On
oublie souvent que le biographe a également une vie et que cette vie n'est pas
de tout repos. Comme tout un chacun, le biographe doit faire face à l'adversité
commune de cette existence, à la bêtise ambiante, dont la toxicité n'a jamais
été aussi redoutable qu'aujourd'hui. Toutes ces petites et ridicules
"choses de la vie" qui semblent se liguer contre le biographe pour
lui faire perdre son précieux temps qui est déjà bien gaspillé par toutes les
activités chronophages que lui offre le monde moderne, sans oublier le combat
quotidien contre son pire ennemi : la
tendance naturelle de l'être humain à la procrastination. Bref, depuis des
mois, les livres offerts, achetés ou reçus en service de presse s'accumulent
sur ma table de chevet, sans avoir pris le temps de les évoquer sur ce blog.
On
se lance dans le désordre. (Bis Repetita Placent)
ACTE
1
Commençons
par ce "Fils de Chien" de Vladimir Slepian, un texte court et
intense, qui a été publié dans la revue "Minuit" en 1974, réédité
aujourd'hui par la (bonne maison) des Editions du Chemin de fer. L'intrigue est
lapidaire : le narrateur ne cesse d'avoir faim et désire devenir un chien.
C'est un texte à lire à voix haute, violent comme une claque au visage, proche
de la "mastication verbale" du poète Tarkos ou encore de
l'autodérision de Beckett. Un texte anthropomorphique, mais également
autobiographique, puisque selon la brève notice biographique imprimée en
postface, son auteur "est mort de faim à Paris dans une rue de
Saint-Germain-des-Prés, en 1998." A la fin du XXème siècle, dans le
triangle germanopratin Flore-Lipp-Deux Magots, on pouvait donc mourir de faim
dans l'indifférence générale, après avoir été adoubé par Gilles Deleuze et
Félix Guattari. "Fils de chien" est le seul texte paru de Vladimir
Slepian. A ce jour, aucun autre de ses écrits n'a été retrouvé. Dommage.
Extrait
: "Je suis un homme, si vous voulez. /Oui, merde ! Un homme. / Un homme
comme vous, avec tous ces trucs que vous faites, même si je ne les comprends
pas. / Si je n'étais pas un homme, alors qu'est-ce que je pourrais être ? / Un
chien ?"
ACTE
2
Je
vois rarement le journaliste et écrivain Bernard Morlino, mais je le considère
comme un ami. La véritable amitié ne s'embarrasse pas du quotidien. Nous communiquons principalement par mail et à
l'instar de Blaise Cendrars, l'amputé du bras droit, Bernard signe toujours sa
correspondance numérique par "Ma main amie". En amitié, littéraire
entre autres, Bernard Morlino s'y connaît. Il fut l'ami d'écrivains, comme
Emmanuel Berl, Louis Nucera, Alphonse Boudard, ou encore Philippe Soupault. Les
amitiés littéraires commencent et finissent souvent par des livres. Dans son
dernier ouvrage Parce que c'était lui,
publié aux éditions Ecriture (octobre 2015), Morlino recense trente-cinq
amitiés entre écrivains, des amitiés littéraires d'un temps révolu. L'amitié
est un sentiment en voie de disparition. Dans notre monde égocentré, on parle
beaucoup et souvent mal de l'amour, mais de moins en moins de l'amitié. Bernard
Morlino a inventé un néologisme pour définir une amitié aussi durable et
intense que le sentiment amoureux : l'amourtié,
"nom invariable, sentiment très intense qui unit des personnes en dehors
de la sexualité." D'ailleurs, comment peut-on aimer véritablement
quelqu'un(e) sans être son ami? Il est malheureusement fréquent de voir
d'anciens "amoureux" se haïr aussi passionnément qu'ils se sont
soi-disant aimés. Comme l'a écrit avec justesse La Rochefoucauld, "Il y a
des gens qui n'auraient jamais été amoureux s'ils n'avaient jamais entendu
parler de l'amour." Céline enfonce le clou dans le cercueil de la
sentimentalité amoureuse en ajoutant : "L'amour c'est l'infini mis à la
portée des caniches." En ces temps narcissiques, où l'amour n'a jamais été
aussi galvaudé, il est réconfortant de constater que l'amitié sincère reste une
