"Je serai sérieux comme le plaisir" : cette phrase cinglante de Rigaut a inspiré à Robert Benayoun, surréaliste des années 40, le titre d'un film réalisé en 1974, qui aujourd'hui a sombré dans les oubliettes du cinéma. "Sérieux comme le plaisir" avec son étonnant casting a été diffusé sur une chaîne française en 1985. C'est Raymond Borde, le directeur de la cinémathèque de Toulouse qui présenta le film pour les téléspectateurs.
24.4.09
"Je serai sérieux comme le plaisir"
19.4.09
Les abstentionnistes
Artistes sans oeuvres, édition 1997
Réédition salutaire d'Artistes sans oeuvres de Jean-Yves Jouannais : "Rigaut, héros dadaïste sans médaille, écrivain rare - dans au moins deux sens du terme -, se contenta d'incarner au mieux, jour après jour, l'idéal de subversion, de distinction qui l'habitait." Livre de référence, passionnant et instructif, sur ceux qui préfèrent s'abstenir, ceux qui inlassablement disent : "J'aimerais mieux pas." L'ouvrage est préfacé par Enrique Vila-Matas qui s'est souvent penché sur ces déserteurs de l'Art.
JLB
«"L’auteur, dans son œuvre, doit être […] présent partout, et visible nulle part", énonçait Flaubert. C’est l’inverse qui nous intéressera en ces pages : que l’œuvre, chez son auteur, soit présente partout, et visible nulle part.» D’abord paru en 1997 et réédité aujourd’hui avec une préface d’Enrique Vila-Matas - le travail de l’Espagnol et celui de Jean-Yves Jouannais étant évidemment liés, ne serait-ce qu’à travers la fameuse «communauté shandy», artistes réunis par leur œuvre légère et leur droit opposable au bonheur -, cet essai porte un double titre : Artistes sans œuvres, puisque le propos est de se consacrer à ces artistes qui ont fait de leur vie une œuvre d’art sans estimer considérer nécessaire de se démener plus pour faire gagner plus à cette œuvre, la rendre plus publique, et I would prefer not to («Je préférerais ne pas»), puisque la phrase de Bartleby, le copiste imaginé par Herman Melville, est le symbole d’une des stratégies les plus efficaces pour y parvenir («Commis aux écritures, n’est-ce pas la position idéale pour n’avoir pas à commettre d’écriture propre ?»). Le livre de Jean-Yves Jouannais commence avec une citation de Thomas Bernhard dans le Neveu de Wittgenstein, où l’écrivain autrichien rapproche Ludwig, qui «a publié son cerveau», et Paul, qui «a mis son cerveau en pratique», ne publiant par ailleurs rien. «Cette ligne qui partage la famille Wittgenstein traverse également l’histoire de l’art», écrit Jean-Yves Jouannais pour définir son projet et finissant par en arriver à Bouvard et Pécuchet. «Copistes, les deux compères de Chavignolles ont désiré se faire un nom dans quelque science ou dans la pratique d’un art, pour, échecs après débandades, s’en revenir à leur labeur premier. Poussière redevenant poussière sans avoir jamais cessé de l’être.» La poussière est un des thèmes d’Artistes sans œuvres, le livre se réclamant aussi de la double postérité des «héros de l’art brut» de Jean Dubuffet et de celles des «hommes infâmes» dont Michel Foucault rêva de rassembler les vies.
«Pourquoi Jacques Vaché [dont André Breton publia après sa mort une sommaire correspondance, ndlr] apparaît-il comme écrivain dans les histoires de la littérature tandis que Théodore Fraenkel n’est jamais considéré comme un artiste, mais comme un compagnon de route du surréalisme, un témoin, lui qui écrivit certes aussi peu de livres que le premier, c’est-à-dire précisément aucun, mais fut l’auteur d’une correspondance beaucoup plus nourrie ?» Comment Félix Fénéon s’y prit-il pour n’être qu’un «écrivain posthume», publiant sans les signer dans la presse des faits divers de trois lignes dont Jean-Yves Jouannais cite cet échantillon : «Quittée par Delorce, Cécile Ward refuse de le reprendre, sauf mariage. Il la poignarde, cette clause lui ayant paru scandaleuse» ? Quelle ambition animait Jorge Luis Borges, sinon celle de limiter la littérature comme le montre ses phrases : «Délire laborieux et appauvrissant que de composer de vastes livres, de développer en cinq cents pages une idée que l’on peut très bien exposer en quelques minutes. Mieux vaut feindre que ces livres existent déjà, et en offrir un résumé, un commentaire »? Il y a bien, admet Jean-Yves Jouannais, une production de Borges, mais c’est une «production de prévention», une sorte de «coupe-feu, défrichage intelligemment conçu […] destiné à empêcher la propagation des incendies» et, en ce qui concerne l’écrivain argentin, des livres.
Humour et érudition sont les mamelles d’Artistes sans œuvres qui se permet des détours par la fiction (que serait A la Recherche du temps perdu si Félicien Marbœuf n’avait pas existé ?) tout en restant dans le domaine de l’essai. Mais la pensée de Jean-Yves Jouannais ne se veut pas une simple originalité à rebours, l’auteur n’est aucunement le soutien de l’impuissance ou du ressentiment.
