Evénement aux éditions Séguier, cet
"éditeur de curiosités" vient de publier les mémoires du cinéaste
Jean-Charles Tacchella que les cinéphiles connaissent bien, de la même famille
que Pascal Thomas ou encore Jacques Rozier (une pensée pour l'acteur Yves Afonso,
disparu récemment, inoubliable dans Maine Océan). Jean-Charles Tacchella, le réalisateur de Cousin,
Cousine, mais également d'Escalier C, film mythique des années 80. A l'époque, beaucoup avaient été marqués par
cette émouvante chronique de la vie quotidienne d'un immeuble parisien, par sa
mise en scène époustouflante, dont l'axe central se réduit à une cage
d'escaliers. De nombreux cinéphiles se demandent aujourd'hui ce qu’il est
advenu de Jean-Charles Tacchella… La thébaïde de Jean-Charles Tacchella se
trouve dans une petite rue presque provinciale à Versailles, une maison étroite
toute en hauteur, ses trois étages remplis du sol au plafond de livres et de films. C'est un jeune homme
de 90 ans qui vous ouvre la porte de cette caverne d'Ali Baba
cinématographique. Un dandy au regard malicieux qui vous propose de partager
une bouteille de Ruinart au beau milieu de l'après-midi. Jean-Charles Tachella
est à l'image de ses films : chaleureux et généreux, tendre et espiègle. C'est
un passionné de cinéma. Dès l'âge de douze ans, il fréquente assidument les
salles obscures, où il découvre avec enthousiasme le cinéma américain en
dévorant les films de Tay Garnett, Franck Capra, Ernst Lubitsch, Frank Borzage
et William Wellman. Une des plus belles familles du cinéma hollywoodien.
L'adolescent s'évade grâce au cinéma, surtout le mercredi de 12h à 22h, car
pour le même prix, on peut y voir les trois films de la semaine écoulée et les
trois films de la semaine à venir. A cette époque, le cinéma français est
également au meilleur de sa forme. Quand il rentre le soir chez ses parents,
Tacchella leur raconte les films de Carné, Delannoy, Renoir, Cocteau, Duvivier,
Becker, Clouzot… En 1940, Marseille se trouve en zone libre, Tacchella
émerveillé croise sur la Canebière les acteurs qu'il a vus sur l'écran : Raimu,
Charles Trenet, Maurice Chevalier, Jules Berry… Tacchella est fou de cinéma,
mais également de littérature et de jazz. Après un concert au Hot Club marseillais,
il explique à un Django Reinhardt médusé, pourquoi il trouve exceptionnelle sa
manière de jouer. C'est en 1945, dans un Paris libéré que le jeune homme peut
enfin vivre de sa passion en étant journaliste à L'Ecran français, un
hebdomadaire consacré au Septième Art. Grâce à ce poste, il rencontre tout le
gotha du cinéma mondial et se lie d'amitié avec certains, comme le réalisateur
et acteur Eric Von Stroheim, pour lequel il a la plus grande admiration. Il
confie au cinéaste autrichien son envie naissante de faire des films. Au début
des années 50, Tacchella quitte le journalisme pour devenir scénariste. Il
collabore à plusieurs films de son ami Yves Ciampi, le réalisateur des Héros
sont fatigués. Il écrit également le scénario du film iconoclaste Les honneurs
de la guerre de Jean Dewever, qui sera censuré par le pouvoir gaulliste, parce
qu'il égratigne l'image manichéiste d'une France divisée entre les bon
résistants et les méchants collaborateurs. Durant l'été 1961, Tacchella
s'installe en Provence à Roussillon, où il achète une maison pour le prix d'une
chambre de bonne à Paris, avec vue sur le Mont Ventoux et les ruines du château
du Marquis de Sade. Ses amis parisiens l'imitent, à l'instar du comédien
Maurice Ronet, qui devient propriétaire d'une maison à Bonnieux, un village
voisin. Suite au succès du Feu follet, Ronet demande à Tacchella d'écrire avec
lui son premier film en tant que réalisateur : Le voleur du Tibidabo. Lassé de
ne pas trouver des financements pour ses projets de films, Tacchella accepte
aussi de travailler comme scénariste pour les premières séries à la télévision
comme Vive la vie ou Allo Police. En 1969, il tourne enfin son premier film Les
Derniers hivers, un court métrage sur les affres du troisième âge. La