valeur sûre et indestructible. Le biographe de Berl et de Soupault offre au
lecteur plus de trois cents pages d'amitiés littéraires, choisies et racontées
avec talent et érudition. Une lecture jouissive qu'on peut aborder de façon non
chronologique, selon nos goûts littéraires et nos envies du moment. Osons faire
un name-dropping et florilège de ces amitiés littéraires : Etienne de La Boétie
/ Michel de Montaigne (Le disparu sauve le survivant), Giacomo Casanova /
Prince de Ligne (Le flambeur apaisé par son biographe), Joris-Karl Huysmans /
Lucien Descaves (L'idéaliste avec son garde du cœur), André Gide / Pierre
Herbart (Les ambassadeurs de la liberté), Antonin Artaud / Jacques Prevel (
L'insurgé suivi par son ombre), André Breton / Philippe Soupault (Ils ont
révolutionné le XXème siècle), Louis Aragon / Robert Desnos (L'homme de parti
et l'homme sans parti), Henri Calet / Raymond Guérin (Les écrivains de
l'imparfait du subjectif), Antoine Blondin / Roger Nimier (Les frères de
littérature), et le meilleur pour la fin…, Pierre Drieu la Rochelle / Jacques
Rigaut (Une tragique histoire d' «umour »). L'amitié entre Drieu et Rigaut
avait été évoquée par certains biographes de l'auteur du Feu follet, mais jamais de manière frontale. En sept pages, Bernard
Morlino résume parfaitement cette amitié ambivalente de l'entre-deux-guerres,
jusqu'au suicide de Rigaut présenté comme un prologue à celui de Drieu.
Extrait
: "Sous les traits de Gonzague qui fait table rase du passé artistique
alors que «l'art, en donnant du prix aux sensations, offre aux hommes leur
seule chance de se réaliser», on reconnaît Rigaut. Le personnage créé par Drieu
n'est pas plus un lecteur qu'un écrivain. Ce portrait sans concession de Rigaut
a plus froissé les amis du portraituré que le principal intéressé, fier de
devenir une créature de fiction. Cependant, Rigaut n'est pas une coquille vide.
Sa particularité est de refuser de faire carrière dans la littérature comme
d'autres dans la coiffure, avec boutique et postiches."
ACTE
3
J'avais
dit ici-même tout le bien que je pensais d'un livre de Baudouin de Bodinat paru
en 2008 aux éditions de L'Encyclopédie des Nuisances : La vie sur terre. Réflexions sur le peu d'avenir que contient le temps
où nous sommes. De cet ouvrage majeur, j'avais retenu cette phrase
magnifiquement limpide, très pratique pour clouer le bec aux progressistes de
tout poil : "Je ne regrette pas le
passé, c'est ce présent que je trouve regrettable." De Bodinat publie peu,
mais chacun de ses écrits est suffisamment dense pour nourrir un lecteur durant
une décennie. Hormis quelques rares exceptions,
les fonctionnaires de l'écriture qui publient un livre par an sont souvent
des prosateurs indigestes. Entre 2011 et 2015, De Bodinat avait publié "Au
fond de la couche gazeuse", une suite de textes parue dans cinq numéros de
la revue fario. Une revue pas donnée
(28 euros), mais de haute tenue, dans le sommaire du dernier numéro, Baudouin
de Bodinat était entouré entre autres de Günther Anders et d'Henri Calet…
L'éditeur de cette revue a eu la bonne idée de publier en un seul volume ces
cinq textes, et d'y ajouter un dernier chapitre inédit. Pour le plaisir de ses
lecteurs, Baudouin de Bodinat poursuit son constat de déploration de notre
monde au bord du gouffre, qu'il avait entamé dans La vie sur terre. Tout en disséquant les nombreuses tares de notre
époque (promiscuité, vitesse, pollution, virtualités, laideur du paysage,
aliénations, etc.), de Bodinat nous invite à nous rappeler qu'avant le désastre (un avant pas si
lointain puisque nous l'avons connu) il y avait tout de même plus d'air, que les choses étaient plus solides, plus durables et plus intelligibles. Bientôt, on visitera les vestiges de cet avant, les derniers lieux de plein air, où l'on peut encore
contempler la voute céleste étoilée et entendre le chant des oiseaux à l'aube…
