"Il semble que le feu ait pris aux poudres..."
Alain Jouffroy est un survivant. Né en 1928, il n'a pas connu Dada mais il raconte dans un très beau livre "La vie réinventée" (réédité en mars 2004 au éditions du Rocher)l'explosion des années 20 à Paris. Je l'avais appelé pour l'interroger à propos des faits qu'il rapporte dans son ouvrage. Jouffroy a été un membre du Surréalisme dont il a été exclu par Breton. Cette après-midi, je lisais sa préface du recueil des derniers (superbes!) poèmes de Jean-Pierre Duprey et j'ai pensé que je devrais aller prendre un verre avec lui comme il me l'avait proposé. Sortir un peu le nez des archives...le plus frustrant dans ce travail, c'est l'absence de témoins directs. Les chercheurs des années 60 avaient encore la chance de retrouver et de rencontrer les acteurs de l'époque. Les chercheurs d'aujourd'hui sollicitent les enfants ou les petits-enfants. Le témoignage est déjà moins précis, plus flou. Qu'en sera-t-il dans 50 ans? D'où l'importance de conserver, d'archiver, d'enregistrer, de filmer afin de sauvegarder cette mémoire qui s'étiole au fil du temps... Jouffroy a partagé pendant deux mois la chambre de l'asile où le poète Stanislas Rodanski a été enfermé volontaire pendant vingt-sept ans, il a également connu le sculpteur et poète Jean-Pierre Duprey et il est encore vivant pour nous les conter!
"Quand un poète se suicide, ce n'est pas qu'il « cède » au désespoir, mais qu'il l'assume, qu'il ajoute au poids de ses mots le poids de sa volonté, qu'il ratifie de son sang la véracité d'une expérience de l'impossible. Nul sentiment d'échec, mais l'affirmation véhémente d'un esprit tout-puissant, un coup de tête devenu coup de force, coup d'éclat. Roger Gilbert-Lecomte, René Daumal, Antonin Artaud, George Bataille sont morts ; Duprey s'est tué. Mais leur aventure permettra peut-être à quelques-uns de se libérer un jour, sans mourir, de cette mort qu'est la vraie vie absente." (Alain Jouffroy)