"Je travaille en
ce moment à un guide de Paris où j'ai choisi de parler des XIXe et XXe
arrondissements , ce qui m'a conduit à faire quelques balades assez déprimantes
aux abattoirs de la Villette et aux Buttes-Chaumont", écrit Henri Calet à
son ami Georges Henein le 30 mars 1949. Ce "guide de Paris" restera
inédit jusqu'à aujourd'hui. Le grand exhumateur de Calet, Jean-Pierre Baril, nous
explique dans une éclairante préface le cheminement compliqué de ces balades
parisiennes que l'auteur de Peau d'ours
tentera vainement de publier entre 1950 et 1955, sous le titre Huit quartiers de roture. Henri Calet
est le chef de file cette littérature dite arrondissementière, ce journalisme
intimiste où l'auteur invite le lecteur à le suivre dans une déambulation
autobiographique et poético-littéraire des quartiers de Paris, en dehors des
sentiers battus. Pour son projet, Calet rassemble quelques-uns de ses articles
d'écrivain-voyageur en zone urbaine, déjà parus dans la presse, puis arpente
les rues des XIXe et XXe arrondissements qui lui sont familiers, puisqu'il
s'agit de sa terre natale. Comme le souligne Jean-Pierre Baril, Calet se met
"à l'écoute de lui-même, de ses sensations, et du bruit de son pas sur
l'asphalte. C'est le bruissement de la ville, c'est son cœur, c'est son
battement secret qui l'intéresse." Malgré un contrat d'édition signé, le
projet achevé restera dans les archives de l'écrivain. Pour autant, Calet ne se décourage pas et
propose l'adaptation radiophonique de
son projet au directeur de la Radiodiffusion française. Huit quartiers de roture sera finalement diffusé sur les ondes
françaises durant l'automne 1952. Le Dilettante qui publie aujourd'hui les
versions inédites du texte a eu la bonne idée d'insérer dans l'ouvrage un CD
comportant de larges extraits de la version radiophonique. On peut y entendre
avec émotion la voix chaleureuse et rocailleuse de Calet qui lit son texte avec
une diction merveilleuse, parfois teintée d'ironie, un montage poétique de
narration et de musique, une mise en ondes parfaitement réussie. "J'aime
ces faubourgs pauvres où il n'y a rien à voir. On croise le minimum de gens, on
se sent presque seul, on s'enfonce dans une agréable mélancolie, au risque d'y
perdre pied, insensiblement", écrit Calet, aux environs de la place
Gambetta. Puis, il invite le lecteur à suivre ses pas dans les allées ombragées
du cimetière du Père-Lachaise. On contemple avec lui la vue panoramique sur
Paris, de la terrasse de la chapelle, d'où Rastignac lança sa fameuse
apostrophe à la capitale : "A nous deux maintenant!" A son habitude,
Calet apporte quelques touches humoristiques qui rendent la balade souriante,
dans un lieu qui, au premier abord, n'incite guère à sourire : "Je ne rencontrais
personne, hormis quelques vieillards assis légèrement sur des bancs où l'on
dirait qu'ils cherchent à prendre des habitudes." Après le succès de
l'adaptation radiophonique de ses promenades, Calet fit une dernière tentative
pour publier Huit quartiers de roture.
Les éditions Grasset et d'autres maisons refuseront le manuscrit. Calet aurait
aimé poursuivre ses dérives psychogéographiques à travers la ville, et écrire un livre sur
Paris, arrondissement par arrondissement. La maladie l'en empêchera. Son cœur usé
s'arrêtera de battre un 14 juillet 1956. Quelques jours avant sa mort, il
écrira ces notes dans son agenda : « C’est sur la peau de mon cœur que l’on
trouverait des rides. Je suis déjà un peu parti, absent. Faites comme si je
n’étais pas là. Ma voix ne porte plus très loin. Mourir sans savoir ce qu’est
la mort, ni la vie. Il faut se quitter déjà ? Ne me secouez pas. Je suis plein
de larmes. »
Henri Calet, Huit quartiers de roture, établissement
du texte, notes, préface et postface de Jean-Pierre Baril, un CD inclus,
éditions Le Dilettante, mai 2015, 19 euros.