Ai déjeuné vendredi dernier avec l'éditrice Claire Paulhan, discussion passionnante autour de Mireille Havet dont elle publie l'extraordinaire "Journal" depuis 2003. Le deuxième tome (1919-1924) devrait être très prochainement en librairie. Claire Paulhan me raconte la découverte quasi miraculeuse de ce monumental journal intime dans un grenier au toit percé... Je connaissais Mireille Havet de réputation mais n'avais encore rien lu d'elle, sinon quelques extraits qui m'avaient impressionné. Dans le train qui me ramenait à Paris, je savourais les pages du premier tome (1918-1919), submergé par l'émotion au point d'arrêter ma lecture les yeux embués par les larmes. Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas ressenti une telle proximité avec un auteur. Extrait : " Qui me dira pourquoi, suivant l'exemple des autres, l'être que j'adopte ne peut nourrir et vanner mon rêve plus de deux ou trois jours? J'ai donc en moi un tel puits de solitude, une telle négation de l'amour, des choses du coeur, de mots sincères et de confiance acquise. Je suis comme ces oiseaux qui n'aiment que leur plein vol, la forêt étendue à l'ombre de leurs ailes, et les cris de leurs pareils perdus sur les lacs, dans le crépuscule jaune où ils tournoient tout seuls, en proie à la nuit, aux astres, et à l'espace." En 1942, dans ses "Saisons littéraires", le critique Edmond Jaloux avec justesse et intuition réunira Vaché, Crevel, Radiguet, Mireille Havet et Jacques Rigaut dans une même génération littéraire qui "refusant les conditions communes du monde, se jetèrent dans une aventure de caractère absolu, qui les conduisit à une mort précoce." A suivre...
27.2.05
Jacques & Mireille
25.2.05
Méditation pour le week-end
"Le biographe cache systématiquement ce qu'il ne sait pas et organise ce qu'il dit en fonction de cette inconnue." (Raymond Cousse)
24.2.05
Jeu de l'oie
Trouver des indices, recouper les informations, suivre des pistes...le métier de biographe s'apparente souvent à celui de détective privé. Après deux biographies, je devrais d'ailleurs songer à une reconversion. Petit bonheur hier en retrouvant l'ayant droit d'un ami de J.R. Je n'ai pas grand chose, vous savez, me dit-il, quelques lettres et photos... Pour moi, ce "pas grand chose" est un précieux trésor qui peut-être me fera sauter plusieurs cases ou en comblera certaines. Je n'avais pas pensé à cette métaphore du Jeu de l'oie. Un parcours hasardeux dans une spirale labyrinthique... En lisant les coupures de presse de l'époque, je suis surpris par la violence des articles contre Dada, je découvre une France d'après-guerre xénophobe, patriotique et revancharde. La voie était lubrifiée pour les Dadas.
Petit florilège :
"des métèques illettrés nommés, je crois, Tristan Picaboum et Francis Zarata"
"Hier après-midi, une douzaine de lugubres pitres, se donnèrent en spectacle dans une salle de la rue de Boetie."
"ces assemblées de niais. Dans le désarroi moral et intellectuel où nous sommes, nous voudrions que quelqu'un nous guidât. venez à Paris, descendez de votre sixième, hurlez "Da ! Da !" dans les rues, habillez-vous de feuilles de vignes, et la critique vous considérera. On dira de vous : "Peut-être est-il l'avenir ?" Car il est entendu qu'il faut être fou pour intéresser nos sages."
"Ils me dégoûtent, je les trouve malpropres".
"Il était bon de donner les étrivières à ces tapirs qui ne se complaisent qu'à traîner leur appendice busqué dans leur fiente."
La réponse des Dadas...
"Il n'y a que Dada qui sache faire l'amour. Quelques personnes qui attendent afin de voir si elles doivent être bien ou mal intentionnées à notre égard, demandent : - Enfin que voulez vous ? Qu'allez-vous faire ? Rien sauf nous amuser. Détruire ce que vous construisez . Au besoin si vous construisez. Dada détruira Dada. Vous ne pouvez rien construire qui soit pourri. Vos petites et grandes vertus sont des allumettes, en les frottant on obtient des décorations, des femmes, des gloires, des billets de banque. On ne peut rien voir de ce que vous faites, qui soulève le coeur. Votre justice, votre état, votre armée, votre ordre, votre amour de l'esprit, du beau, du bien. On sait de quoi il retourne, et quel visage vous faites dans l'ombre, devant une table, sous vos draps et dans l'appareil embarrassant des cabinets. Vous avez une idée sociale, scientifique et philosophique de la vérité. Quelle est donc cette honte de votre propre ordure ? En tout cas devant tant de lumières, nous refusons de tenir la chandelle."
