4.12.10

Portraits révélés


Gladys Rigaut en 1926

Jacques Rigaut vers 1922


Il y a quelques années, Quentin Bajac m'avait reçu dans les entrailles du Centre Pompidou pour consulter quelques portraits de J.R. provenant du fonds Man Ray. Il avait évoqué 10.000 négatifs inédits du photographe, reçus en donation en 1995. Un inventaire était en cours dont l'aboutissement aujourd'hui est cet ouvrage avec 500 portraits publiés dont la plupart sont totalement inédits comme ce magnifique portrait de Madame Rigaut qui dormait dans les archives depuis 1926. Un portrait également inédit de J.R. au regard brûlant.
Il reste environ 9500 négatifs à révéler...

Merci à Fabrice Lefaix de l'Oeil Cacodylate qui m'a signalé ces images.

18.11.10

THEMA



"Et maintenant, réfléchissez, les miroirs."




L’Agence Générale du Suicide
Société reconnue d’utilité publique**
Siège principal à Paris: 73, boulevard Montparnasse.

8.11.10

Mise en abyme


Michel Houellebecq, lors de la remise du prix Goncourt 2010
Photo by Franck Chevalier

"Il souhaitait être enterré très précisément au cimetière du Montparnasse, il avait même acheté à l'avance la concession, une concession simple, trentenaire, qui se trouvait par hasard située à quelques mètres de celle d'Emmanuel Bove." (La carte et le territoire, p. 317.)

6.11.10

Cimetière Montmartre, 6 novembre 2010



Photos : Franck Chevalier

"Seigneur, ne vous fichez pas de moi." (Jacques Rigaut)


2.11.10

La maison où est né Lord Patchogue



"It was at this house in 1924 that the French Dadaist poet Jacques Rigaut dove through a mirror in an attempt to pass through to another dimension. At that time the house was known as Orchard Cottage." (Merci à Andrew F.)

7.10.10

Redocumentariser




Blogs : Ecritures d'un Nouveau Genre ?
Sous la direction de Christèle Couleau et Pascale Hellégouarc'h
L'Harmattan, juin 2010, 200 p.


Sinon un dossier Jacques Rigaut sur le site de La Revue des Ressources avec plusieurs textes en ligne : Propos Amorphes, Lord Patchogue, Roman d'un jeune homme pauvre. Remerciements à Aliette Guibert et Robin Hunzinger.

Plusieurs lecteurs m'ont signalé la difficulté à trouver l'édition des Ecrits de J.R. chez Gallimard. J'espère qu'une réédition aura lieu lors de la parution de la biographie.

29.9.10

Pélerinage



Amalfi

La chambre de J.R?

Ibsen




l'Albergo della Luna

"L'été suivant, je me trouvais en Italie, sur le petit bateau d'un ami dans le golfe de Naples." (Ecrits, Jacques Rigaut) J.R. s'est arrêté à Amalfi... Il est descendu à l'Albergo della Luna, L'auberge de la Lune, un ancien couvent byzantin qui fut la demeure d'Ibsen et de saint François d'Assise. Lors d'un récent voyage en Italie, Caroline Vitelli et Aurélien Viaccoz ont fait un petit pélerinage à l'Albergo della Luna sur les traces de Rigaut. Ils ont ramené de leur périple ces (belles) images. Merci à eux!

20.9.10

Un courageux silence


Edmond Jaloux


" (...)Un de ces disparus restera peut-être comme
le symbole même de cette jeunesse aventu-
reuse, scintillante et désespérée. Il s'est sui-
cidé, il y a peu de mois. Il s'appelait Jacques
Rigaut. Les causes extérieures de son suicide
sont indifférentes notons seulement que dix
ans avant il écrivait que « le suicide était sa
vocation ». Il essaya de vivre avant de la réa-
liser et même, il vécut. Il était beau, élo-
quent, spirituel, et d'une grande distinction
d'esprit. Il aurait pu avoir, comme tant d'au-
tres, un certain talent et du succès. Mais il
trouvait qu'on est impardonnable d'écrire en-
core quand on est sûr de ne pas devenir un
nouveau Baudelaire, un nouveau Rimbaud, et
il méprisait volontiers ceux qui n'observaient
pas comme lui un courageux silence. Il pré-
féra le plaisir au labeur, et même l'oubli. (...)"