A l'inverse, aujourd'hui, des agences de voyage proposent déjà des visite guidées dans les ruines du
capitalisme, il y a même un nom pour cette fascination de la décrépitude : la
pornographie des ruines. Notre civilisation est probablement sur le point de
s'éteindre. Baudouin de Bodinat nous l'annonce sereinement et que les heureux de ce monde ne pourront pas y
échapper. Une annonce inéluctable, écrite avec un talent poétique inouï, ce qui
en décuple sa force et rend la démonstration encore plus implacable.
Extrait
: "Par une belle après-midi calme où la vue porte loin sur le monde
habité, je réalise tout à coup que je ne parviens plus à éprouver cet
enthousiasme ou dilatation intérieure, ce sentiment de l'existence de
l'Univers, et parmi quoi de cette vie terrestre avec l'histoire des sociétés
humaines se prolongeant vers le futur, et parmi quoi sa propre présence
momentanée, qui serait normal ; que c'est au contraire un découragement, des
idées déprimantes de délabrement qui viennent aussitôt à l'esprit, de pénuries
angoissantes à s'additionner, de progression des terres abandonnées à la
dessiccation qui se constate en imagerie satellitaire, d'immensités océaniques
vidées en l'espace d'une génération de tous leurs habitants comestibles,
d'insalubrités à 9 milliards de terriens après-demain qui veulent manger tous
les jours, d'extraordinaires désordres atmosphériques par dessus tout cela ; la
pensée qui s'impose de ces villes toujours plus énormes où le genre humain
vient s'amonceler sans aucune autre issue. Auparavant, lorsqu'un pays sentait
le renfermé, on pouvait l'aérer en ouvrant les fenêtres sur les pays voisins ;
maintenant que par la civilisation unifiée c'est toute cette vieille planète
qui sent le renfermé de s'y gêner déjà à 7 milliards en même temps, à respirer
là-dedans toutes fenêtres fermées, à fumer et laisser traîner les poubelles
avec le recyclage de l'air en panne, etc., et tous à ressasser les mêmes
croyances collectives, devant les mêmes images de plus en plus chaotiques sur
les écrans pour tout le monde en même temps par distribution satellitaire,
durant que leurs caméras observent de là-haut comment ça s'agite le
surpeuplement au fond de la couche gazeuse à se gratter les allergies, et que
cela en devient franchement irrespirable à force, voilà que ressort le projet
d'un vol habité jusqu'à la planète Mars -- "À la conquête de la planète
rouge !", "La plus grande aventure de l'humanité !",
"L'Homme s'élance dans le cosmos !", etc. -- qui nous ferait alors en
retransmission 3D comme l'idée d'un hublot pour regarder au-dehors en restant
assis sur nos canapés ici sur Terre avec le taux de radioactivité. Transports
souterrains un jour d'été, rames à moitié vides : sous le regard neutre des
caméras de sécurité, des touristes venus visiter en low-cost des monuments
reconstitués, jeunes couples maussades chaussés de baskets, vieux couples
mornes, familles soucieuses chuchotantes à consulter leur plan et puis des
habitants épars, divers d'âges, plutôt tous des étages d'en-bas -- ... dans les
couches inférieures des classes moyennes, qui sont les débris dénués de
signification d'une société désintégrée -- et donc les hommes quelconques de la
modernité tardive, le tout-venant précaire du IIIe millénaire chaussé de
baskets, des anonymes de la métropole mondiale sans étonnement de la médiocrité
et de l'étroitesse de la vie permise à végéter là, n'y trouvant pas étranges
ces interphones, portes électroniques et robots auprès desquels il faut
justifier son identité, et même son existence, et caméras qui sont partout
(même quand on ne le voit pas) dès qu'on
sort à l'ombre de la pyramide hiérarchique ; & à la physionomie sans
beaucoup de vivacité durant qu'ils sont chacun absorbés par le maniement de
leurs Smartphones, iPad, BlackBerry, portables 3G à écran tactile, e-book, ou
bien feuilletant un gratuit avec des fils électriques rentrant dans leurs
oreilles."
