31.12.11
Le dernier post
Jean-Jacques Lévêque dans les années 70
C’est avec tristesse que j’ai appris la disparition de l’historien d’art et écrivain Jean-Jacques Lévêque (1931-2011) dont je lisais avec un plaisir chaque fois renouvelé les chroniques érudites et élégantes qu’il publiait sur son passionnant blog « Tribune autour de l’art et de la littérature ». Jean-Jacques Lévêque a été emporté par une crise cardiaque le 5 décembre dernier à l’âge de 80 ans. Ses filles soulignent qu’il était « très fier de son blog » et qu’il « lui a permis de continuer son activité d'auteur, d'amoureux de l'art, et de partager ses curiosités avec vous tous. » Ancien élève de l’Ecole du Louvre, Jean-Jacques Lévêque désirait être archéologue, devint critique d’art, libraire et galeriste. Auteur prolixe (sa bibliographie au catalogue de la BNF comporte 122 notices), il publia de nombreux essais et monographies sur des écrivains et artistes (Antonin Artaud, Piranèse, Caillebotte, Madame de Sévigné, ainsi que la plupart des impressionnistes), mais également sur les périodes phares de l’art moderne dont celle des Années Folles. Il collabora aussi à de nombreuses revues d’art, journaux et magazines (Arts, Nouvelles Littéraires, Quotidien de Paris, Quotidien du médecin, Figaro, Cimaise, NRF), fut chroniqueur pour France Culture et publia deux romans au Mercure de France : Tentative pour un itinéraire et L’aménagement du territoire. Dans les années 80, il sera directeur littéraire aux éditions Pierre Horay où il publia lui-même des essais sur la ville de Paris. Par ailleurs, Jean-Jacques Lévêque était un lecteur assidu du blog Rigaut, il consacrera sur son blog quatre chroniques à l’auteur de Lord Patchogue. Dans son livre Le triomphe de l’art moderne, Les années folles, 1918-1939, paru en 1992 aux éditions ACR, il rédigera un article sur la mort de Jacques Rigaut : « Au terme d’une vie bancale, où la mondanité côtoie la solitude, l’alcool et la drogue les belles manières, et le luxe canaille la politesse des bars cosmopolites, Jacques Rigaut se tue d’une balle dans le cœur. De cliniques en pensions de famille, il avait abouti au terme d’une lente déchéance de l’âme et du corps prématurément usé par l’alcool, la vie nocturne et tous les plaisirs dispensés par une vie libre et mondaine, dans le creuset sombre et romantique de la Vallée aux Loups où flotte un air « d’ailleurs », et d’un autre temps, avec le fantôme de Chateaubriand pour les plus imaginatifs, parce que celui-ci y planta les arbres de son parc au terme d’une vie dont le brillant ne cache pas l’exaltation angoissée. Rigaut à l’ombre croisée d’un grand poète, lui qui ne sut y parvenir, et d’un dandy, lui qui s’y abîma de force et de fatalité. » Le 4 décembre, veille de sa mort, Jean-Jacques Lévêque consacra son dernier post intitulé « Eluard le temps de l’amour » à un poème de Paul Eluard dédié à Nush, l’égérie et femme du poète.
« 16h35 - Rigaut posthume -
Dandy oui, et le suicide pour destin. C'est l'histoire de Jacques Rigaut, personnage emblématique de la mythologie surréaliste. Il a peu écrit, mais intensément, dans l'absolue nécessité de "se dire" (mais aussi de manifester une dose d'humour exemplaire). C'est toute la question de l'écriture. Elle ne peut se résumer à se raconter quand c'est dans la banalité de ce que vit toute personne qui n'a que son destin en main et une mesure banale de la vie.
Elle peut toutefois sortir celui qui la pratique de ses angoisses. Celui qui écrit brise la glace qui l'enserre dit, quelque part Kafka, pour se trouver. Il faut que l'écriture de l'intime soit aussi celle de l'exceptionnel et d'une qualité qui est aussi celle de l'art. Une écriture qui colle à la vie de celui qui en fait un usage comme s'il s'agissait d'une arme. On le sait, l'écriture peut être une arme, elle est aussi un destin.
Pour en savoir plus sur Rigaut, aller à : rigaut.blogspot.com dont est extrait la photo montrant Rigaut en compagnie de Tristan Tzara et André Breton. » (Jean-Jacques Lévêque, post du 27 juillet 2009)
29.12.11
Une descente sans retour
Ukrainia, coal mines in Donbass, 1500 meters
in the underground by Arsen Savadov
"Délire subjectif, dites-vous. ou bien fiction interminable : nous inventons nos archives autant que l'auteur s'invente, s'invente comme un geste, une manière, un style sur quoi il met son nom, s'il le veut, mais qui toujours fait signe vers plus ancien, plus enfoui, plus archaïque. Vers ce que l'archive au singulier ouvre à travers le pluriel des archives : un souterrain le long duquel les documents lentement se fondent dans les parois de ce boyau qui descend plus profond dans la terre. L'archiviste devient mineur, puis spéléologue. Il passe des siphons, descend des puits sur de minces échelles de corde, une lampe fixée sur le front et dont la lumière vacille. Parfois sur une paroi se fait voir un dessin, une encoche, et parfois c'est l'archiviste qui inscrit ses propres traces, celles de son enquête, à moins qu'il ne devienne lui-même le témoin osseux d'une descente sans retour. Un autre viendra demander : qu'est-il arrivé? qu'avait-il trouvé? d'où lui était venue passion si pénétrante?"
(Jean-Luc Nancy, Où cela s'est-il passé?, IMEC éditions, novembre 2011)
23.12.11
Le deuxième oeil
Vincent Maisonobe m'envoie ce document étonnant : une version de l'Oeil cacodylate réalisée par Delaunay. On retrouve entre autres Jacques Rigaut parmi les signataires. Une reproduction de cette oeuvre a été publiée dans la revue "Der Sturm", dernière publication de Dada à Paris, imprimée à Berlin en mars 1922. Selon Fabrice Lefaix, l'exégète de l'Oeil de Picabia, si la graphie diffère pour chaque signature, il s'agirait d'un signataire unique qui s'est amusé à signer pour tous. Joyeuses fêtes à toutes et à tous.
19.12.11
Les Fumées de New York
Le 6 juillet 1923, Rigaut a probablement assisté à la désastreuse soirée du "Coeur à barbe" qui marque la scission définitive entre dadaïsme et surréalisme. Lors de cette soirée, plusieurs films ont été projetés dont "Les Fumées de New York" de Charles Sheeeler et Paul Strand. Pour J.R., il s'agit là d'un avant-goût de sa vie future outre-Atlantique. On imagine facilement sa fascination devant les images impressionnistes du film.
