La première traversée
Aller-retour au Havre. Dans le train, je reçois un texto de Charlotte : " Si Jacques est passé par ici, Jean-Luc repassera par là. Bon courage et bonnes recherches. Bisous." Le bureau de l'association French Lines qui conserve les archives de la Compagnie Générale Transatlantique se trouve dans la zone portuaire du Havre. Effectivement J.R est passé par ici, la valise pleine... pour embarquer sur l'un des 11 paquebots de la compagnie. Le 17 novembre 1923 exactement. Dans les archives, je retrouve même l'heure d'embarquement... Les informations du Havre recoupent celles que j'ai trouvées à New York. J'éprouve une joie silencieuse à pouvoir ajouter quelques pièces au puzzle... Dans le train du retour, épuisé, je sombre dans les bras de Morphée.
Ai reçu un mail très touchant de O.
"je me méfie beaucoup des compliments, vous aussi très certainement, mais à quatre heures du matin - les deux dernières passées avec le tendre JR et toute votre ferveur - je tenais tout de même à saluer sincèrement votre travail.
merci.
le web, vous l'aurez remarqué sans moi, est une telle mare que l'on se retrouve presque étonné d'y trouver des choses justes.
je ne sais plus déjà par quels chemins j'ai découvert votre "blog".
la tristesse, je crois.
une photo dans la tête - Rigaut, Tzara, Breton - c'est cette photo parue dans le merveilleux petit bouquin de Marc Dachy sur Dada, vous savez : Rigaut rêveur et vrai - Tzara mobile, hors de sa propre image, échappé - Breton superbe et hiératique, qui pose.
à des moments très durs il y a des mots de Rigaut qui m'ont peut être sauvée. ironie suprême ?
"se passer la main sur le visage, la crainte angoissée de n'y plus trouver ni nez, ni bouche, tous traits effacés comme sur un dessin..."
et vous, cette nuit, vous êtes là, vous donnez à lire le cheminement difficile, passionné de votre enquête, une enquête nécessaire et puis vous me rassurez follement.
j'ai 24 ans. je méprise l'université française, que je ne connais pas, que je ne veux pas connaître.
il paraît que la littérature s'étudie - il paraît également que j'écris un mémoire de maîtrise sur le sublime insaisissable Arthur Cravan.
un an déjà que Cravan me nourrit, me protège, m'amène à avancer - un an que je me dégoûte par avance d'oser le fixer dans le cadre accepté de quatre-vingt pages dactylographiées et notées.
et vous, vous respirez Rigaut, vous l'accompagnez fidèlement, vous l'écrivez et vous ne le défigurez pas pour autant...
je vous le dis encore : ça me rassure follement.
je n'ai pas d'idôlatrie béate ni pour Cravan, ni pour Rigaut, ni pour mes grands alliés Breton, Aragon, Péret, ou Desnos
mais j'ai peur, à lire des papiers ou à écrire une absurdité universitaire moi-même à leur sujet, de tomber dans le piège du mythe, de faire du Spectacle inutile (brasser du vent, en faire des têtes jivaro)
vous, vous écrivez l'homme Rigaut
cela me semble suffisamment rare pour mettre des mots de remerciements sur ces espèces de larmes qui me montent aux yeux en absorbant encore cette nuit son sourire, sa maison, sa vision, ses mots
et puis les vôtres qui accompagnent, au sens le plus noble du terme
voilà
je vous souhaite de très belles, très fructueuses heures de travail
de formidables découvertes, et de somptueuses bibliothécaires
tout cela est important...
bien à vous,
O."