ACTE
4
Autre
récent coup de foudre : Le Jardin de
Babylone de Bernard Charbonneau (1910-1996), publié par Gallimard en 1969,
réédité en 2002 aux Editions de l'Encyclopédie des Nuisances. Pionnier de
l'écologie politique, Bernard Charbonneau a été le premier à dénoncer les
ravages de notre société industrielle sur notre environnement, mais également
les dérives liberticides des "défenseurs de la nature". Charbonneau
évoque entre autres cette "banlieue totale" qui progresse
inexorablement avec le développement anarchique des métropoles, ce cancer
urbain généralisé dont les métastases dévorent la campagne, entraînant la fin
du paysage, mais aussi la liquidation du monde paysan. Dans cette campagne
agonisante et pourrissante, on sauvegarde quelques parcelles d'authenticité labélisées
éco-tourisme où les citadins déracinés viennent se "ressourcer" en quête
de primitif et de pittoresque. Bernard Charbonneau souligne également les
contradictions de ceux qui souhaitent instaurer un nouvel ordre écologique au
sein des villes, un totalitarisme vert qui ne cesse de multiplier les
contraintes et les interdits. Une
dénonciation visionnaire des régressions de la liberté, sous prétexte écologique,
illustrée récemment par le projet d'interdiction de circuler dans les grandes
villes françaises pour les véhicules mis en circulation avant 2007. Pour
Charbonneau la défense de la nature doit être globale : économique,
démographique et politique. Un renversement radical de la pensée écologique qui
jusqu'alors se contente de discours bucoliques pour camoufler son inanité.
Extrait
: « Les villes anciennes étaient beaucoup moins nombreuses et beaucoup plus
petites que les nôtres. Elles étaient perdues dans la nature. En hiver, la
nuit, les loups venaient flairer leurs portes, et à l’aube le chant des coqs
résonnait dans leurs cours. Puis un jour, avec le progrès de l’industrie, elles
explosèrent, devenant un chaos. Le signe le plus voyant de la montée du chaos
urbain c’est la montée des ordures. Partout où la population s’accumule,
inexorablement l’air s’épaissit d’arômes, l’eau se charge de débris. La rançon
du robinet, c’est l’égout. Sans cesse nous nous lavons, ce n’est plus une cuvette
qui mousse, mais la Seine. Les villes sont une nébuleuse en expansion dont le
rythme dépasse l’homme, une sorte de débâcle géologique, un raz de marée
social, que la pensée ou l’action humaine n’arrive plus à dominer. Depuis 1960,
il n’est plus question de limiter la croissance de Paris, mais de se préparer
au Paris de vingt millions d’habitants dont les Champs-Élysées iront jusqu’au
Havre. Les tentacules des nouveaux faubourgs évoquent irrésistiblement la
prolifération d’un tissu cancéreux. La ville augmente parce qu’elle augmente, plus
que jamais elle se définit comme une agglomération. La ville augmente parce que
les hommes sont des êtres sociaux, heureux d’être nombreux et d’être ensemble.