(Extrait d'une chronique inédite
d'Edmond Jaloux, 1931)

7.8.10

Cravan is back in Switzerland



Bastiaan Van der Velden, universitaire, chercheur et commissaire d'exposition, mais surtout passionné de Cravan, organise une exposition à Saint-Gall (Suisse) consacrée à l'enfance du poète-boxeur aux cheveux les plus courts du monde. Cette exposition qui proposera des documents inédits se tiendra au musée Point Jaune de Saint-Gall entre le 9 septembre et le 3 octobre 2010.

6.8.10

Palentête



Dans sa critique du dernier film de Christophe Nolan, Jean-Luc Douin évoque (entre autres) Rigaut. Le journaliste du Monde fait allusion à la fascination de Rigaut pour les opportunités et paradoxes qu’offre le voyage temporel. Breton témoignera dans ses carnets de l'enthousiasme de Rigaut à l'idée d'aller revivre le passé pour mieux le manipuler : "Il pense qu’en allant assez vite dans le sens opposé au mouvement de la terre, on pourrait revenir en arrière, arriver au temps de César, à la Genèse. Il en tire toutes sortes de conséquences merveilleuses : dans un lieu où l’on a déjà passé on se retrouverait à un autre âge, aux pieds de la même femme par exemple, et que l’on pourrait devenir jaloux de soi-même."

JLB

"Inception" : blockbuster cérébral

Inception signifie "origine", éclosion d'un événement qui va en générer d'autres en écho. Des émotions dont Christopher Nolan explore la figuration dans les arcanes du cerveau. Le chaos mental est l'un des principes de ce film d'action qui mixe la stratégie d'un gang spécialisé dans l'espionnage industriel et les troubles psychopathologiques de son chef. Orchestrateur de ce voyage dans les neurones et observateur des mécanismes de défense qui s'y déclenchent comme une sirène d'alarme, le cinéaste brouille le réel et le rêve, leur octroie à chacun des critères temporels différents.Auteur de ce scénario infernal qu'il met en scène avec un tel sens du détail dramaturgique que nombre de spectateurs auront à coeur d'aller voir Inception plusieurs fois, Christopher Nolan imagine les exploits d'un "extracteur", un type qui s'introduit dans les rêves de ses proies pour leur voler des secrets enfouis au fond de leur subconscient. Le voilà chargé par une multinationale de faire l'inverse : plutôt que de dérober une idée, il s'agit d'en implanter une dans l'esprit d'un individu, comme un ver dans un fruit. Glisser l'inception susceptible de pousser un puissant patron à changer ses plans.

Construite sur le principe des histoires en abyme, obligeant ces étranges espions à imaginer les décors déroutants de leurs plongées oniriques et à emboîter plusieurs rêves les uns dans les autres, cette intrigue est de nature à combler les tenants du spectacle à l'hollywoodienne. Truffée d'effets spéciaux, elle donne lieu à des jeux de miroirs sous le métro aérien parisien, une poursuite échevelée dans les ruelles de Mombasa au Kenya, des constructions virtuelles qui s'écroulent, des pieds de nez à l'équilibre, marches au plafond, combats en apesanteur, final à la James Bond, suspense crispant.

Les admirateurs de Christopher Nolan y retrouvent le goût du dédale, la succession de flash-back, les décalages de niveaux de réalité et le désordre psychologique lié à l'amnésie qui faisaient le succès de son premier film, Memento (2000), ainsi que sa propension à faire de Batman un justicier tourmenté (Batman Begins, 2005, et The Dark Night, 2008). Car Cobb est hanté par une douloureuse épreuve intime, poursuivi par une épouse décédée qui surgit dans ses songes pour saboter ses missions.

