Roger Gilbert-Lecomte en 1924
Étrange révélation la semaine dernière grâce à mon ami Henri Graetz, violoniste talentueux, debordien et probablement le dernier dadaïste belge au XXIème siècle. Henri se trouvait à Paris pour y répéter avec la blonde diva Arielle Dombasle qu'il accompagne sporadiquement dans ses tournées. Il m'apprend alors que l'égérie de Rohmer lui a demandé de tenir le rôle d'un opiomane dans le film qu'elle est en train de réaliser au sujet de Cocteau (période dada). Nous décidons de nous retrouver sur le plateau du tournage pour y discuter littérature entre deux prises (sans mauvais jeu de mots). Je me retrouve donc au milieu de la nuit dans un vaste appartement haussmannien des beaux quartiers , vidé de son mobilier et envahi par toutes les personnes qu'on retrouve habituellement au générique de fin d'un film. Une atmosphère très Roaring Twenties... hors-champ des costumes d'époque attendent sagement sur les cintres, les maquilleuses s'affairent autour de Julie Depardieu travestie en une sorte de Mata Hari toxique, pendant que les accessoiristes préparent la machine à fumée pour les volutes opiacées qui planent au-dessus des têtes des fumeurs allongés sur d'épais coussins rouge sang. Je croise Grégoire Colin, acteur au visage lunaire, assez persuasif dans le rôle de Cocteau. Henri me présente à Arielle qui se souvient des détails de la mise en scène du suicide de JR. L'ambiance du plateau me fait songer à la scène de la fumerie dans le Feu follet et au monologue d'Urcel : "La désintoxication, drôle de chose.. Pourquoi fait-on semblant de se désintoxiquer, mon dieu? ... Par gentillesse, pour faire plaisir à quelques amis inquiets, pour ne pas laisser toute cette pauvre humanité seule dans son malheur..." Henri profite des nombreuses périodes d'attente de tournage pour me montrer ses dernières emplettes littéraires, dont un exemplaire de l'édition originale des oeuvres complètes de Roger Gilbert-Lecomte, le Tome 2 consacré à l'oeuvre poétique, publié chez Gallimard en 1977, ouvrage quasiment introuvable et malheureusement jamais réédité. Je feuillette au hasard le précieux livre et tombe en arrêt sur un poème qui semble avoir été écrit en hommage à Jacques Rigaut, même si "Rog-Jarl" l'a dédié à Arthur Adamov. Le poète du Grand Jeu connaissait l'existence de Rigaut et avait probablement lu ses textes. Reste à trouver la date d'écriture de ce poème dont le contenu ressemble de façon frappante à l'histoire tragique de Lord Patchogue, l'homme qui a traversé les miroirs.
L’éternité en un clin d’œil
Quiconque voit son double en face doit mourir
Échéance du drame au voyant solitaire
Miroir un œil regarde un œil qui le regarde
Offert et renoncé pur don et dur refus
D’étrangère qui n’en peut plus qui n’en peut plus
Donatrice abreuvée aux sources des insultes
Hantise du reflet glacial ombre vaine
De ce double avéré plus soi-même que soi
Simulacre nié de menteuse lumière
Perdue aux ondes d’ombre aux sombres eaux de mort
Miracle du regard regardant l’œil qui darde
Un inverse regard vigilant assassin
Provocateur
Assassinat se dit suicide au jeu mortel
Immortelle qui passe à travers le miroir
Pupille que contracte un acte pur détruire
C’est l’étoile-fantôme à l’âme de feu noir
Le point nul en son propre intérieur vibrant
L’œil dévorera l’œil au point nul éternel