Seulement, l’absence d’œuvres n’est pas nécessairement de ce côté-là non plus, à une époque où «bien des artistes véritables se passent de cette publicité souvent vulgaire», «cette publicité» étant l’œuvre elle-même. Loin d’être forcément un événement négatif, ne pas laisser de trace, pour Jean-Yves Jouannais, peut aussi être «plutôt la caution d’un projet hédoniste où la discrétion le dispute à la passion». «Pour faire pièce à ce que la mauvaise foi des tenants de l’art comme religion, la duplicité des marchands-gestionnaires de stocks, la crispation des théoriciens en mal de matériels», pour rester à l’écart de tout marché d’art, la «figure lumineuse et libre de l’artiste sans œuvres» serait le recours sans recours de certains «artistes véritables»
JEAN-YVES JOUANNAIS Artistes sans œuvres. I would prefer not to Verticales/phase deux, 212 pp., 17,90 euros.
Mathieu Lindon / Libération
13.4.09
En boucle
"Le Feu follet est un film qu'on peut voir cent fois, mille fois. On peut le voir en plein air, dans des salles vides, des ciné-clubs de province, sur des chaînes cablées, dans ses versions DVD. On peut le voir à plusieurs ou accompagné, en semaine ou le dimanche soir, vautré sur un canapé avec une boîte de Fingers Cadbury." (Eric Neuhoff in Les insoumis, Fayard, mars 2009)
7.4.09
"Une prise et la terre tourne." (Jacques Rigaut)
Les Cahiers de Libération sont à vendre. Plus exactement, quelques rares exemplaires de cette revue parue lors de la dernière guerre seront proposés demain à Paris chez Sotheby’s, lors la dispersion aux enchères de la bibliothèque de Christophe d’Astier (libraire, éditeur, bibliophile).
Cet ensemble inclut - pour un petit tiers - la bibliothèque du père de Christophe, Emmanuel d’Astier de la Vigerie (1900-1969), le fondateur du mouvement de résistance «Libération Sud». Il édita le quotidien Libération première manière (le titre sera cédé en 1973 à Jean-Paul Sartre et Serge July), ainsi qu’une petite revue, les Cahiers de Libération, qui connut quatre numéros tirés à très peu d’exemplaires entre septembre 1943 et mars 1944. Y ont écrit, sous pseudonyme, Aragon, Bernanos, Camus, Eluard, Paulhan et Seghers, entre autres. Le numéro 1 contient la première publication du Chant des partisans, ainsi qu’un édito qui s’achève par ces mots : «Il faut que dans l’ombre, sous la menace, la pensée française cherche ses thèmes pour demain […]. Voilà pourquoi nous offrons à l’élite intellectuelle, contrainte à se taire, une tribune».
Le reste de la vente est composé principalement d’éditions originales des bons auteurs du XXe siècle, avec en particulier de nombreux ouvrages de Georges Bataille. Soit au total environ 400 lots évalués à plus de 500 000 euros.
Addiction. Il flotte sur cette bibliothèque un parfum d’érotisme et de drogues. Côté psychotropes, Opium de Jean Cocteau, Connaissance par les gouffres d’Henri Michaux, Toxique de Françoise Sagan (illustrations de Bernard Buffet), l’Opium d’Albert de Pourville, De la recherche toxicologique de la cocaïne du Dr Sonnié-Moret, etc. Emmanuel d’Astier fut lui-même fumeur d’opium, jusqu’à l’invasion allemande qui le fit partir dans le sud où il soigna son addiction à coups de bains chauds. Dans un registre connexe, quelques rares manuscrits de Jacques Rigaut, dont la toxicomanie puis le suicide ont inspiré à Pierre Drieu La Rochelle le Feu follet, la Valise vide et l’Adieu à Gonzague.
Au registre photos, car il y en a aussi, un peu de tout : des portraits par Lee Miller (dont celui d’Astier), par Man Ray (dont Drieu et d’Astier, qui furent amis avant de devenir ennemis politiques), un cliché fait par Lewis Carroll évalué entre 12 000 et 14 000 euros, et, plus récent, un recueil de Larry Clark sur les junkies à Tulsa dans les années 60.
Sacrifice. Le clou de la vente est le seul exemplaire connu de la plaquette A partir de maintenant…, réalisée par Georges Bataille pour les membres de la société secrète Acéphale. Il s’agissait, entre autres, d’aller faire un sacrifice humain dans la forêt. La plaquette comprend un plan des lieux. Faute de victime consentante, Bataille se proposa, mais les autres refusèrent. Estimation: entre 14 000 et 18 000 euros.
Edouard Launet / Libération du 7/04/09
2.4.09
Juliette tourne la page Flammarion
"Juliette Joste quitte Flammarion où elle occupait le poste d'éditeur pour la littérature française. Elle y a édité près de deux cents titres. Entrée en 1993 au département international après avoir été agent avec Olivier Nora au Bureau du livre français à New York, elle devient ensuite éditeur et travaille avec Raphaël Sorin, Frédéric Beigbeder, Teresa Cremisi et Gilles Haeri. Désireuse de mettre son expérience au service de nouveaux projets (accompagnement d'auteurs, élaboration et apport d'idées, partenariats.), Juliette Joste assurera également des missions spécifiques (événementiel, enquêtes prospectives...) dans le domaine éditorial."
J'ai publié deux livres chez Flammarion (période Raphaël Sorin) sous la responsabilité éditoriale de Juliette Joste : une anthologie de correspondance amoureuse et une compilation des romans d'Emmanuel Bove. Je garde un excellent souvenir de cette collaboration et souhaite à Juliette de nouvelles et belles aventures dans la République des Lettres.
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