"Ces rêveurs assis"

Ils découvriront un démiurge machiavélique que n'eurent pas renié les surréalistes. Nous ne sommes pas loin ici du Je t'aime, je t'aime d'Alain Resnais et Jacques Sternberg (1968) où un homme voyage à travers le temps en égaré, cobaye d'une expérience perturbée qui lui fait croiser une fille cafardeuse qu'il prétend avoir tuée. Dans Inception, Mall, la femme fatale (Marion Cotillard), est la Nadja de Cobb, une créature quasi fantasmatique qui prend le rêve pour le réel (et inversement), multiplie les appels de détresse, perd la raison jusqu'à sauter dans le vide pour retrouver l'amour de sa vie. Surréaliste suicidé en 1929, Jacques Rigaut était pareillement certain de n'être qu'un fantôme, persuadé qu'en remontant le temps il redeviendrait lui-même.
La minutie avec laquelle Christopher Nolan peint la mise en place des séances de sommeil collectif nous replonge dans les expériences hypnotiques planifiées chez André Breton, où Robert Desnos remplissait le rôle du médium aux yeux fermés.

Comme dans Inception, ces séances destinées à explorer les rêves de chacun entraînaient des désordres sensoriels et états impulsifs. L'idée de Breton était que ces rêves harmonisés en "vases communicants" étaient de nature à résoudre certaines difficultés de la vie. Exista même avec un certain Hervey de Saint Denys (1822-1892) la notion de "rêve dirigé" : ce sinologue prouva que l'on pouvait se créer les rêves de son choix, par exemple rêver d'une région après s'être endormi en aspergeant son oreiller d'un parfum qu'il y avait acquis.

Dans Inception, on n'est pas près d'oublier ce plan, fixant des corps endormis flottant dans un virtuel cosmos. C'est l'image même des spectateurs de cinéma, candidats à rêver ensemble, dans une même salle. Ces "rêveurs assis, disait Desnos, sont emportés dans un nouveau monde auprès duquel la réalité n'est que fiction peu attachante."

Jean-Luc Douin, Le Monde du 21/07/2010



3.8.10

La suicidée de la société



Voici un très beau texte de Maurice G. Dantec à propos du suicide de l'écrivaine Nelly Arcan (1973-2009). Les textes pertinents sur le sujet sont trop rares pour ne pas les saluer. JLB

Nelly Arcan : l'étincelle et les extincteurs

Du suicide de Nelly Arcan, et de ses causes probables dans le monde qui l'avait créée.

Il existe deux manières de succomber au nihilisme. La première consiste à s'en faire l'esclave soumis et fier de l'être, adoptant d'instinct la posture du rebelle qui va de pair, et avalant avec délices toutes les couleuvres que la « post-modernité » lui présentera, pourvu que cela soit confectionné avec des ingrédients « verts » et « éthiquement présentables ».

La seconde se termine plus tragiquement, elle résulte d'un combat perdu d'avance contre la fondation de toute forme de nihilisme : désirer rejoindre le néant, pour s'affranchir de la Faucheuse qui a pris possession de la « vie », mais en se jetant sur sa lame.

Il faut bien comprendre l'aspect paradoxal de ce désir thanatique, il ne s'agit pas en effet d'une quelconque « pulsion suicidaire » comme les magistrats psychanalytiques tentent de nous le faire accroire. Il s'agit bien plutôt d'une tension constamment exercée entre la spirale descendante d'un « dégoût de la vie », résultant tout autant d'expériences personnelles que de leur mise en relation avec l'univers social, et l'aspiration secrète, invisible, indicible, à une authentique illumination.

Nous allons voir comment cette aspiration s'avère au final la dernière boucle du piège que le relativisme intégral aura tissé dans les esprits, durant le temps, précisément, de la vie passée sur cette Terre par Nelly Arcan .

Le premier mensonge que la société québécoise post-modernisée est en train d'élaborer, c'est qu'elle n'est absolument pour rien dans cette « mort volontaire » (c'est en effet le mot juste), et surtout qu'il s'agit là de la « mort d'un être humain », entendez : comme tous les autres.