23.2.05
échos
L'ouverture de ce blog a provoqué des premières réactions encourageantes. (Lire ci-dessous deux mails reçus). Il faut dire que le biographe est souvent pris de vertige devant l'ampleur de la tâche à accomplir. Parfois, il doute même de ce qu'il est en train de faire, il s'interroge sur sa santé mentale, sur cet altruisme forcené qui le pousse à reconstituer l'impossible puzzle de la vie d'un type qui lui-même se posait sans cesse des questions insolubles. Le biographe connaît des sautes d'humeur, passant dans la même journée du total découragement à un optimisme béat.
"C'est une bonne idée ce blog. Ça fait du bien d'entendre parler de ce Rigaut-Lo.
Je me rappelle avoir trimballé "les Ecrits" -volés- dans ma poche pendant peut-être un an ou deux, je ne sais plus. Je devais avoir 17 ans. C'est pas Rimbaud, mais Rigaut qui m'a aidée à cette époque secouée, je ne sais plus comment, peut-être en me faisant découvrir la simplicité du suicide, peut-être en me révélant qu'un type qui écrit en fanfaronnant qu'il crache sur un mendiant ne peut pas être un sale type. Je ne sais plus, mais je me souviendrai, grâce à toi. Je me rappelle aussi des abrutis très érudits scandalisés que j'abîme de la sorte un livre de la collection blanche de Gallimard. Abîme." (Christine Van de Putte)
"Bravo pour ce travail de fourmis et de titan ! Rigaut m'émeut à travers les
bribes de texte et de photos. Tu nous laisses deviner l'homme Rigaut, écrivain en devenir et personnage tragique de son chef d'oeuvre: sa vie. En fait, n'y a-t-il pas chez Rigaut une inversion de la démarche de l'écrivain, au lieu d'imaginer la vie des personnages, il a voulu que sa vie soit littérature et il est le personnage de son roman. La citation sur le revolver sur la table de chevet m'avait fait penser à cela. N'as-tu pas l'impression qu'en écrivant sa biographie tu écris (enfin) sa littérature ? Sinon, s'est-il suicidé par déprime ou s'agit-il plutot d'un acte littéraire? Tu es en train d'écrire un grand livre. Et le carnet Debord du biographe est un travail en soi, avec une importance en soi et m'apprend plein de chose sur l'auteur et son objet d'écriture ... J'ai envie d'en savoir plus (je suis curieuse de nature) et comme tu vois mes réactions sur le vif reflètent mon ignorance et mon éloignement (temporaire j'espère)de la littérature (Vivement que moi aussi j'arrive à finir mon opus I !)" (Sandra Aidara)
22.2.05
Gonzo (bis)
Extrait d'un article ("Le style gonzo, un journalisme halluciné" par Philippe Azoury et Alexis Bernier) paru dans le Libé d'aujourd'hui :
"Le visage mince et affirmé a quelque chose d'un dandy survolté, entre Maurice Ronnet [sic] période Feu follet et le premier Nicholson."
La semaine dernière, un journaliste (Edouard Launet) de Libération avait déjà fait référence au Feu follet dans un autre papier ("Pays de craie" Cahier Livres du 17/02/05) consacré à un débat avec Annie Ernaux autour du thème "Sortir du roman? Y rester?" :
"Drieu La Rochelle, qui lui aussi était un peu normand, voulait rentrer dans le dur : «Un revolver, c'est solide, c'est en acier. C'est un objet. Se heurter enfin à l'objet.» Puis le héros du Feu follet se tire une balle dans le coeur. Et Drieu se suicide."
Dans ce même journal, un mois et demi auparavant, Stéphane Piatzszek faisait également référence à J.R. et Drieu ("Le fait divers, une passion française" 8/12/04):
"Le 5 novembre 1929 au matin, un certain Jacques Rigaut, ami des surréalistes, fit sa toilette et se tira très proprement une balle dans le coeur. Il avait planifié la date exacte de sa mort dix ans à l'avance. Bilan : deux lignes dans la rubrique faits divers des canards du 6 novembre 1929, un (court mais bon) roman de Drieu La Rochelle, le Feu follet, et un joli succès pour Maurice Ronet dans le film éponyme de Louis Malle, près de trente ans après, en 1963."
Curieusement, Libération a été le seul quotidien a ne pas mentionner la parution du dossier Rigaut dans la N.R.F. d'octobre dernier.
Beaucoup de choses à dire à propos du sublime Maurice Ronet. J'en parlerai plus tard...
