S'embrouiller
«Emmanuel Brouillard est poète et écrivain, mais ce travail est alimentaire. Pour s’amuser, il est agent du Trésor public.»Voilà comment il se présentait lui-même, lors de la sortie de son dernier livre,Trois Claques pour Balzac, paru en 2007 (Castor Astral). A chacun ses pudeurs, sa façon d’assumer un gagne-pain où l’on ne s’épanouit pas, de se débrouiller avec sa vie. Ou de ne pas. Il s’appelait Emmanuel Brouillard, il avait 44 ans, et c’était son vrai nom, qui disait bien la zone floue où il se débattait, débrouillard avec les mots, embrouillé avec les choses.
Les mots, il en était une sorte de cambrioleur virtuose, aux Papous dans la tête, l’émission de France Culture à laquelle il participa de 1997 à 2005, comme dans ses textes pour le théâtre. Il courrait sans fausse honte après le calembour le plus absurde, avec la pincée de mauvais goût nécessaire pour que ce soit vraiment drôle. Dans Trois Claques pour Balzac, recueil de limericks (petits poèmes, à forme fixe et à contenu souvent grivois, d’origine anglaise), il imagine les mille et une raisons pour foutre son poing dans la gueule à un écrivain.
Par exemple, une homonymie fâcheuse : «Comme ce type s’appelait Charlus/Tous ses voisins lui disaient : suce/Il rencontre Proust/Il lui fout une rouste/Et le bout d’sa canne dans l’anus.»
Mais il y avait aussi cette réalité à laquelle il se cognait, la dépression qui le taraudait. Dimanche 2 mars, Emmanuel Brouillard s’est donné la mort. Brouillé pour toujours.
(Source : Libération du 11 mars 2008)