Sites toxiques
Question : vous avez une vague envie de vous supprimer, Internet va-t-il vous y aider ou vous en dissuader ? Selon une étude (contestée) qui vient de paraître dans le British Medical Journal (1), la réponse est : plutôt vous y aider.
Les épidémiologistes et psychologues britanniques ont relevé trois observations : le réseau est devenu la principale source d’infos du suicidaire ; la plupart des requêtes se font via une simple combinaison de mots-clés entrée dans un moteur de recherche ; les utilisateurs vont rarement voir au-delà de la première page de résultats. Ils ont analysé les dix premiers résultats renvoyés par chacun des quatre principaux moteurs utilisés en Grande Bretagne (Google, Yahoo, MSN et Ask), après y avoir entré une douzaine de requêtes type : «suicide», «méthodes de suicide», «suicide sans douleur», etc. Soit au total 48 recherches renvoyant des liens vers 480 sites.
Promotion. L’expérience était simple, le tri des résultats beaucoup moins. Au terme d’un fastidieux travail d’analyse et de classification, les chercheurs ont établi les choses suivantes. Environ la moitié des sites répertoriés donne des informations plus ou moins précises sur les méthodes de suicides. Un cinquième (90) sont des sites spécialisés sur le sujet, la moitié d’entre eux faisant la promotion du suicide ou facilitant le passage à l’acte, selon les auteurs de l’article. 44 autres sites donnent des informations purement factuelles, présentées avec un ton neutre ou ironique. Les sites dédiés à la prévention du suicide sont au nombre de 62, et ceux qui le condamnent fermement au nombre de 59, etc.
Facteur important dans l’analyse : le rang auquel les liens s’affichent dans les pages de résultats. Il apparaît que les sites de prévention arrivent rarement parmi les premiers. Enfin, dans les forums et tchats, il est intéressant de se pencher sur la manière dont sont conduits les échanges entre ceux qui veulent en finir et ceux qui tentent, plus ou moins adroitement, de les en dissuader.
Optimisation. De tout cela, les chercheurs britanniques concluent qu’à défaut de réguler le contenu du Web, il serait plus judicieux d’utiliser des méthodes d’optimisation afin de faire remonter les sites de prévention en haut des résultats de recherche. Le fait que les moteurs renvoient des listes de liens assez différentes les unes des autres n’a d’ailleurs pas que des raisons techniques : il est clair que les sites vraiment toxiques sont éliminés par les opérateurs eux-mêmes.
Les chercheurs britanniques sont toutefois bien obligés de noter que le taux de suicide chez les 15-34 ans (les plus gros utilisateurs du Net) a baissé en Angleterre depuis le milieu des années 90, parallèlement à l’explosion du réseau. Hypothèse : les cas où Internet aurait facilité un suicide seraient finalement moins nombreux que ceux où il a joué un rôle de prévention. Malgré les «pactes suicidaires» qui ont récemment occupé les rubriques «faits divers» de manière spectaculaire. Et malgré l’apparent désordre du réseau.
Edouard Launet
(1) : BMJ du 12 avril. www.bmj.com/cgi/content/full/336/7648/800
Source : Libération du 24 avril 2008