2.12.11
25.11.11
Des nouvelles de Daniel
17.11.11
"Sous le signe de Jacques Rigaut"
"Il n'étalait pas son nom qui avait le lustre de quelques siècles de prestige. Trouvant ses sources dans de lointains tumultes aux bruits sonores des armures qui s'entrechoquent, quelque part du côté de Jérusalem, quand, au nom du Christ, on allait trancher à vif dans le musulman. Autrement dit, il n'était pas fier de ses ancêtres. Au plus près de son corps, si fragile dans la douleur et les excès de plaisirs, il y avait une mère dispendieuse et un peu folle, tenant salon et multipliant des aventures acides avec des freluquets avides de dollars.
Il avait préféré prendre ses distances avec un douteux héritage et vivait de rien, mais surtout de rêves. Sans doute ceux ci n'étaient pas à la mesure de ses ambitions. Il chutait comme les personnages de l'Histoire sainte dont il connaissait par coeur des épisodes entiers, appris dans l'ombre des chapelles qu'enfant il fréquentait au prétexte d'une éducation soignée.
Je l'ai connu au delta de sa déchéance quand d'un cinquième mansardé du côté du Boulevard Saint Michel il s'évadait par champs et bosquets dans un Paris qui le serrait dans ses mauvais souvenirs. Alors il courait les troquets de banlieue, les fêtes foraines (c'était un excellent tireur à la carabine). Avec son air de dandy déjanté je lui trouvais quelque ressemblance avec ces aînés que le surréalisme aimait se trouver pour en célébrer les mérites, quitte à les inventer.
Nous en parlions et il me citait les aphorismes "emplis de dédain" disait-il de Jacques Rigaut, son héros favori.
"Le désir a été la sensibilité de mon enfance" (il ne s'en est jamais remis) et enfin, comme une conclusion : " Je serai un grand mort". Il s'est trompé.
Un dimanche d'hiver alors qu'il s'était habillé comme pour une soirée mondaine (ultimes fastes de ses splendeurs familiales) il prend soin de faire un ménage dans sa chambrette d'étudiant et sort un revolver (dont on connaissait l'existence, il le montrait volontiers) et se tire une balle dans la bouche. La glace dans laquelle il se regardait alors était éclaboussée de tout son sang. Un sang qui avait traversé des siècles d' Hisfoire.
Il aura droit à un entrefilet dans les journaux qu'on lisait chez lui. Son nom seul justifiait cette pieuse attention."
Jean-jacques Lévêque
13.11.11
6.11.11
Cimetière Montmartre, 6 novembre 2011
"Dieu s'aigrit, il envie à l'homme sa mortalité." (Jacques Rigaut)
5.11.11
Comme une évidence
Rencontre avec mon nouvel éditeur Philippe Garnier qui m'annonce deux bonnes nouvelles : pour Béatrice Duval, la remplaçante d'Olivier Rubinstein, la biographie de Rigaut est toujours d'actualité chez Denoël; les éditions Gallimard ont procédé (dans la plus grande discrétion) à une réimpression des Ecrits de Rigaut. La dernière information m'a été confirmée par Franck Chevalier qui m'envoie par mail la photographie de l'achevé d'imprimer, voir ci-dessus.
3.11.11
Sur Vélin Montgolfier
Un exemplaire des Papiers Posthumes est en vente à la librairie Céline Poisat au 102, rue du Cherche-Midi 75006 Paris Tél : 00 33 1 45 48 03 91 / 0033 6 74 78 22 82 / Catalogue 17. Le prix est attractif,cette édition se vend habituellement entre 400 et 450 euros.
18.10.11
29.9.11
La fée verte
Voici l'absinthe ("dont les effets nuisibles sont combattus par le jus du cresson") que buvait Jacques Rigaut en compagnie de Paul Eluard, Philippe Soupault,Théodore Fraenkel et Max Ernst.
21.9.11
SUICIDE MACHINE
"65 peoples lives should be used as a sacrifice to bring Elliott back to life"
Baby got a place in the sun selling people shade
Renting out a room in a remote little corner
A profits promenade
Talking on the phone
Waiting for a ring
Well, everybody's trying to turn me into a suicide machine
I'll be riding forth on my pony
You'll want to see me tonight
Dressed in black up at the line of attack
By my counterpoint in white
Can't look every way
Going to move the street
Everybody's trying to turn me into a suicide machine
Everything's all right
Except for how it seems
And everybody wants to turn me into a suicide machine
Baby got a place in the sun
I had to shade my eyes
I don't think I'll ever know anyone besides you
But it's no surprise
I know what you want
I got what you need
Everybody's trying to turn me into a suicide machine
Everybody's trying to turn me into a suicide machine
Everybody's trying to turn me into a suicide machine
17.9.11
"Je cherche M. Rigaud."
De tous les livres de la rentrée littéraire 2011, je n'en retiendrai qu'un seul paru en 1990 : Voyage de noces de Patrick Modiano. L'élève de Raymond Queneau est une valeur sûre auprès de laquelle on trouve du réconfort à l'instar d'un vieil ami qu'on avait pas vu depuis des lustres. Voyage de noces fait partie de ces livres qu'on savoure lentement, de ces livres qu'on aimerait sans fin. Ce roman raconte la quête obsessionnelle de Jean B. au sujet d'Ingrid Teyrsen, une femme qu'il a connue dans un passé flou et dont il apprend presque par hasard le suicide des années plus tard. Ingrid était mariée à un certain Rigaud... Le biographe d'Ingrid décide alors d'organiser sa propre disparition, quittant sa famille et ses amis pour vivre dans des quartiers périphériques de Paris. Jean B. ressemble étrangement à Charles Benesteau, le personnage principal du roman Le Pressentiment d'Emmanuel Bove. Modiano a probablement lu Bove, mais a-t-il pensé à Jacques Rigaut quand il a écrit ce magnifique roman?
Extrait :
"Je marchais vers la brasserie de l'avenue Daumesnil où j'avais décidé de dîner pour changer mes habitudes. Je me suis mis à penser à Rigaud. Je savais d'avance qu'il ne cesserait d'occuper mon esprit le lendemain et les autres jours. S'il était vivant à Paris, il suffisait de prendre le métro et de lui rendre visite, ou même de composer sur un cadran de téléphone huit chiffres pour entendre sa voix. Mais je ne croyais pas que cela fût aussi simple. Après le dîner, je suis allé consulter dans la cabine téléphoniqe de la brasserie l'annuaire de Paris. Il datait de huit ans. J'ai relu avec une plus grande attention que je ne l'avais fait la première fois la longue liste des Rigaud. Je me suis arrêté sur un Rigaud dont le prénom n'était pas mentionné. 20, boulevard Soult. 307-75-28. Les numéros de téléphone, cette année-là, ne comportaient encore que sept chiffres. 307, c'était l'ancien indicatif DORIAN. J'ai noté l'adresse et le numéro."