Un « être humain » comme vouzémoâ, avec ses pulsions maladives, ses problèmes personnels et professionnels, relationnels et intimes, bref, ce mensonge a pour but d'ôter toute singularité à ce qui fore le mystère du suicide d'un écrivain. Car c'est en tant qu'écrivain que Nelly Arcan a été « suicidée » ; comme le dit fort justement, et dans une perfection lapidaire, une certaine CalamitySandrine sur un blog québécois où j'ai vainement tenté de discuter, « on l'a tuée de sa propre main ». Mais comment cette société, qui a produit les conditions suffisantes et nécessaires à l'émergence puis à la disparition d'un tel écrivain, aurait-elle le cran de se regarder bien en face, dans le miroir de ses constantes trahisons ?

Le blog en question est à ce titre tout à fait représentatif de cette tendance, j'oserais dire cette force d'attraction collective vers la pop-psychanalyse, l'humanisme new-age, l'égomanie consensuelle et le syncrétisme post-moderniste, on est ici pour verser quelques larmes, en précisant parfois que l'on n'a rien lu d'elle (quel intérêt, en effet, s'agissant d'un écrivain ?) et s'offusquer dès lors que l'on ose remettre en question le « modèle québécois », qui est précisément le seul et unique responsable de cette mise à mort dont il s'agit de supprimer toute la singularité en la mixant aussi vite que possible dans le « moule démocratique ». Cet appendicule de la sphère Internet aura forgé sans le savoir la nécessité d'écrire ce texte, tout autant qu'il aura servi de test « en temps réel » des formes diverses et variées qu'a prises le néo-conformisme démocratique. Pour un blog se dénommant sans rire "carnet résistant", c'était disons... cohérent avec l'époque.

Je me doute bien que le sort d'une écrivaine canadienne, comme il se dit ici, même québécoise et francophone, aura peu de chances de bouleverser les rédactions parisiennes, quoique, justement , le Québec post-moderne des années 2000 se met à avoir la cote chez nos hommes politiques et intellectuels. Elle aura eut droit, n'ayez crainte, à sa rubrique nécrologique et commémorative dans quelque page culturelle d'un ou plusieurs de nos « grands quotidiens nationaux », à peine moins qu'ici même.

Ce qui compte, en ce cas précis, c'est le nombre exact de poncifs bien-pensants et de critiques préformatées qui auront été pondus à la chaîne, par les sicaires de la presse ou les baronnets de la Blogosphère, pour occulter le fait que ce sont eux, qui formatent la structure de la parole au service du vide, qui sont les plus directement impliqués dans le meurtre, par victime interposée, de Nelly Arcan.

Autant dire dans son sacrifice.

C'est étrange, les meilleurs écrivains québécois finissent inévitablement par se donner la mort; Michel Tremblay les enterrera tous.

Hubert Aquin, dernier génie littéraire national, et nationaliste de la première heure, se suicide lors de l'accession du Parti Québécois au pouvoir en 1976.

Nelly Arcan, une bonne génération plus tard, se donne la mort alors que le post-modernisme relativiste et multiculturaliste est à son sommet.

Ne cherchez pas, c'est le "hasard".

Tout le monde s'entend - en tout cas - à vouloir effacer la singularité de ce "suicide", qui n'est surtout pas lié à son existence d'écrivain. Cela demanderait à ce qu'on lise ses livres, pour commencer, effort semble-t-il hors de portée, les commémorations larmoyantes sont plus aisées, et permettent d'évacuer au plus vite l'essentiel.

Ce qui "compte" ce sont les "conditions objectives" de son suicide, c'est à dire ce qu'IL Y A DE COMMUN à TOUS LES ACTES SUICIDAIRES.