comédienne Ginette Mathieu avec laquelle il vient de se marier, y tient un
rôle. Elle s'occupera ensuite de la distribution de ses films. Après avoir
écrit quelques pièces de théâtre, Tacchella réalise en 1973 son premier
long-métrage : Voyage en Grande Tartarie, une fable poétique et surréaliste
avec Jean-Luc Bideau et Lou Castel. Le film ne trouve pas son public. En 1975,
le réalisateur connaît son premier vrai succès populaire avec le film Cousin,
Cousine. Une savoureuse comédie vaudevillesque aux accents lubitschiens, dans laquelle
excellent Victor Lanoux le cousin, Marie-Christine Barrault la cousine et le
magnifique Guy Marchand dans le rôle de l'époux volage. Suite à ce succès,
Tacchella peut enfin tourner le film qui lui tient à cœur : Le Pays Bleu, une chronique provençale
panthéiste, dans la lignée des livres de Giono. Brigitte Fossey irradie de
beauté et de vitalité, dans un Luberon qui n'est pas encore une carte postale
de résidences secondaires pour happy few fortunés. Un film nostalgique qui
rappelle la réflexion ironique du moraliste Baudouin de Bodinat sur le goût
perdu de la tomate d'aujourd'hui : "Admettons que le regret exagère la
saveur des tomates d'alors, encore fallait-il qu'elles en aient quelque peu;
qui se souviendra plus tard, s'il reste des habitants, de celles
d'aujourd'hui?" Le retour à la ville se fait avec Il y a longtemps que je
t'aime, une errance poétique dans les alentours de Beaubourg, l'histoire tendre
et douce-amère d'un couple joué par Jean Carmet et Marie Dubois, qui se sépare
pour mieux se retrouver. En 1981, année mitterrandienne, Tacchella dans Croque
la vie aborde le thème des rêves de jeunesse qui se heurtent à la réalité du
quotidien. Le film est également un hommage au scénariste Paul Gégauff, qui
mourra deux années plus tard, poignardé par sa jeune compagne norvégienne,
après lui avoir lancé : "Tue-moi si tu veux, mais ne m'emmerde pas!".
Les années 80 n'épargnent pas le réalisateur.
Nombre de ses amis disparaissent, dont le feu follet Maurice Ronet. Sa
femme "Gigi" est renversée par un chauffard, un accident dont les
complications entraîneront au fil du temps une invalidité permanente. C'est
durant cette période sombre que Jean-Charles Tacchella va réaliser l'un de ses
meilleurs films, celui qui marquera toute une génération de cinéphiles :
Escalier C. Tourné en trente-cinq jours, principalement en studio, ce huis-clos
dans les parties communes d'un immeuble parisien est une fresque émouvante du
microcosme humain, réalisé dans la tradition cinématographique de Jacques
Becker et de René Clair. Incarné par l'impeccable Robin Renucci, le personnage
principal Forster, un faiseur à la répartie d'Oscar Wilde semble mépriser ses
voisins de palier interprétés par Jean-Pierre Bacri et Jacques Bonnaffé. A ce
triptyque d'acteurs qui crève l'écran, s'ajoute une ribambelle de personnages
tous aussi attachants les uns que les autres, joués entre autres par Catherine
Frot, Claude Rich, Michel Aumont, Jacques Weber, Hugues Quester et Fiona Gélin
. Cette dernière, dans une scène d'anthologie, montre en vain ses (jolis) seins
à Renucci. Grâce au succès d'Escalier C, le réalisateur trouve les financements
pour tourner Travelling avant, un film sur l'un de ses thèmes de prédilection :
la cinéphilie dans l'après-guerre. En 1945, la télévision n'existait pas encore.
La jeunesse d’alors se précipitait dans les salles obscures pour s'émerveiller
et oublier les horreurs de la guerre. Travelling avant raconte une belle
histoire d'amour d'adolescents qui partagent la même passion pour le cinéma.
Une véritable mise en abyme cinématographique, interprétée par un merveilleux
trio de jeunes acteurs : Ann-Gisel Glass, Thierry Frémont et le regretté Simon
de la Brosse, qui mettra fin à ses jours en 1998. Jean-Charles Tacchella aura
eu trois grandes passions dans sa vie : les femmes, le cinéma et la
littérature. Dames galantes, son film suivant, les réunira sur le grand écran.