8.9.11
L'A.D.S de Marseille
Communiqué du 26 Septembre 2010
Suite à un arrêté municipal, promulgué par Bruno Gilles, sénateur-maire UMP des 4° et 5° arrondissements de Marseille,
l’Agence des Suicides, autrement nommée A.D.S.,
Société reconnue d'utilité publique.
Au capital de : 375, 41 €
Siège Social : Cité des Associations, 93 La Canebière, Boîte n°72, 13001 Marseille
Succursales à Bordeaux, Port-Saint-Louis-du-Rhône, La Ciotat, Chicoutimi, Montréal, Dublin, Moscou, Monté-Carlo, Nice, Lilles, Paris-Roubaix.
Annonce l’annulation du tirage au sort de sa grande T.S. Tombola Suicide, jeu participatif et sans obligation d’achat, organisé ce soir en vue de désigner l’auteur du suicide collectif initialement prévu samedi 25 septembre 2010 entre 16h et 20h au carrefour dit des « 5 avenues ».
En effet, les fêtes de fin d’année, décorations et autres animations de Noël ayant déjà accaparé les budgets des commerçants du quartier précédemment cité, l’Agence des Suicides se voit dans l’obligation de réviser ses interventions préventives et pédagogiques.
De plus, les budgets alloués par la dite municipalité étant désormais nuls, l’Agence des Suicides ne peut assurer l’installation et la sécurité des dispositifs visant à procurer les techniques indispensables pour une MORT ASSUREE et IMMEDIATE.
C'est en pensant à ceux qui ont été détournés du suicide par LA CRAINTE DE SE RATER ainsi qu’à une élimination correcte des désespérés, élément de contamination REDOUTABLE dans notre société, que Patrick Mennucci, maire des 1° et 7° arrondissements de Marseille a bien voulu RECUEILLIR notre ÉTABLISSEMENT en errance,
Or, ayant eu vent des déclarations publiques du maire PS parues aujourd’hui dans le journal La Provence, où il affirmait « Je leur ai expressément demandé de ne pas bloquer la circulation du tramway et s‘ils utilisent des armes factices, on expliquera aux gens ce qui se passe avec des flyers. », l’Agence des Suicides se voit contrainte de décliner l’invitation.
Ne pouvant garantir la localisation des élans funestes de ses clients présents lors du suicide collectif de demain samedi, l’Agence des Suicides ne peut assurer avec certitude le non encombrement des rails, des carrefours, fontaines et autres équipements municipaux.
C’est pourquoi, et dans le respect des dernières volonté de ses clients, l’Agence des Suicides ne poursuivra pas ses actions informatives et pédagogiques dans le quartier du Chapître samedi 25 septembre 2010.
Parce qu’elle considère le suicide comme un projet d'avenir,
Parce qu’elle est soucieuse d’un « mieux mourir ensemble »,
Parce qu’elle souhaite enfin offrir des méthodes un peu CORRECTES DE QUITTER LA VIE, LA MORT étant de toutes les défaillances celle dont on ne s'excuse jamais,
L’Agence des Suicides appelle à cultiver ensemble l’ultime liberté d’expression (dans le respect des normes d’hygiènes loi 78-733 du 12 juillet 1978) même si, comme le déclare Patrick Mennucci, « cette histoire donne une image désastreuse de Marseille en pleine préparation de la capitale européenne de la culture »,
Cultivons dès aujourd’hui pour mieux mourir demain.
Fin du communiqué.
Bonne soirée.
POUR EN SAVOIR PLUS CLIQUEZ
2.9.11
Collector
Il est de plus en plus difficile de trouver un exemplaire de l'édition originale (1970) des Ecrits de Rigaut. L'exemplaire (en très bon état)) ci-dessus se trouve dans le rayon littérature française à la librairie Gallimard à Paris.
24.8.11
La valise pleine
Je voudrais rendre hommage ici à mon éditeur Olivier Rubinstein qui quitte Denoël pour de nouvelles aventures. C'est avec émotion et tristesse que j'ai appris son départ, j'aurais aimé achever l'aventure Rigaut avec lui. Lorsque Flammarion (malgré l'enthousiasme de Juliette Joste) me faisait lambiner pour une offre concrète, Olivier m'appela dans l'heure qui suivit la réception de mon dossier déposé à l'accueil de Denoël, chez qui je n'avais aucun contact, et me fit signer dans la foulée un contrat d'édition digne de ce nom. Je le remercie pour cette confiance immédiate, son soutien indéfectible durant ces six dernières années, et sa patience complice. Je lui souhaite de réussir dans ses nouvelles fonctions et ne désespère pas de le voir revenir un jour dans l'édition. Ma main amie. JLB
P.S. : officiellement, le nom du successeur d'O.R. n'est pas connu, certains évoquent le nom de Charlotte Gallimard...
21.8.11
31.7.11
L'art de ressusciter
Henry Miller and Margaret Neiman, 1942 (Man Ray)
"Sitôt qu'un écrivain meurt, sa vie soudain nous intéresse prodigieusement. Sa mort nous permet souvent de voir ce qui nous était caché de son vivant : que sa vie et son oeuvre ne faisaient qu'un. N'est-il pas évident que l'art de ressusciter (la biographie)masque un espoir et une grande nostalgie?" (Ils étaient vivants et ils m'ont parlé, Henry Miller)
28.7.11
Des nouvelles du Jacques Rigaut suisse
Henri Roorda Le Rire et les rieurs, suivi de Mon suicide, présenté par Eric Dussert — Paris, Mille et une nuits.
Trop rare pour ne pas le clamer sur les toits, on peut aujourd'hui (re)découvrir "Mon suicide", le magnifique texte du pessimiste joyeux Henri Roorda, pour le prix dérisoire de 3,50 €.