Chacun y va de son pathétique credo, les précédentes "tentatives", les immanquables "pulsions" de la circuiterie pop-psychanalytique, les "prédispositions" diverses et variées, les "peines d'amour", je passe rapidement sur les invocations pompeuses de "dépressions chroniques", voire de "psychose", jusqu'aux "problèmes financiers", sans oublier l'alcool, le sexe, les drogues, ne manque que le rock'n'roll.

Toute la société québécoise, ses médias en tête, a décidé d'aplanir ce qui fonde la singularité d'un écrivain, soit son jeu permanent avec les limites de sa propre destruction. Elle a refusé de comprendre les multiples contradictions qui fondaient son existence unique. Elle fera donc de Nelly Arcan une tragique icône pour tabloïd "intello", et personne ne se sera posé les vraies questions : non pas pourquoi, ni comment ?

Mais par qui ?

Et pour combien (d'exemplaires) ?

La société "démocratique" aura une nouvelle fois fait valoir les droits de la masse, qui se reconnaîtra dans ce portrait falsifié, et pourra continuer de dormir, en attendant le prochain vol orbital de Guy Laliberté et de son nez rouge.

Nelly Arcan, comme tout authentique écrivain, n'était pas qu'une seule personne, elle était non seulement plusieurs, mais elle était à la fois TOUTE personne possible et PERSONNE.

Ceux qui l'ont «suicidée », ses "éducateurs", les officines de la Médiature, la (dé)génération nihiliste qui lui a donné le jour, tous ont toujours su ce qu'ils faisaient en l'instrumentalisant comme "reine de l'autofiction trash" : en l'emprisonnant dans ce qu'elle paraissait être, y compris à ses propres yeux, on était certain de faire en sorte qu'elle ne devienne jamais ce qu'elle était, comme Nietzsche l'aurait probablement dit.

Je n'écris pas ce texte pour allonger un dithyrambe posthume de plus, et pas plus pour considérer cette mort avec le mépris convenu des écrivaillons du 6° arrondissement, ou de je ne sais quel cours de cultural studies , je vais au contraire m'efforcer de démontrer comment, simultanément, Nelly Arcan était un authentique écrivain, c'est à dire un être en devenir, tout autant que l'instrument pas totalement involontaire du "piège" dans lequel elle était enfermée, avec l'aide "désintéressée" des médias (dont celui qui l'avait embauchée), en répondant aux attentes d'un public amateur de "transgressions autofictionnelles", avant, précisément, face au mur du réel, de changer de direction, et de n'être plus comprise, ni suivie par les critiques en vue.

Cette jeune femme était à l'image de l'époque, elle en était son clone, et elle le savait. Ses chirurgies plastiques n'étaient que la conséquence d'une profonde perte d'identité - liée aux nouvelles formes normatives post-modernistes - et ces précédentes tentatives de suicide démontrent, si besoin est, qu'elle avait outrageusement conscience du terrible VIDE que la génération précédente, celle qui lui a "appris" la littérature à l'Université (!), lui avait laissé comme legs.

Prise dans cet étau insoutenable, sa "conscience" d'écrivaine ( c'est à dire double par nature) ne pouvait finir que par imploser. C'est pour cette raison que j'affirme sans ambiguïté que c'est bien la société dont elle était la paradoxale image (sur)vivante qui l'a faite disparaître. Comme Hubert Aquin fut "suicidé" par le social-libéralisme indépendantiste de la société québécoise des années 70.




C'est par ses livres bien sûr, que l'on a une chance de pouvoir comprendre la destinée de cette jeune femme, éliminée par la société dont elle était un des produits les plus aboutis tout autant qu'un pôle de résistance inconscient.

Mais c'est moins par leur contenu manifeste que par leur contenu latent. En fait, lire un livre de Nelly Arcan relève d'une bizarre expérience apophatique, ce qui est dit orbite autour d'un abyssal vide ontologique qui est à chaque fois le secret littéraire de l'ouvrage, son secret, donc son axe.