Il est bien évident qu’elle n’est pas le fruit d’un projet. Les hommes se sont
rassemblés dans les villes pour se soustraire aux forces de la nature. Ils n’y
ont que trop bien réussi ; le citadin moderne tend à être complètement pris
dans un milieu artificiel. Non seulement dans la foule, mais parce que tout ce
qu’il atteint est fabriqué par l’homme, pour l’utilité humaine. Au milieu des
maisons, les hommes ont amené de la terre, construit un décor. Les usagers des
jardins publics sont trop nombreux : regardez, mais ne touchez pas. Les coûts
de Mégalopolis grandissent encore plus vite que sa taille. Il faut faire venir
plus d’énergie, plus d’eau. Il faut assurer le transport des vivants, se
débarrasser des cadavres et autres résidus. Il boit une eau qui n’est plus que
celle, « recyclée » de ses égouts, la ville en est réduite à boire sa propre
urine. Je propose en plus d’estimer en francs le mètre carré ou le mètre cube
d’air pur, comme le kilowatt. Le XIXe siècle avait ses bagnes industriels, le
nôtre a l’enfer quotidien du transport. Mégalopolis ne peut être sauvée que par
le sacrifice, chaque jour plus poussé, de ses libertés. Après le style
primitif, après l’ordre monarchique, le désordre de la période individualiste,
la ruche monolithique d’une collectivité totalitaire. Si nous n’y prenons
garde, en supposant un meilleur des mondes sans crise ni guerre, nous finirons
dans une caverne climatisée, isolée dans ses propres résidus ; où nous aurons
le nécessaire : la TV en couleur et en relief, et où il nous manquera seulement
le superflu : l’air pur, l’eau claire et le silence. La ville pourrait bien devenir
le lieu de l’inhumanité par excellence, une inhumanité sociale. Peut-être que
si la science réussit à rendre l’individu aussi indifférencié qu’une goutte
d’eau, la ville pourra grandir jusqu’à submerger la terre. Peut-être que le
seul moyen de mettre un terme à la croissance inhumaine de certaines
agglomérations est de laisser la pénurie atteindre un seuil qui, en manifestant
avec éclat l’inconvénient d’y vivre, découragera les hommes d’y affluer. Le
citadin s’est libéré en s’isolant du cosmos ; mais c’est ainsi qu’il a perdu sa
liberté. Aujourd’hui, pour être libre, prendre des vacances, c’est sortir de la
ville."
ACTE
5
Jaime Semprun, le fondateur des merveilleuses Editions de l'Encyclopédie des Nuisances
est mort le 3 août 2010, à l'âge de 63 ans. Sa disparition n'eut presque aucun
écho médiatique. Semprun fuyait les médias qui préfèrent faire le silence sur
ceux qui les critiquent, à défaut de pouvoir les affronter dans une joute
intellectuelle, parce qu' ils savent d'avance qu'ils en sortiraient perdants.
Les amis de Jaime Semprun ont publié après son décès, des fragments d'essais
inachevés sous le titre Andromaque, je
pense à vous! Une belle plaquette d'une dizaine de pages où l'auteur dans
une langue superbe nous fait partager son amour mélancolique pour un Paris en
voie de disparition à l'image du silence, cet "instant d'enfance
retrouvée". Les dernières pages sont consacrée à une descente en flammes
de l'art contemporain, ce "composé de publicité, de finance spéculative et
de bureaucratie culturelle." Ceux qui s'interrogent sur la déliquescence
actuelle de la gauche liront L'abîme se
repeuple, un texte paru en 1997 aux Nuisances, dans lequel, avant
Jean-Claude Michéa, Semprun pointe du doigt les contradictions du gauchisme et
son bilan désastreux qui ont mené à cette monstrueuse imposture politique
qu'est la gauche libérale.
