d’une certaine manière allié aux dadaïstes ou aux surréalistes, mais il s’en fichait. C’était un parfait dandy, un dilettante, un mondain, mais il était intelligent et, comme Drieu la Rochelle l’a écrit, c’était une valise vide. Il avait du charme, mais charriait une tristesse et un désespoir effrénés. Je fis un jour avec lui le trajet de Paris à Rouen en voiture, et il conduisait comme s’il cherchait à finir en bouillie. Il voulait avoir des histoires d’amour avec des femmes élégantes, belles, d’un certain renom ou bien célèbres qui avaient une carrière, un passé. Hormis, cela la vie n’avait pas l’air de l’intéresser. Du fait de quelque affinité, lui et moi nous nous entendions très bien et je l’appréciais beaucoup, de même que lui m’appréciait. Mais il ne manquait pas de me déconcerter. Il prenait rendez-vous pour le déjeuner ou le dîner en m’expliquant qu’il avait quelque chose à m’annoncer, et quand il me disait la chose en question, cela avait trait au passé, et ni lui ni moi ne pouvions plus rien y faire. Plusieurs années avant que je fasse sa connaissance, il était sorti un soir avec un ami très riche, auquel il avait subtilisé deux mille francs. Le vol n’avait pas échappé à l’ami, mais celui-ci n’avait rien dit ; puis, plusieurs années plus tard, le père de Rigaut entendit parler du larçin et remboursa l’argent. Rigaut était censé partir pour l’Amérique et entamer une nouvelle vie. Il ne voulait pas y aller et, en me quittant ce jour-là, il me dit : « Ne me méprise pas, quoi qu’on te dise que j’ai fait, d’accord ? » Mais, si je croyais son ton, ce n’était pas si important que cela pour lui. En tout cas, ce ne le fut absolument pas pour moi. Je l’appréciais, je me moquais bien de sa morale, ou de son comportement, parce que mon affection pour lui était totalement informelle. Il s’était marié, mais ça n’avait pas duré. Il fumait de l’opium ou le prenait en confiture, tout en déclarant que cela ne lui procurait pas beaucoup de sensations. Une nuit, après avoir fait un tour en ville avec quelques amis, il rentra au sanatorium où il séjournait pour soigner sa dépendance à l’opium. Là, il s’assit confortablement sur une chaise longue, en s’étendant sur quelques coussins, et se tira une balle dans le cœur. Ce fut une mort facile. Quand d’autres de ses amis se lamentèrent sur son suicide, je ne pus les imiter. Impossible pour lui d’affronter la vieillesse, la pauvreté, le fait de ne plus être un dandy et, pour l’homme à femmes qu’il était, de devenir de moins en moins désirable. Il était tout simplement dépourvu de ces impulsions à vivre ou à agir qui animent certaines personnes. Souvent, je me demande si ce ne sont pas les gens de ce genre  qui sont vulnérables à la drogue, car parmi ceux que j’ai connus et qui en ont consommé et souvent pendant assez longtemps, seuls quelques-uns  restent véritablement dépendants ou en gardent une envie irréfrénable. Lui n’avait pas cet irrépressible désir d’opium, du moins c’est ce qu’il prétendait; il voulait  seulement ne pas à avoir à affronter la réalité morose de l’ordinaire. »   

19.1.24

Rigaut à Stan


« C’est comme ça et vous emmerde. » (Jacques Rigaut)