Dés la parution de son premier roman, Putain, tout était en place pour la grande bouffonnerie du monde de la Culture, en quête continuelle d'une idole à consommer, jusqu'aux cendres si possible. Le livre de Nelly Arcan tombait à pic pour les pigistes nécessiteux de la critique « subversive », il arrivait en pleine vague « trash » et au moment où les « autofictions » en vogue, de Catherine Millet à Christine Angot, se focalisaient principalement sur les positions du Kama-Sutra à adopter avec tel ou tel éditeur ou écrivain à succès sur la banquette arrière d'une voiture de location.

Mieux encore, elle s'offrait ainsi aux petits jansénistes du web qui, s'autobombardant « défenseurs de la littérature », s'empressèrent de l'assimiler avec les nouvelles figures « féminines » de cette écriture « transgressive », qui n'est rien d'autre que la panoplie phantasmatique bourgeoise adaptée aux moeurs de notre époque sexuellement « libérée ».

On a beaucoup glosé sur ce livre mais tout le monde s'entendit pour y voir « un cri de haine contre la gent masculine, doublé d'une haine de soi et d'un profond désespoir ». Personne ne sembla prêter attention à la tension dont je parlais plus haut, et qui naissait d'un quatrième terme. Ce terme, c'est l'écriture. C'était tout ce qui tentait justement de résister à la haine et au désespoir, c'est à dire au nihilisme ; cette tension se faisait jour dans l'écriture disais-je, donc par la pensée en mouvement, mais on n'en était encore qu'aux premières secondes post-natales, il s'agissait déjà pour Nelly Arcan de se réapproprier son oeuvre et son destin d'écrivain, convoités par tout les réducteurs de têtes de la culture et de la communication.

Avec la parution de son second roman, Folle, le processus de digestion par l'estomac du monstre culturel franchit un seuil qualitatif. Ce livre présente en effet comme sous une lumière chirurgicale tout ce que le premier avait jeté dans le chaos de l'électricité nocturne. Pourtant, déjà, Nelly Arcan sut jouer d'un paradoxe croisé : la vie d'une escort-girl est au final plus fatalement « réglée » que celle d'une jeune femme en quête de beauté et en proie au terrifiant conformisme de la « société normale », dans laquelle la seule issue est le pathos, alors que la seule maladie réelle c'est précisément cette société, capable de fabriquer celle qu'elle avait traversée dans le premier roman. Peu de « critiques » ont me semble-t-il perçu ce lien mystérieux et pourtant si visible entre les deux ouvrages. L'autofiction semblait vouloir se libérer de sa gangue systémique, certains parlèrent même de « poésie », de petits profs subventionnés lui accordèrent un satisfecit en maîtrise de la langue française, on vanta une « narration » plus construite, mais c'était évidemment pour mieux la confondre avec ce qu'elle pensait être, pour l'identifier avec l'image collective/objective qu'elle se fabriquait d'elle-même, tout autant que l'image subjectivisée que le socius lui renvoyait, avec pour objectif d' encadrer sa littérature naissante dans les schèmes de la « critique » contemporaine, qui n'aurait plus qu'à débiter à l'avance ses saucisses de poncifs universitaires.

Comme d'habitude, celle-ci manqua l'essentiel, c'est à dire la naissance d'une tragédie.

Désormais la tension exercée par l'écriture se faisait plus sensible, quelque chose résistait au récit lui-même, et surtout résistait à l'écrivain elle-même. En fait quelque chose résistait de l'intérieur à sa propre écriture.

Cela ne pouvait conduire qu'à une crise - krisis, changement - c'est à dire à une authentique catastrophe ontologique, qui est ce moment ineffable où l'écrivain se découvre un être libre.

Le moment le plus dangereux pour tout être humain, en particulier lorsqu'il s'est assujetti au verbe.

La Vérité nous rendra libre, nous apprennent les Saintes Écritures, c'est pour cette raison que la Vérité ne l'est pas. Elle est non seulement le point nodal de toutes les contraintes du Monde Créé, mais elle est aussi la lumière qui se transfigure et s'incarne, jusqu'à l'état de dénuement le plus extrême.