21.2.05
Gonzo vs Dada
Ce blog ouvrait le dimanche 20 février 2005. Hunter S. Thompson, l'inventeur du journalisme "gonzo" choisira ce même dimanche pour mettre fin à ses jours. L'auteur de "Las Vegas Parano" crachait sur la sacro-sainte objectivité du journalisme, revendiquant une totale subjectivité, signe de transparence et de liberté. Si les écoles de journalisme s'en tenaient à cette pédagogie, la presse d'aujourd'hui serait moins sclérosée, moins ennuyeuse... "Le journalisme objectif est l'une des principales raisons expliquant pourquoi la politique américaine a pu être à ce point corrompue pendant si longtemps", disait Thompson. "On ne peut pas être objectif avec Nixon. Comment peut-on être objectif avec Clinton?" Je ne vais pas faire mon Greil Marcus mais, quand on y réfléchit, gonzo n'est pas si loin de Dada. On peut même s'amuser à y voir une proximité certaine dans des "valeurs" communes comme (entre autres) le goût du risque, la vitesse, l'absurdité comme règle de vie, le refus du conformisme et du pouvoir, un penchant pour l'alcool, les stupéfiants et une fascination pour les armes à feu... Mon hommage personnel à Hunter S. Thompson sera cet extrait d'un article de la revue "Belles-Lettres, Arts & Critiques"(mars 1921):
« Les dadas, gens, dit-on, incompréhensibles, ne le sont que parce qu'on s'obstine à ne point vouloir les comprendre. Leur théorie est simple et lumineuse : un mot, un seul, exprime une pensée, une sensation, un paysage, un geste. Et comme ils accolent à une vitesse vertigineuse les mots, les uns aux autres, il s'agit simplement pour les comprendre de se laisser entraîner par le tourbillon des idées chevauchantes les unes sur les autres. Cela me paraît très clair."
Have you got it Hunter?
le rire de Dada
"Le surréalisme c'est le dadaïsme sans le rire." Je ne sais plus où j'ai trouvé cette citation de Tristan Tzara. L'importance de tout noter immédiatement, les sources, les références... Martin Kay m'écrit qu'il connaissait le "mot" de Tzara, il le trouve un peu faible : "Les fossoyeurs de Dada méritaient pire que ça." Le rire de Dada, un dérivatif bienfaisant, absurde et libérateur. On a toujours sous-estimé Dada, souvent réduit à une immense farce de potaches, une vaine agitation de jeunes poseurs. Plus j'avance dans mes recherches, plus l'influence considérable du mouvement Dada m'apparaît comme une évidence. Jacques Rigaut en fut une figure exemplaire. Depuis trois semaines à la bibliothèque littéraire Jacques Doucet où je consulte les précieux volumes des coupures de presse collectées par Picabia et Tzara. L'Argus de la presse existait déjà à l'époque! Parfois l'égocentrisme à du bon...
20.2.05
Do you know Jack Rigow ?
C'est parti! enfin c'est parti depuis plus d'un an déjà... Après 7 ans de travail sur Emmanuel Bove, je m'étais promis de ne plus jamais m'atteler à ce périlleux et difficile exercice qu'est la réalisation d'une biographie. Un travail passionnant certes, mais un travail de cinglé, de moine bénédictin, de monomaniaque... J'ai pensé que créer un blog autour de ce laborieux travail m'aiderait à le mener à son terme. J'en profite pour saluer mon éditeur, Olivier Rubinstein, qui m'a accordé sa confiance et a décroché son téléphone dès la réception de mon courrier. Qui a dit que les éditeurs ne faisaient plus leur boulot? Un grand merci à Emma Rebato qui m'a livré ce blog et son interface, clefs en main! Ma gratitude également à Agnès Fleury, qui depuis le début m'aide dans mes recherches documentaires et traductions, mais aussi à Clarisse qui m'assiste à New York (ville capitale dans la vie de J.R.). D'autres personnes m'ont soutenu et me soutiennent encore. Je les citerai au fur et à mesure de l'avancée de mon travail... Un sans qui rien ne serait arrivé, c'est Martin Kay qui, dans les années 60, a été le premier à exhumer Rigaut des oubliettes littéraires. Grâce à lui, nous avons l'intégrale des "Ecrits" de Jacques Rigaut publiée chez Gallimard. Enfin, pour ceux et celles qui ne connaissent pas Jack Rigow, voici quelques liens de présentation :
La page Web consacrée à J.R. sur le merveilleux site "Les excentriques" d'Emmanuel Pollaud-Dullian
La revue de presse suite à la parution de mon dossier "Salut à Jacques Rigaut" dans la Nouvelle Revue Française d'octobre 2004
Quelques photos de J.R....
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