"Après la classe de cinquième, la plupart des élèves de Montaigne allaient au lycée Louis-le-Grand pour continuer leur scolarité. Georges Rigaut en décide autrement, rien n’est trop beau pour son fils cadet sur lequel il mise beaucoup. Il l’inscrit au très réputé mais austère collège Stanislas dont l’entrée donne sur la paisible rue Notre-Dame-des-Champs. Une lecture du règlement résume l’esprit du collège : "La discipline s’appuie sur le respect de l’autorité et le sentiment du devoir. Elle emprunte sa force au principe chrétien qui grandit la soumission, en nous montrant dans le maître un délégué de Dieu lui-même. […]" À la chapelle, au réfectoire, en promenade et aux réunions générales, les élèves portent la tunique boutonnée et le ceinturon. Ils ont, en promenade et aux sorties, les gants d’uniforme et le képi. Ils y ajoutent, en hiver, le pardessus d’uniforme boutonné . Le père est si fier de son fils en uniforme qu’il lui demande de le porter quand ils se promènent ensemble. Peu sensible au prestige de la tenue de son collège, Jacques Rigaut exige que son père lui donne cent sous avant d’endosser l’inconfortable costume de drap bleu. Rigaut a bientôt treize ans, quand il entre à « Stan », début octobre 1911, dans la classe de quatrième, section bleue. (…) Le 2 octobre 1912, Jacques Rigaut entre en troisième, section rose. Il a dû croiser cette année-là dans les couloirs ou la cour de récréation du collège, le psychanalyste Jacques Lacan, qui se trouve en cinquième verte  » (Jacques Rigaut, le suicidé magnifique, Gallimard 2019) Photo de classe collège Stanislas année scolaire 1911-1912. Sauriez-vous identifier le petit Jacques Rigaut? 

12.1.24

Chez J.J.S.

 






“Désormais les Rolling Stones ne sont plus cinq mais six: cinq + un cadavre, ils se sont enrichis d’un grand vide. Un accident de plus pour eux et depuis que Brian Jones est mort ils ont encore embelli puisque la beauté est une somme d’accidents.” ( Jean-Jacques Schuhl, Rose poussière

Lors du service de presse de ma biographie de Rigaut, j’avais demandé qu’on envoie un exemplaire à l’écrivain Jean-Jacques Schuhl, puisque je l’évoquais comme celui qui avait fait découvrir Rigaut à son ami Jean Eustache. Ma demande n’avait pas été prise en compte. Les années ont passé et je m’étais toujours promis de lui remettre cet exemplaire en main propre. C’est chose faite. J’en ai profité pour me faire dédicacer son premier livre Rose poussière dont il remet le manuscrit chez Gallimard en 1972 sans connaître personne. Georges Lambrichs qui dirigeait la collection "Le Chemin" l’appelle, enthousiaste. Au comité de lecture, Raymond Queneau défend le livre contre Claude Roy qui n’en voulait pas. On connaît la suite, le livre deviendra culte comme son auteur. Durant notre conversation, JJS évoque Rigaut, Eustache mais aussi Frédéric Berthet : “L’univers de Berthet, ce n’est pas noir; c’est bleu nuit plutôt. Et tendre également, comme la nuit.”  Lorsque j'évoque la carte à jouer et l’enveloppe Lord Patchogue envoyée à l’adresse new-yorkaise de J.R., deux objets trouvés dans les papiers de Rigaut après son suicide, l’auteur de Rose poussière s’est écrié : « ce sont des objets magiques ! » Effectivement, ces deux reliques sont « chargées » du pouvoir de leur ancien propriétaire. On rappellera que Jacques Rigaut dans une villa d’Oyster Bay sur Long Island, un dimanche de juillet 1924, en jouant seul à une réussite et posant une carte l’une sur l’autre, image métaphorique du changement d’identité, devient Lord Patchogue, puis relevant la tête et apercevant son reflet dans un miroir, se jette dans ce dernier pour le briser. En traversant le miroir Lord Patchogue tue Jacques Rigaut, un meurtre-suicide qui préfigure le destin tragique du poète. Ces reliques ont été magnifiquement encadrées par Édouard de l’Atelier Demi-Teinte, qui avait exposé dans sa vitrine la carte à jouer, plusieurs personnes sont entrées dans sa boutique pour poser des questions sur cette carte. Magique!

P.S. : Ce soir à la maison de la Poésie, soirée hommage à Daniel Darc avec un concert de Frédéric Lo.
Je vous souhaite évidemment the best pour 2024...