Ce mathématicien, originaire de Hollande, est né aux bords du Léman suite à l'exil en Suisse de son père, un fonctionnaire à la retraite, disciple et ami de l'anarchiste français Elisée Reclus. Son fils Henri Roorda reprendra le flambeau libertaire comme professeur de mathématiques au Collège de Lausanne en s'érigeant contre le formatage des jeunes élèves, prônant une éducation ouverte et anticonformiste et écrivant un pamphlet contre l'école autoritaire et lieu d'apprentissage de la docilité : "Le pédagogue n'aime pas les enfants" (1917). L'iconoclastie du professeur ne se limite pas aux salles de cours, il écrit aussi des chroniques drolatiques et irrévérencieuses dans la presse suisse sous le pseudo de Balthasar et réalise quatre Almanach Balthasar où le lecteur retrouve ses billets humoristiques mais également des textes d'Alphonse Allais, de Jules Renard, de Georges Feydeau ou de Tristan Bernard. Au début des années 20, le pessimisme joyeux de Roorda se transforme en amertume, endetté et lassé d'une vie qui lui apporte plus de déplaisirs que de joies, il songe sérieusement au suicide. A l'instar d'Edouard Levé, quelques semaines avant le geste fatal, il écrit son livre ultime, confession bouleversante d'une inadéquation à notre monde où il s'explique de sa décision : "Il m'était impossible de ressembler à ces êtres prudents, patients et prévoyants qui dès l'âge de vingt ans font des provisions pour leurs vieux jours. Pour moi, la vie normale c'est la vie joyeuse. L'individu déraisonnable que je suis ne veut pas tenir compte de toutes les données du grand problème. Je n'étais pas fait pour vivre dans un monde où l'on doit consacrer sa jeunesse à la préparation de sa vieillesse. (...) Je n'ai plus peur de l'avenir depuis que j'ai caché dans les ressorts de mon lit un revolver chargé. (...) J'aime énormément la vie. Mais, pour jouir du spectacle, il faut avoir une bonne place. Sur la terre, la plupart des places sont mauvaises. Il est vrai que les spectateurs ne sont en général pas difficiles. (...)Le moment de mon suicide approche. Je suis tellement vivant que je ne sens pas les approches de la mort. (...) Je me logerai une balle dans le coeur. Cela me fera sûrement moins mal que dans la tête. (...) Il faudra que je prenne des précautions pour que la détonation ne retentisse pas trop fort dans le coeur d'un être sensible." Le 7 novembre 1925, Henri Roorda, à l'âge de 55 ans, se tire une balle dans le coeur. La veille il écrit un billet à un ami : "J'ai tout usé, en moi et autour de moi; et cela est irréparable. Adieu. H.R." Un mois après, son livre posthume paraît en une brochure agraphée à 70 exemplaires avec ce sobre titre : Mon suicide. La presse lausannoise rendra hommage à son professeur en évoquant une "effroyable neurasthénie" et une "mort subite". On dénombra huit personnes à son enterrement.
9.7.11
Mise en abyme (3)
Sur la Toile, on peut suivre les livres en train de s'écrire
En un temps où la curiosité publique pour les coulisses de toutes choses est des plus vives, il est incroyable que l'esprit du making of se soit cantonné au cinéma. Il est vrai qu'on court toujours le risque de tuer la magie d'une oeuvre en dévoilant l'envers du décor. Comme si la création d'un monde n'était qu'une affaire de technique et de "trucs".
Deux grands romanciers s'y étaient pourtant lancés autrefois avec une égale réussite : André Gide avec le Journal des faux-monnayeurs qui parut un an après Les Faux-Monnayeurs (1925), fascinant exercice d'autocritique du roman en pleine élaboration et de l'auteur confronté à ses limites ; et Thomas Mann en publiant le Journal du docteur Faustus, indispensable à qui veut connaître la genèse, la composition, le rapport à l'Histoire et surtout les sources musicales de son roman Le Docteur Faustus (1947). Encore que l'un et l'autre accordent une grande place à leur quotidien (santé, voyages, rencontres, lectures) au lieu de vainement chercher à théoriser l'ineffable ; cela a parfois désorienté les lecteurs avides d'informations sur l'échafaudage de leurs romans, ne doutant pas que ces détails sur leur vie d'écrivain exerçaient une influence souterraine sur leur écriture.
"L'excentré magnifique"
Ces deux diaristes de leur oeuvre ont fait peu d'émules. Sauf à aller voir ailleurs qu'en librairie. Car aujourd'hui, pour cela aussi, c'est sur la Toile que ça se passe. Depuis février 2005, Jean-Luc Bitton raconte sa biographie à venir de l'écrivain Jacques Rigaut dit "l'excentré magnifique", haute figure de Dada, pionnier du surréalisme, suicidé en 1929. Jour après jour, il nous tient au courant de son enquête en nous emmenant dans ses bagages. Passionné par les écrits intimes, il paie sa dette aux journaux de Charles Juliet, Matthieu Galey, Mireille Havet, autant de diamants bruts dans lesquels il dit avoir trouvé un écho à ses propres doutes, même si son écriture est plutôt influencée par les "modestes" comme Bove, Calet, Hyvernaud, Guérin : "Une écriture blanche mais qui vous transperce d'émotion", qu'il retrouve dans les nouvelles de Raymond Carver ou de John Cheever.
Lorsque Jean-Luc Bitton s'est lancé dans l'aventure de ce blog (http://rigaut.blogspot.com), work in progess qu'il qualifie de "livre Debord", il lui a fallu trouver un équilibre entre le récit quotidien de l'enquête et la divulgation d'informations inédites. On est de plain-pied dans le laboratoire du biographe. Pendant des années, il a tout raconté de ses recherches, de ses découvertes et de ses découragements. Archives, documents, photos, le moindre détail y passait. Ce qui n'a pas manqué d'inquiéter son éditeur car, ainsi, l'auteur n'arrête pas de ne pas écrire son livre. Cela fait quelques années que Denoël guette le manuscrit... En fait, loin de parasiter le livre à venir, le journal en ligne l'a stimulé car il fonctionne comme un blog, avec ce que cela suppose d'interactivité : "Certains lecteurs m'ont parfois même apporté des informations qui m'avaient échappé, d'autres m'ont indiqué des pistes à creuser. Il y a là un véritable échange entre l'auteur et des futurs lecteurs, tous reliés par une même attente, celle de la parution", dit-il.
Avant de se lancer en ligne (http://uneteboulevardrothschild.blogspot.com), Gilles Rozier, lui, avait déjà tenu un journal de voyage traditionnel, en publiant Fugue à Leipzig (Denoël, 2005). C'est dans le même esprit qu'il a donc ouvert en juin le blog Un été boulevard Rothschild, adresse de l'Institut français de Tel-Aviv. L'action se situe là entre le 27 juin et le 25 septembre 2008. Le narrateur y est en résidence afin d'y poursuivre l'écriture du roman qui deviendra D'un pays sans amour, à paraître chez Grasset. Mais que ce soit sur papier ou sur écran, La Mémoire du chien de Francis Marmande (Fourbis, 1993), récit d'un voyage au Vietnam, était son modèle avoué.
Les dessous d'une oeuvre
Outre l'envie de faire pénétrer le lecteur dans son atelier, une seule et même intention l'animait : rendre compte d'une expérience intime - celle d'un individu un peu perdu dans une ville qui lui est étrangère, même s'il en connaît la langue - tout en transmettant une vision de la ville et du pays. Il s'est résolument focalisé sur des sujets culturels, ou liés à la vie quotidienne israélienne ; deux ou trois billets sur environ quatre-vingts abordent des sujets politiques. Il n'a ressenti aucun parasitage d'une écriture sur l'autre, consacrant l'essentiel de son temps au roman et les interstices au journal : "C'est une forme qui ne demande aucune préparation psychologique préalable, alors qu'il faut une sorte de rituel pour se glisser dans l'écriture romanesque." Qui sait si ce type de "journal d'un livre" ne va pas donner naissance à un genre en soi. En ligne, bien sûr.
