Philippe Soupault en 1928 par Bérénice Abbott.
Soupault a écrit plusieurs poèmes en hommage à son ami J.R. Je ne connaissais pas celui que m'a envoyé un internaute américain francophile et admirateur de Rigaut. Je le remercie pour ce cadeau inattendu que j'avais envie de partager avec les lecteurs du blog Rigaut. Un émouvant poème quand on connaît la vie de Lord Patchogue. Enjoy!
SWANEE
à Jacques Rigaut
Mes Mains tremblent
comme celles d'un brave garçon alcoolique
pour les caresses
mes cheveux tombent
comme des larmes
comme des plumes
et mes dents sont noires de colère
On voit de petits champs de courses
et de vastes champs de tabac
dans mes yeux
on voit des orangers en fleurs
des buissons de monnaie du pape
quand je ris
quand je pleure
on ne voit rien
Quatre Quatre Quatre
Ma vie est un bouton de nacre
Ma vie est un roseau chantant
Ma vie est un enfant à quatre pattes
Ces histoires que l'on racontera
sont longues
comme les fumées sans feu
Et puis il y a moi
Mes oreilles sont bien à moi
comme mes oiseaux
et posés sur le visage pour l'esthétique
On dit oui on dit non
et je me cache dans la fumée
de ma bonne petite cigarette
qui craque
et qui dit oui et qui dit non
quand j'enfile mon veston
et qu'avec toute la gravité désirable
je prends un peigne le matin
je ne regarde pas dans la glace
en disant Quel joli garçon
mais je vois une petite pendule
qui fait tac tac
et qui m'ennuie Swanee
comme le calendrier de mon grand'père.
Philippe Soupault, 'Wang Wang', 1924.
Anthologie de la Nouvelle Poèsie Française
chez Simon Kra/Sagittaire, 1924
J'ai aussitôt demandé quelques renseignements sur ce poème à un ami, amoureux de Soupault, son biographe Bernard Morlino.Il ne m'a pas encore répondu sur son titre, "Swanee", qui peut-être fait référence à la célèbre chanson de Georges Gershwin. Extraits de cette correspondance matinale :
"Oui, je le connaissais, avec un titre pareil, mais je ne savais pas qu'il était pour Rigaut. Dire que Soupault a écrit un poème sur moi...Un jour je lui ai dit si Breton et vous aviez été homos on n'aurait pas eu "Les Champs magnétiques". On se marrait bien ensemble. Il me recevait toujours à 16 h 00, la porte grande ouverte car j'étais toujours à l'heure et il se demandait comment je faisais, venant de Montmartre le voir Porte d'Auteuil. Il y a tant à dire. Dommage que tu n'aies pas connu JR. Le pire ce fut quand on est allé avec sa femme déclaré sa mort à la mairie. L'Etat civil avec NAISSANCE, DECES... Dégoût de la vie à ce moment là. Le petit bébé Soupault mort. Dix ans avec Soupault trois fois par mois, et plus quand j'écrivais sa bio. Voilà une oeuvre en soi. Un soir, il me téléphone et me dit: "Bernard je vous appelle parce que je suis votre ami. Bonne nuit. Un jour Breton a fait pareil quand j'ai quitté une amie. Et comme vous aussi..." Tu peux pas l'inventer ça. Il m'a fait du bien. J'arrête car la perte de S. c'est une plaie ouverte chez moi."
Philippe Soupault a été l'ami de Rigaut, mais également d'Emmanuel Bove dont on parle beaucoup en ce moment avec l'adaptation cinématographique (réussie) d'un de ses romans, "Le Pressentiment", par le comédien Jean-Pierre Darroussin. Bove, Soupault, Rigaut...des univers dont la proximité est troublante. En 2006, certains parlent encore d'écrivains mineurs.Minores, majores... Je préfère parler d'une famille de "désemparés" de la littérature, une cohorte d'insoumis et de réprouvés qui, comme l'a évoqué Edmond Jaloux "refusant les conditions communes du monde, se jetèrent dans une aventure de caractère absolu."