La cour du lycée Louis-le-Grand par Franck Chevalier
"Choisir, c'est vieillir."
(Citation de Soupault
en exergue du premier chapitre)
"Quand on est jeune c'est pour la vie" disait Soupault. Définitivement, j'aime beaucoup Soupault. C'est François Martinet qui m'a conseillé de lire Les Dernières Nuits de Paris en précisant qu'un personnage du roman pouvait bien être Jacques Rigaut. J'ai trouvé (encore un petit miracle) un exemplaire du roman à la librairie Henri Vignes sise au 57, rue Saint-Jacques dans le cinquième. Chaque fois que je passe dans cette librairie, je suis sûr d'y trouver un livre qui m'intéresse. Effectivement dans ce roman un personnage s'appelle Jacques... Extrait : " Jacques était en effet plus avide de savoir où elle allait que de la saisir par le bras ou de lui baiser les lèvres. Je compris qu'il était enfin plus amoureux du mystére que de la femme qui courait selon son destin." Il est vrai que les traits psychologiques peuvent correspondre à ceux de J.R., mais Soupault était également l'ami de Jacques Baron même s'il voyait moins ce dernier.
Hier soir après ma visite chez le libraire, je me suis rendu au lycée Louis-le-Grand pour assister à l'élection des 20 meilleurs livres de l'année par la rédaction du magazine "Lire". En traversant la grande cour du lycée, j'ai eu une pensée pour J.R. qui fut l'élève de ce prestigieux établissement. Ai jeté un coup d'oeil sur un prospectus qui proposait entre autres une liste des anciens « magnoludoviciens » (c'est ainsi qu'on appelle les élèves de ce lycée), Rigaut n'y figurait pas. Puis debout, dans la grande salle de conférences, j'ai sagement écouté les résultats des votes. J'en profite pour féliciter Jean Echenoz (fidèle lecteur de ce blog) dont le livre Ravel a été élu meilleur "roman biographique" de l'année. En revanche pas de surprise pour le premier meilleur livre de l'année : Les Bienveillantes par Jonathan Littell. Antoine Gallimard monte sur scène pour nous dire qu'il est très content et que les ventes en sont à 600 000 exemplaires. Je trouve ça étrange cette manie en France de "surconsacrer" une oeuvre, Les Bienveillantes ont déjà reçu deux prix dont pas les moindres (Prix Goncourt et Prix du roman de l'Académie française). Je serais l'auteur, je me méfierais. Sans vouloir faire de jeux de mots, trop de bienveillance nuit. J'ai toujours trouvé l'unanimité suspecte. Je me souviens plus qui (Beckett?)(1) a dit qu'à partir d'un certain nombre d'exemplaires il y a forcément un malentendu. Une amie américaine me dit avoir connu Littell quand il était enfant. "C'était un joli petit garçon, me dit-elle, un peu premier de classe et arrogant c'est vrai, mais charmant." Je n'ai pas lu Les Bienveillantes mais j'aimerais bien prendre un verre avec son auteur pour savoir ce qu'il pense de ce succès. « Les honneurs déshonorent ; le titre dégrade ; la fonction abrutit. Ecrivez ça sur les murs. » (Gustave Flaubert) - Extrait d'une lettre à Guy de Maupassant - 15 Janvier 1879
Au cocktail, je tombe sur mon éditeur, Olivier Rubinstein qui me prend fermement le bras et m'entraîne dans un coin. Je venais de répondre à une de ses lettres dans laquelle il m'interrogeait sur la date de remise de mon manuscrit. "Alors, dites moi cher ami, vous en êtes où? vous savez une biographie c'est infini...il faut savoir arrêter ses recherches." Je lui réponds que le temps joue en la faveur des biographes. "Oui et en défaveur des éditeurs", ajoute-t-il en souriant. Tout ça est de bonne guerre. J'ai tranché en fixant une date précise et lui promets de lui rendre mon manuscrit le 1er mars 2008. Donnant donnant, il s'engage à me verser le restant de mon a-valoir. N'étant pas physionomiste, je pratique peu le name-dropping mais entre deux petits-fours je rencontre Raphaël Sorin accompagné de Raphaël Enthoven; Juliette Joste des éditions Flammarion; Christophe Claro traducteur et directeur de collection au Cherche-Midi; Franck Chevalier, Pascal Bories et Jean du magazine Technikart. En partant je visite l'exposition des portraits de Gérard Rondeau et reste un long moment devant une très dure mais très belle photo du "mendiant magnifique", l'écrivain Albert Cossery dont je suis un admirateur inconditionnel.
(1) Nota Bene : Bernard Morlino me signale que l'expression: "Au-delà de 30 000 exemplaires c'est un malentendu" est de Malraux. Merci Bernard!