Les dessous d'une oeuvre, c'est bien ; mais l'oeuvre elle-même, c'est mieux. D'un pays sans amour, c'est pour la prochaine rentrée littéraire. Jacques Rigaut, c'est pour bientôt, un jour, certainement. Pour Le Docteur Faustus et Les Faux-Monnayeurs, c'est quand vous voulez.
Pierre Assouline
LE MONDE DES LIVRES du vendredi 8 juillet 2011
28.6.11
Et puis Merde! à Guéthary
Façade de l'hôtel Le Madrid aujourd'hui
Intérieur du café de Madrid aujourd'hui
Kandinsky et Klee à la terrasse arrière du café de Madrid
Photo du Café de Madrid au milieu des années 20
Vue de la terrasse arrière du café de Madrid
Pélerinage au Café de Madrid à Guéthary (pays basque) où Rigaut, Drieu et Chadourne ont écrit une nuit d'été 1924 un "cadavre exquis", un texte collectif resté inédit jusqu'en 1998, date à laquelle l'éditeur Les Libraires Entre Les Lignes l'a publié sous le titre "Et puis MERDE!" dans sa collection "Happy Few" avec un tirage limité à 152 exemplaires dont certains justifiés par une photo inédite des auteurs. Le Café de Madrid, haut lieu mondain de villégiature des années 20, s'appelle aujourd'hui l'hôtel de Madrid. Son propriétaire actuel qui a repris l'affaire il y a cinq ans s'intéresse à l'histoire de son hôtel et tente de rassembler quelques archives dont quelques photos de l'époque qu'il a accrochées aux murs du café. Il ne connaissait pas l'existence de ce texte écrit dans ses murs. Quand j'évoque la maison (voir photo ci-dessous) aujourd'hui disparue, que louait Drieu et Rigaut à Guéthary, il m'assure qu'elle devait se situer sur le chemin des falaises où se trouvent les plus jolies maisons du village avec une vue imprenable sur l'océan.
Rigaut et Drieu devant leur maison à Guéthary
BONUS : Dans son premier numéro, la désormais fameuse revue Schnock publie une enquête de Guillaume Fédou sur le légendaire studio d'enregistrement Gang. Dans un entretien, son propriétaire Claude Puterflam évoque le film au titre rigaltien "Sérieux comme le plaisir" (toujours pas vu) du cinéaste surréaliste Robert Benayoun : "C'est Michel Berger qui a fait l'endroit. Il a commencé par une BO, celle d'un mec qui s'appelait Robert Benayoun, critique de ciné qui tournait son premier film, "Sérieux comme le plaisir". Il cherchait un studio et un ami commun, - je crois que c'est Philippe Chatiliez que tu connais-, qui nous a mis en contact."
12.6.11
"Il faut vous l'arracher, la vie"
Ursüla Kübler
Je ne sais plus où j'ai lu ou entendu que Boris Vian rendait hommage à Rigaut en le citant dans son oeuvre. La seconde épouse de l'auteur de "J'irai cracher sur vos tombes", la danseuse Ursüla Kübler tient d'ailleurs le rôle de Fanny, la femme de Dubourg (Bernard Noël) dans "Le Feu follet" de Louis Malle. Si un(e) passionné(e) de Vian peut me confirmer cette information, je l'en remercie d'avance.
3.6.11
Oldies but goodies
Schnock, la revue des vieux de 27 à 87 ans
p.142 Marcel Mathiot, le Vieil homme qui aimait les femmes par Jean-Luc Bitton
30.5.11
Michel Boujut (1940-2011)
Clap de fin pour le journaliste et critique cinématographique Michel Boujut décédé le 29 mai 2011 à l'âge de 71 ans d'une hépatite foudroyante. Qui aime le cinéma se souvient du sublime générique (voir ci-dessous) de la légendaire et mélancolique émission "Cinéma, cinémas" dont Michel Boujut était le producteur au début des années 80. Boujut était l'ami de Wim Wenders auquel il avait consacré un remarquable essai. En 1982, il avait donné carte blanche au réalisateur de "L'ami américain" pour un documentaire destiné à son émission. Wenders réalisa alors "Quand je m'éveille", une sorte de journal filmé de 17 minutes tourné en 16 mm. Le titre renvoie aux premiers mots du roman d'Emmanuel Bove "Mes amis" : "Quand je m'éveille, ma bouche est ouverte. Mes dents sont grasses : les brosser le soir serait mieux, mais je n'en ai jamais le courage. Des larmes ont séché aux coins de mes paupières. Mes épaules ne me font plus mal." Lors d'un travelling dans un appartement new-yorkais, on aperçoit d'ailleurs un exemplaire du roman. Wenders est un lecteur admirateur de Bove qu'il a connu grâce à Peter Handke son traducteur en Allemagne. J'ai eu la chance de rencontrer Handke et Wenders, mais je n'avais jamais croisé la route de Michel Boujut, jusqu'au 18 février dernier à la librairie genevoise Le Rameau d'Or, où Boujut était venu signer son dernier livre « Le jour où Gary Cooper est mort », une autobiographie dont le fil conducteur est sa désertion durant la guerre d'Algérie, qui le pousse à se cacher dans les salles obscures de Paris, où il découvre sa cinéphilie boulimique. Lors de cette chaleureuse conversation, nous avons évoqué Emmanuel Bove, les surréalistes et... Jacques Rigaut qu'il avait lu. Dans son ultime ouvrage, Boujut évoque également "le Feu follet": "Le film de Louis Malle constitue le plus sûr reflet de la ville où mon destin s'est inscrit un court moment. C'est mon décor intime, j'y retrouve mes repères, mieux que dans tout autre. Je marche dans les images d'un film que j'entendrais son auteur,pâle et défait, commenter un jour à Florence, de retour d'un voyage au long cours. Dans la fatigue du décalage horaire, un peu flottant, Malle trouve les mots justes, ceux qui collent à la fatigue existentielle de son héros, Alain Leroy, interprété si sobrement par Maurice Ronet." A la fin de notre rencontre, Michel Boujut nota les références de la biographie de Bove, je ne sais pas s'il a eu le temps de la lire, mais il me reste cette touchante dédicace qu'il m'écrivit en exergue de son livre : "Ce récit d'insoumission au temps de la sale guerre. En fraternité bovienne. Michel Boujut"
15.5.11
Des nouvelles de l'AGS
Les Zurichois maintiennent l’aide au suicide
Votation | Les Zurichois ne veulent ni limiter ni interdire l’aide au suicide. Ils ont très nettement rejeté dimanche deux initiatives de l’Union démocratique fédérale.
