8.2.16

Le centenaire de Dada

Extrait du documentaire Viva Dada

Depuis Fitzgerald, on sait que la Suisse est un pays où fort peu d'histoires commencent, mais beaucoup s'y terminent. Une formidable histoire a pourtant débuté en Suisse. Il y a 100 ans exactement, avec l’ouverture en février 1916, à Zurich, d’une éphémère boite de nuit, le « Cabaret Voltaire », d’où vont surgir des étincelles de révolte, puis un incendie insurrectionnel et subversif qui va se propager comme une traînée de poudre à travers le monde : le mouvement Dada. La date exacte de la naissance de Dada est sujette à discussion. Certains évoquent le 5 février 1916,  date de l'ouverture du Cabaret Voltaire, d'autres, plus prudents parlent d'un "soir de février 1916". Les acteurs du mouvement affirment eux que Dada est né le 8 février 1916, lors d'une réunion agitée au fameux cabaret.

 Les dadaïstes historiques se disputeront également l'invention du mot Dada. Huelsenbeck déclarera avoir trouvé le mot par hasard avec Hugo Ball, en feuilletant un dictionnaire franco-allemand. Hans Arp s'amusera à nourrir la polémique en écrivant : "Tzara a trouvé le mot Dada le 8 février 1916 à 6 heures du soir; j'étais présent avec mes 12 enfants lorsque Tzara a prononcé pour la première fois ce nom qui a déclenché en nous un enthousiasme légitime. Cela se passait au café Terrasse à Zurich et je portais une brioche dans la narine gauche."

Dada est donc centenaire. Plus de 40 institutions en Suisse et à l'étranger célébreront cet anniversaire in situ ou sur la toile, avec des expositions, conférences, un bal costumé et même une présentation de recherches sur les traces de Dada en Inde… Le programme détaillé en ligne de ce centenaire reste fidèle à l'esprit Dada. J'ai cherché en vain dans l'agenda dada un événement à Paris, haut-lieu de la révolte dadaïste, nada!, même pas une petite réunion sous le crachin parisien, dans les jardins de l'église Saint-Julien-le-Pauvre.

 Les dadaïste parisiens pourront toujours se consoler en effectuant lors d'un dimanche forcément pluvieux un pèlerinage sur les tombes de Jacques Rigaut et de Philippe Soupault, au cimetière Montmartre. Puis, ils regarderont sur Arte le dimanche 14 février à 17h35, Viva Dada, un documentaire de Régine Abadia qui raconte l'aventure internationale de Dada. Le documentaire révèle un "scoop": la parution prochaine du recueil de textes dadaïstes  Dadaglobe , un projet éditorial de Tzara, qui devait être édité en 1921. Grâce aux recherches de l'historienne américaine Adrian Sudhalter, ce livre-objet sera enfin édité en 2016. Cerise sur le gâteau,  du 5 février au 1er mai 2016, l'exposition «DadaglobeReconstructed» à Zurich au musée Kunsthaus réunit l'ensemble des œuvres dada présentes dans le livre. Un voyage à Zurich s'impose.

 En janvier 1921, Tzara  annonçait la parution de Dadaglobe, « ouvrage des dadas de tous les pays du monde  » et dressait la longue liste des collaborateurs de cette internationale dada parmi lesquels on trouvait Jacques Rigaut. La liste des noms sera reproduite dans l’unique numéro de la revue New York Dada qui paraîtra confidentiellement en avril à New York. Quant au dossier  de Dadaglobe retrouvé dans les archives Tzara, il comporte une chemise qui contient les manuscrits destinés à paraître dans l’anthologie dadaïste. Parmi les manuscrits, celui de Jacques Rigaut  Un brillant sujet , un « roman » de quelques feuillets, qui, le projet abandonné, paraîtra un an plus tard dans la revue Littérature

On retrouve dans ce récit dédié à Breton (que son auteur sous-titre ironiquement roman) le personnage suicidaire au nom évocateur de Palentête. Ce « jeune homme sentimental » compte refaire sa vie grâce à une machine à remonter le temps en forme d’œuf géant. Cette recherche désespérée du temps perdu le mène au bord du suicide quand il se retrouve parmi ses anciennes maitresses comme un rival de lui-même. Il décide alors de poursuivre son voyage dans le temps jusqu’à la Genèse et commence un révisionnisme de l’histoire avec une injection de cyanure dans les veines d’un enfant de Judée nommé Jésus ou la mutilation du nez d’une fillette d’Egypte s’appelant Cléopâtre. Palentête revisite également l’histoire littéraire en déposant entre les mains d’Homère un recueil de poèmes de Tzara et les Lettres de guerre de Jacques Vaché… Rigaut a construit son texte suivant le principe d’écriture de l’hypothèse scientifique, comme une expérimentation sur un personnage viscéralement suicidaire. On espère retrouver Palentête et Jacques Rigaut à Zurich.

Ce post est dédié à Marc Dachy (1952-2015)