Une adaptation cinématographique de la vie de Brantôme, médiocre militaire
français du XVIème siècle, qui ne vivait que pour l'amour des femmes et qui,
pour leur rendre hommage, se fera écrivain. Il rédigera Vie des dames galantes,
ses mémoires amoureuses, qui seront publiées selon sa volonté après sa mort.
Bohringer incarne Brantôme, et pour ses maîtresses, Tacchella s'offre un
casting féminin de rêve : Isabella Rossellini, Marianne Basler et Laura Betti.
Dans L'Humanité Dimanche, le critique Claude Sartirano écrit : "En disant
que le bonheur sur terre est auprès des femmes et qu'aimer la vie n'est pas
provoquer Dieu, le mécréant Jean-Charles Tacchella a réussi un film joliment
plaisant." De tous les films qu'il a réalisés, Tacchella considère ses
Dames galantes comme l'un de ses films préférés. Le "cinéaste du
bonheur" poursuit son introspection du couple avec le film L'homme de ma
vie, l'histoire d'une rencontre improbable entre un bouquiniste misanthrope
sans-le-sou (Thierry Fortineau) et une chômeuse en quête d'un mari fortuné
(Maria de Medeiros). Lors d'une
projection du film aux Etats-Unis, un spectateur s'adresse au réalisateur :
"Mais quel âge avez-vous donc pour faire des films aussi jeunes? On les
croirait réalisés par un cinéaste de vingt-cinq ans!" Quant à Quentin
Tarentino, c'est en voyant L'homme de ma vie, en 1992, qu'il découvre Maria de
Medeiros. Suite à cette projection, il confiera à l'actrice le rôle de la
petite amie française de Bruce Willis dans Pulp Fiction. Pour son film suivant,
Tacchella décide de tourner outre-Atlantique, à Sarasota en Floride. Ce sera
Tous les jours dimanche, une comédie picaresque, un hymne à la paresse au soleil
avec Thierry Lhermitte dans le rôle du bienheureux, et l'acteur italien
Maurizio Nichetti en complice d'oisiveté. Une coproduction
franco-italo-américaine avec une star made in USA : Rod Steiger. Le film reçoit
un accueil mitigé. La critique trouve que la fable manque de sérieux. Pour un
cinéaste qui avoue "ne rien prendre au sérieux et prendre tout au
sérieux", c'est un compliment. En 1999, Tacchella réalise son onzième et
dernier long métrage, Les gens qui s'aiment, qui évoque le plaisir mais aussi
la difficulté pour des solitaires de vivre à deux. Deux couples de génération
différente à la recherche de l'amour qui va vite et qui dure toujours. Le
quatuor se compose de Richard Berry dans le rôle du quinqua désabusé,
Jacqueline Bisset la quadragénaire ambitieuse, Bruno Putzulu l'épicurien lettré
et Julie Gayet, la jeune femme sans concession aujourd'hui petite amie d'un ex-Président. Le public ému applaudit, la critique boude. Durant quelques années,
le cinéaste consacre son temps à écrire des scénarios et chercher des
financements pour en faire des films. Malgré le soutien de comédiens de renom,
les producteurs et distributeurs se détournent du réalisateur, pas assez
"bankable" pour eux. Un critique écrit : "Jean-Charles Tacchella
n'est pas branché pour un sou, ce qui compromet ses chances au box-office. Il
n'est pas du genre à filmer des taxis qui volent ou des acteurs animés par
ordinateur." En 2005, le cinéaste décide de se faire une raison et fait
ses adieux au cinéma, sans regrets. Depuis qu'il ne fait plus
de films et qu'il vit, comme l'écrivait Huysmans « loin de l'incessant déluge
de la sottise humaine", pour le plus grand bonheur des cinéphiles, Tacchella
a eu le temps d'écrire ces 944 pages de souvenirs qui sont jalonnés par autant
d'anecdotes. Tacchella rêve souvent la
nuit qu'il tourne encore et encore… A la première page de son carnet de notes,
on peut lire cet aphorisme qui le définit bien : "Plus les années passent et
plus j'ai peur de mourir jeune." On lui souhaite de vivre encore quelques
belles années .
Du côté de Jacques Rigaut, je vous invite à visiter
le compte instagram que je lui ai dédié. Le travail éditorial de la biographie
est en cours…