Les électeurs du canton de Zurich se sont exprimés dimanche à une large majorité pour le maintien de l’aide au suicide, aussi pour des étrangers non-résidents en Suisse, alors que plusieurs partis avaient milité contre "le tourisme de la mort".
Les deux initiatives populaires contre l’aide au suicide présentées par les partis conservateurs de l’Union démocratique fédérale (UDF) et du Parti évangélique (PEV) ont été balayées par les électeurs zurichois, canton le plus peuplé de Suisse et qui a régulièrement accueilli ces dernières années des étrangers voulant mettre fin à leur existence.
La première motion contre le "tourisme de la mort", visant à imposer une obligation de résidence d’au moins un an dans le canton aux personnes étrangères voulant bénéficier de l’aide au suicide, a été rejetée à 199 143 voix contre 53 673 pour, selon les résultats préliminaires.
La seconde initiative lancée par les deux partis, visant à demander une interdiction au niveau national de l’aide au suicide, a également été largement rejetée par les électeurs zurichois par 208 696 voix, alors que 37 871 électeurs s’étaient exprimés en faveur de ce texte.
"Mourir est une affaire privée"
"Le droit de mourir est une affaire privée, qui ne concerne ni l’Etat et encore moins l’Eglise", a réagi le vice-président de l’association d’aide au suicide Exit, Bernhard Sutter.
"Il s’agit d’un signe clair de Zurich et correspond à la tradition humanitaire de la Suisse de venir en aide aux autres", a-t-il dit.
A la différence de l’association Dignitas, qui assiste également des étrangers non-résidents, Exit ne soutient que des résidents suisses.
"Nous sommes une organisation responsable et devons effectuer des vérifications, lire le dossier médical. Cela n’est pas possible lorsque les gens ne se trouvent pas en Suisse", a plaidé M. Sutter.
Dignitas et son fondateur controversé Ludwig Minelli ont proposé ces dix dernières années à plus de 1000 étrangers, principalement des personnes en phase terminale d’une maladie, de profiter d’une législation suisse autorisant l’aide au suicide sous certaines conditions.
La réglementation autorise l’assistance au suicide lorsque celle-ci ne se fonde pas sur un mobile "égoïste". Cette aide ne peut être apportée que de façon passive en procurant par exemple les médicaments permettant à une personne de mettre fin à ses jours.
L’assistance active - aider une personne à prendre ou administrer un produit - est interdite.
Selon les chiffres fournis par Dignitas, l’organisation avait accompagné fin 2010 au total 1138 personnes, dont 592 en provenance d’Allemagne, 102 de France, 118 de Suisse, 19 d’Italie, 18 des Etats-Unis et 16 d’Espagne.
Un débat européen
Selon M. Sutter, "les pays européens doivent prendre eux-mêmes leurs problèmes en main (et) l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni doivent faire des efforts". "La Suisse ne doit pas se laisser intimider" par ces pays, a-t-il souligné.
Le débat sur l’aide au suicide donne régulièrement lieu à des controverses en Europe.
En France, où l’histoire de Vincent Humbert, jeune tétraplégique que sa mère avait aidé à mourir en 2003, avait ému l’opinion publique, les sénateurs ont voté en janvier contre une proposition de loi voulant instaurer "une assistance médicalisée pour mourir".
Au Royaume-Uni, où l’aide au suicide reste un crime punissable de 14 ans de prison, le parquet britannique avait clarifié en février 2010 la loi sur le suicide assisté, rendant moins probables des poursuites contre une personne aidant un proche à se suicider.
AFP | 15.05.2011
10.5.11
Jean-Luc Le Ténia (1975-2011)
L'homme avait cessé de tenir son lapidaire journal intime le 30 avril. Il y a deux mois, avec ce clip typique de ses agissements à la fois mégalos et caustiques, plein d'autodérision morbide, il mettait en scène sa propre cérémonie d'enterrement... avant de clamer un espoir cafardeux. Le 3 mai 2011, Jean-Luc Le Ténia a mis fin à ses jours dans son appartement du Mans. Chanteur arraché de partout, il a composé près de 2 000 chansons au gré d'une carrière vécue à la marge, le seul album ayant trouvé un écho plus conséquent étant Le Meilleur Chanteur Français Du Monde, paru en 2002 grâce au collègue Ignatus, qui lui rend d'ailleurs hommage sur son site. Notre collaborateur Thibaut Allemand, qui croisa Jean-Luc à quelques reprises dans sa vie, évoque la mémoire de l'artiste défunt. Une cérémonie religieuse aura lieu à l’église Saint-Aldric, au Mans, ce jeudi 12 mai 2011 à 15h30.
« C’est quand ils sont vivants, qu’il faut aimer les gens / Les Jean-Luc ! », sont les premiers mots revenus à l’esprit lorsque j’appris le décès de Jean-Luc Le Ténia, retrouvé le 3 mai dernier dans son appartement du Mans, forcément. Forcément, car Jean-Luc était indissociable de la cité cénomane (comme disent les érudits), ou des 24 heures et des rillettes (comme disent...tout le monde, en fait). L’Âme Du Mans : c’était le titre d’une de ses cassettes, et Jean-Luc se définissait ainsi. Non sans humour. Mais c’est vrai, Jean-Luc était à l’image de cette drôle de ville : pas très grand, pas très gros, un peu cabossé, laissant couler la vie et s’enflammant parfois. J’ai un peu connu Jean-Luc. Vu pas mal de ses concerts épiques, seul avec une guitare en bois qu’il maltraitait à en saigner. Chopé quelques-uns de ses (innombrables) disques remplis à ras-bord de morceaux à la folie triste. Les ai écoutés souvent. Et puis un peu moins. Et pour être franc, je n’avais pas accroché à ses dernières compos au clavier. Mais sa mort à trente-six ans ou presque m’a secoué. Et fait remonter quelques histoires. C’est au début des années 90, vers quatorze ou quinze ans, que Jean-Luc Lecourt avait débuté la musique, écrivant des chansons dans son coin. Amateur de bande dessinée, il avait fondé un fanzine, Radis Noir, dans lequel se côtoyaient Jean-Luc Coudray ou Tony Papin. Faute de temps, le discret binoclard finirait par se consacrer tout entier à ses chansons, parce que « c’est moins difficile, expliquait-il. Et j’ai tendance à aller vers la facilité ». Pas simples, pourtant, étaient ses relations avec la gent féminine, dont il a tiré quelques-uns de ses textes les plus directs – et les plus poignants, comme Seul De Nouveau.