Extrait
: "Pour apprécier à sa juste valeur la part du gauchisme dans la création
du novhomme et dans la réquisition de la vie intérieure, il suffit de se
souvenir qu'il s'est caractérisé par le dénigrement des qualités humaines et
des formes de conscience liées au sentiment d'une continuité cumulative dans le
temps (mémoire, opiniâtreté, fidélité, responsabilité, etc.); par l'éloge, dans
son jargon publicitaire de « passions » et de « dépassements », des nouvelles
aptitudes permises et exigées par une existence vouée à l'immédiat
(individualisme, hédonisme, vitalité opportuniste); et enfin par l'élaboration
des représentations compensatrices dont ce temps invertébré créait un besoin
accru (du narcissisme de la « subjectivité » à l'intensité vide du « jeu » et
de la « fête »). Puisque le temps social, historique, a été confisqué par les
machines, qui stockent passé et avenir dans leurs mémoires et scénarios
prospectifs, il reste aux hommes à jouir dans l'instant de leur
irresponsabilité, de leur superfluité, à la façon de ce qu'on peut éprouver, en
se détruisant plus expéditivement, sous l'emprise de ces drogues que le
gauchisme ne s'est pas fait faute de louer. La liberté vide revendiquée à grand
renfort de slogans enthousiastes était bien ce qui reste aux individus quand la
production de leurs conditions d'existence leur a définitivement échappé :
ramasser les rognures de temps tombées de la mégamachine. Elle est réalisée
dans l'anomie et la vacuité électrisée des foules de l'abîme, pour lesquelles
la mort ne signifie rien, et la vie pas davantage, qui n'ont rien à perdre,
mais non plus rien à gagner, « qu'une orgie finale et terrible de vengeance »
(Jack London)."
BONUS
:
A
signaler : une réédition d'un florilège de textes de Jacques Rigaut aux
éditions Voix d'encre, sous le titre Agence
Générale du Suicide, texte qui ouvre ce recueil, suivi de "Lord
Patchogue", "Je serai sérieux comme le plaisir", "Roman
d'un jeune homme pauvre", "Pensées et aphorismes". Tout ça pour
la somme modique de 7 euros.
Teaser
: Je publierai bientôt sur ce blog un entretien avec Jacques Rigaut, enfin avec
le comédien Hervé Lassïnce qui tient le rôle de Jacques Rigaut dans le triptyque théâtral que Jean-Michel Ribes consacre aux trois suicidés de la société :
Arthur Cravan (Michel Fau), Jacques Rigaut (Hervé Lassïnce) et Jacques Vaché
(Maxime d'Aboville). L'actrice Sophie Lenoir tient le rôle de Gladys Barber. Le
texte de la pièce Par-delà les
marronniers est publié aux éditions Actes Sud. Représentations au théâtre du Rond-Point du 15
mars au 24 avril 2016.
Enfin, souhaitons longue vie à la nouvelle revue Raskar Kapac, "gazette artistique et inflammable" qui a le grand mérite dans son premier numéro de "ressusciter" l'écrivain Jean-René Huguenin, avec entre autres un entretien avec l'écrivain Christian Dedet qui a connu l'auteur de La Côte sauvage, mais également des extraits inédits d'un second roman que JRH avait entrepris d'écrire à la fin de l'année 1960. Sa mort en 1962, à 26 ans,au volant de sa voiture l'a empêché de l'achever.
Enfin, souhaitons longue vie à la nouvelle revue Raskar Kapac, "gazette artistique et inflammable" qui a le grand mérite dans son premier numéro de "ressusciter" l'écrivain Jean-René Huguenin, avec entre autres un entretien avec l'écrivain Christian Dedet qui a connu l'auteur de La Côte sauvage, mais également des extraits inédits d'un second roman que JRH avait entrepris d'écrire à la fin de l'année 1960. Sa mort en 1962, à 26 ans,au volant de sa voiture l'a empêché de l'achever.