Ces chansons destinées à des filles, de sa voisine de palier à la caissière du Viveco, transpiraient le réel. Un réel mâtiné de psychose, où la drôlerie planquait le désespoir, où l’absurde de la répétition traduisait des obsessions souvent noires. « Je pourrais détruire tous mes rapports sociaux pour écrire une chanson qui me plaise vraiment », avait déclaré cet amateur de Jean-Louis Costes. Et ce n’était pas de la fanfaronnade : même si certaines de ses attaques contre Bertrand Cantat (avant Vilnius, hein), Henri Salvador ou le cannabis étaient franchement drôles, cette rock star de proximité se mettait à nu (au sens propre et figuré) et provoquait parfois, véritablement, le malaise. Trop souvent comparé à des rigolos comme Didier Super, Le Ténia préfigurait, depuis quinze ans déjà, Philippe Katerine (2010) de Katerine – où le rire jaune côtoie la peur bleue. Mais Jean-Luc se fichait de la chanson française, préférant – et reprenant – ses totems : The Mountain Goats, The Velvet Underground, Daniel Johnston, Ramones ou Neil Young. Ce chanteur inclassable rangé dans la case anti-folk (faute de mieux) avait depuis quelques temps raréfié les concerts, mais pas sa production – pléthorique. « J’espère qu’un jour, les gens comprendront ce que j’ai dans la tête grâce à ces chansons », disait parfois ce songwriter méconnu, malgré un disque bancal paru chez Ignatub en 2002. Au rayon des anecdotes, je pourrais évoquer ce concert manceau de Miossec, en 2002, où le "tendre granit" fit monter le vers solitaire sur scène. Ou encore cette chanson des Wampas, nommée... Jean-Luc Le Ténia, tout simplement.
Non, en fait, j’ai un souvenir tout bête : je devais avoir 17 ans, et Le Ténia chantait Daniel Johnston et Jonathan Richman en promenade sur une plage. Les noms me disaient quelque chose, mais ça restait vague. Je vais le voir après le concert, pour en savoir plus. « Je te ferai une compile », me répond-il. Une semaine plus tard, je rêvasse à un arrêt de bus lorsqu’un cycliste me fonce dessus et s’arrête net. C’est Jean-Luc, qui sort une cassette de sa poche. « Tiens, je t’ai fait une compile », lâche-t-il avant de reprendre sa route. Et cette vieille K7 de leçon d’allemand effacée par ses soins contenait désormais des chansons du vieil enfant texan. Je découvrais Richman un peu plus tard, à la médiathèque où Le Ténia travaillait – section jeunesse. Voilà, ce n’est pas grand’chose, mais depuis ce jour, Daniel Johnston, Jonathan Richman et Jean-Luc Le Ténia sont irrémédiablement liés. Pour autant, pas question de faire de ce fan absolu de Russ Meyer un... saint, ni d’oublier les frasques parfois lourdingues de ce grand sensible. Toujours est-il qu’avec la disparition de Jean-Luc Le Ténia, c’est un peu de l’âme du Mans qui s’en va. Mais pas seulement. C’est aussi un artisan talentueux, incompris, émouvant, irritant, pugnace, fatigant, stimulant, qui fout le camp. Laissant orphelines mille deux cent chansons, environ.
Thibaut Allemand
3.5.11
Ma main amie
Samuel Beckett à l’enterrement de Roger Blin,
le 27 janvier 1984,
par Bernard Morlino.
"Toute la racaille moderne n’est qu’une poignée de mondains de la déchéance, surtout son chef de fil qu’on a pris le pif poudré sur un capot de bagnole. Ce gringalet n’est rien à côté de Jacques Rigaut qui se shootait à travers son costume.
Je ne fais pas l’apologie de la défonce. J’ai simplement horreur de la fausse souffrance. Ma vie se confond avec la littérature depuis au moins 50 ans. Vers 8 ans, j’ai pris conscience de la mort quand mon cousin m’a dit : « Tu sais, ma mère va mourir. Et la tienne aussi. » Auparavant, je n’y avais jamais pensé. Il m’a dit ça quand on a aperçu au loin sa mère. C’était juste avant midi. Je m’en souviens car après il est parti mangé, me laissant seul avec mes jonglages. Nous jouions au foot, ou plus exactement au ballon. Lui et moi, on y jouait dès que nous sortions de l’école. Le football ne m’a jamais quitté. Nos mères, oui.
J’ai ce flash au moment où je suis en train de lire Lord Patchogue, soit quelques heures après la découverte du corps de Marie-France Pisier dans la piscine de sa résidence. Savez-vous ce que raconte le livre de Jacques Rigaut (1898-1929) ? Il s’agit de quelques pages sauvées du néant qui racontent l’histoire d’un homme qui se jette dans un miroir pour tenter de le traverser. Ce Lord Patchogue c’est le double de Jacques Rigaut. Est-ce que la comédienne a elle aussi voulu voir ce qu’il y a de l’autre côté ? Une piscine est un miroir mouvant. A-t-elle lu ce texte ? Je ne pense pas. Et c’est bien dommage. Ce récit est inachevé. (La vie de Marie-France Pisier aussi malgré les apparences.) On ne pouvait plus le trouver en librairie depuis 1930 et 1970, les deux seules fois où il était à la portée des lecteurs. Grand merci aux éditions du Chemin de fer de remettre dans le circuit ce texte dans une remarquable présentation.
Lisons cet ouvrage, avant de lire la biographie de Rigaut par Jean-Luc Bitton qui sera un météore dans le monde de l’édition tant on l’attend avec impatience tout en souhaitant retarder le plus longtemps sa parution. Bitton est comme François Weyergans. Il n’aime pas rendre ses manuscrits.
LA SUITE ICI
29.4.11
Jean José Marchand (1920-2011)
"Il est des hommes qui renoncent sans peine apparente à leur propre oeuvre, au profit des écrivains du passé. C'était la vocation de Jean José Marchand, qu'il exerça jusqu'aux derniers jours avec passion, modestie, et non sans malice. Né le 14 août 1920 à Paris, il est mort le 8 mars, à l'âge de 90 ans. Avec lui s'éteint une mémoire phénoménale." Ainsi débute la notice nécrologique consacrée au critique et documentariste Jean José Marchand, rédigée par Claire Paulhan, publiée dans le Monde du 1er avril 2011. La discrète disparition d'un érudit passionné et homme libre dégagé de toute la bien-pensance de notre époque (seulement quelques-uns lui rendirent hommage) qui recueillit les souvenirs d'écrivains, d'artistes et philosophes dans le cadre de sa série "Archives du XXème siècle" dont quelques émissions sont consultables sur le site de l'INA. Jean José Marchand avait produit, entre autres, la fameuse série de documentaires consacrée au mouvement Dada, réalisée par Philippe Collin. Je n'ai malheureusement jamais rencontré Jean José Marchand, mais me souviens d'une longue et passionnante conversation téléphonique nocturne durant laquelle nous avons évoqué Dada et notre panthéon littéraire en commun avec quelques écrivains comme Emmanuel Bove, Georges Hyvernaud ou Henri Calet. L'auteur de La Leçon du chat tenait en ligne le journal de ses lectures, dans son dernier post on peut lire : "Dans la culture, on n’entre, comme au paradis, que tout seul."
20.4.11
16.4.11
Rigaut sans chapeau
Cher Monsieur,
Je me permets de vous envoyer quelques photos d’une peinture que je possède (ou l’inverse), espérant que vous pourrez m’aider à résoudre l’énigme qu’elle représente pour moi.
Sachez d’abord que l’œuvre de Jacques Rigaut, et sa personne, me hantent depuis longtemps et font partie presque au quotidien de mes nostalgies vieillissantes.
Un peu médiocrement, je tape parfois son nom sur E-Bay. C’est ainsi que j’ai acquis cette peinture. J’aime ce visage d’allure surréaliste, et j’aimerais bien savoir de qui il s’agit, mais c’est surtout l’inscription qui m’émeut : « Rigaut sans chapeau » (quand on sait combien légendaires étaient ses couvres-chef)
J’espère que ce petit mystère saura vous intéresser.
Bien Cordialement,
Jean-Luc Giraud
19.3.11
LORD PATCHOGUE IS BACK (2)
Les éditions du Chemin de fer proposent dans leurs nouveautés de mars 2011, une version "rénovée" et illustrée de Lord Patchogue accompagnée d'une postface de votre serviteur. Un petit livret biographique est offert avec le livre.
15.3.11
WANTED
10 000 dollars à qui baptisera son enfant Dada
Le mouvement culturel dadaïste et son lieu mythique, le Cabaret Voltaire à Zurich lancent une action pour leur centième anniversaire.
Le «Cabaret Voltaire» et le duo d'artistes Com&Com recherchent à travers le monde des parents qui donneront à leur enfant le nom de baptême «Dada». A la clef: une récompense de 10 000 dollars nous révèle le «Tages Anzeiger».
Lancement à Moscou
Le lancement de cette «happening» s'est fait à Moscou. «Pour redynamiser les idées et les stratégies du dadaïsme» selon le duo Com&Com. Car le mouvement doit se montrer critique face à la société de consommation actuelle.
Un enfant a du reste déjà été baptise Dada en 2005 à Winterthour dans le cadre de l'action «Gugusdada». Un compte d'épargne doté de 10 000 francs a été ouvert pour le bébé à cette occasion.
Entre 5 et 6 bénéficiaires
«Jusqu'en 2016, cinq à six enfants seront peut-être ainsi prénommés» estime Johannes Hedinger de Com&Com. Ils seront tous invité en 2016 pour célébrer les 100 ans du mouvement intellectuel, littéraire et artistique né sur les rives de la Limmat.
Hors budget
Du côté de la direction de la culture de la ville de Zurich, Paul Baumann, son directeur adjoint est clair. «La ville prend à sa charge près de 300 000 francs pour la location du local «Cabaret Voltaire». Pour cette action, l'argent est apporté par des sponsors ou sur les rentrées du café.»
Il est vrai que le conseil municipal a accordé en août 2010 un crédit de 900 000 francs pour les 100 ans du dadaïsme, dont deux-tiers sont injectés directement dans la location du «Cabaret Voltaire».
Source : 20 Minutes.ch
3.3.11
Les années passent...
"Cher Monsieur,
En pièce jointe, une édition du Feu follet que je viens d'acquérir, avec un envoi autographe de Drieu, lapidaire mais magnifique ("Les saisons passent"). Des années que je cours après un envoi d'auteur sur ce livre (il y a quelques années, j'en avais manqué un, encore plus beau : "Il meurt s'il ne s'attache"). Le dédicataire de mon exemplaire est semble-t-il l'administrateur de la NRF. N'hésitez pas à reproduire la dédicace sur votre site et encore bravo pour votre travail.
Bien à vous,
Guillaume Daban"
12.2.11
11.2.11
5.2.11
LORD PATCHOGUE IS BACK
En attendant la réédition intégrale des Ecrits de Jacques Rigaut (par Gallimard ou un autre éditeur), les éditions du Chemin de fer nous proposent celle de Lord Patchogue dans sa version la plus complète avec des illustrations et une postface. Dans toutes les bonnes librairies, avant le prochain salon du livre.
22.1.11
Mise en abyme (2)
Alléluia ! Dans le "post" de janvier, publié sur le blog qu'il consacre à l'écrivain surréaliste Jacques Rigaut (1898-1929), Jean-Luc Bitton, son biographe, a annoncé une date de remise de copie de son manuscrit : printemps 2012, pour une parution du livre chez Denoël "dans le meilleur des cas" en septembre 2012. C'est Olivier Rubinstein qui va être content ! Car l'éditeur attend ce texte depuis pas moins de sept ans.
Il faut dire que Jean-Luc Bitton est un phénomène. En février 2005, il a créé un blog consacré à l'oeuvre de Jacques Rigaut, qui était éparse. Ce blog lui a permis de rassembler documents et témoignages et, au fil du temps, il est devenu "un livre en soi". "Il constitue un soutien moral, car être biographe est un métier difficile", explique Jean-Luc Bitton. Il fait office de "making of" de sa biographie et Jean-Luc Bitton sait qu'il est lu par des anonymes, mais aussi par des pairs prestigieux, comme Jean Echenoz.
"Sur mon blog, je fais des cadeaux aux lecteurs, mais il y a un juste équilibre à trouver, afin de ne pas mettre en péril la biographie", dit-il. Pour Olivier Rubinstein, qui voit le livre s'élaborer sur le Net, "Jean-Luc Bitton en met trop sur son site, qui est extrêmement bien fait". De temps en temps, il voit aussi apparaître les mots qu'il envoie à son auteur. Philosophe, il attend depuis douze ans une autre biographie de référence, celle de Robert Denoël, écrite par Pascale Froment et en coédition chez Fayard. Mais là, pas de date en vue pour l'instant.
Alain Beuve-Méry
LE MONDE DES LIVRES du 21 janvier 2011
2.1.11
"Un superlatif chasse l'autre", une année chasse l'autre...
A ma connaissance, il n'y a jamais eu de manuscrit de J.R. en vente sur eBay. C'est donc une première que cette vente en ligne. Mille euros la page...la cote de Rigaut se porte bien. J'aurais bien craqué par fétichisme littéraire, mais cette nouvelle année me trouve particulièrement désargenté. J'espère que cette relique tombera entre de bonnes mains. Merci à Thomas et Nicolas pour m'avoir signalé cette vente. J'en profite pour adresser mes meilleux voeux pour l'année 2011 aux lectrices et lecteurs du blog Rigaut. Concernant la deadline de la remise de mon manuscrit, je me suis engagé auprès de mon éditeur pour le printemps 2012 en visant une parution, dans le meilleur des cas, en septembre 2012. Avant la fin du monde.
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