La Vérité gît au fond d'une cellule, ou saigne suppliciée sur une croix, si elle illumine c'est parce qu'elle prend sur elle toutes les ténèbres du monde. Si elle peut nous offrir la liberté c'est grâce au sacrifice qu'elle a consenti de la sienne propre.

La littérature est un lointain reflet de cette étincelle paradoxale ; écrire ne consiste pas à exprimer quelque chose venant de soi, mais à imprimer sur ce soi tout ce que le Cosmos est en mesure d'offrir et d'inventer à chaque instant.

L'écrivain n'est pas un haut-parleur, sauf celui qui aboie avec ses maîtres, l'écrivain est une machine d'enregistrement, de décodage, une machine « en-statique » qui aspire l'univers vers elle, telle une « boîte noire », plutôt que de diriger son esprit vers les extases fusionnelles avec l'extérieur.

A ce stade des hostilités entre l'écrivain Nelly Arcan et la société qui l'a conçue, la disjonction est déjà opérante, même si chacun des antagonistes n'en a pas encore pleinement conscience. Alors que la Médiature Générale et le troupeau démocratique qui la lit s'entendent pour vanter l'aspect « dérangeant », « intime », « cru » et « violent » de ses deux premiers romans, avec le « désespoir » qui va de pair, Nelly Arcan, lors d'une entrevue donnée à l'hebdomadaire VOIR, laisse percevoir la nature du choc dont je parlais un peu plus haut, cet impact laissé par l'irruption intempestive de la littérature au c½ur du « soi » qu'elle est venue détruire. Pour la première fois depuis son apparition sur la « scène littéraire », Nelly Arcan laisse échapper quelques mots cruciaux qui démontrent qu'elle a déjà compris que toute poésie, et par extension toute littérature, se doit d'être impersonnelle, comme le savait Georg Trakl :

Quand j'écris, je suis dans un état de grande neutralité. Je ne suis pas affectée par ce que j'écris. Je suis facilement affectée par la vie, les choses qui m'arrivent, mais dans l'écriture, il y a une grande distance qui s'installe. Je travaille énormément le rythme, les phrases, pour que le tout soit fluide. Je veux d'abord servir le sens du texte, et non pas une vérité qui serait personnelle.

Personne ne prit acte de la rupture en fait déjà consommée. Personne, d'ailleurs, ne voulut jamais admettre cet état de fait, jusqu'aux derniers instants la conspiration des imbéciles s'acharna à répéter son mantra et à tenter, souvent avec succès, à encager l'écrivaine dans un numéro ou un autre de son Magic Circus culturel.

Pourtant, il suffit à Nelly Arcan d'une soixantaine de pages pour définitivement vitrifier cette critique journalistique amorphe qui, déjà plongée dans son coma générationnel, ne se rendit pas compte qu'elle venait d'être tranquillement irradiée par un « objet » qu'elle ne pourrait comprendre, un « objet » qui la rendrait aveugle ou l'obligerait à coudre ses paupières.

Cet « objet » était un enfant. Un enfant aux miroirs.

Il n'y a rien de plus dangereux qu'un miroir.

Sinon un enfant.




Présenté comme un « conte », accompagné d'illustrations se faisant de plus en plus sombres et étranges au fil des pages, du format d'une nouvelle, ce texte semblait avoir été conçu, consciemment ou non peu importe, pour prendre à revers les dispositifs de la « critique » dont Nelly Arcan avait probablement décelé l'extrême dangerosité, bien plus élevée que celle des milieux interlopes qu'elle avait auparavant fréquenté dans le red light district.

Ce livre était à n'en point douter une forme de piège, un stratagème littéraire renvoyé à la face des petits tacticiens de la vie quotidienne.

Les thématiques de Nelly Arcan s'y révélaient cette fois avec une distance totalement assumée, l'impersonnalité ontologique devenait facteur de fulgurances narratives où la problématique de la falsification identitaire du corps « plastique » se faisait jour comme rapport sens/forme.

On y vit la plupart du temps un récit sur l' « anorexie », les questions soulevées par « l 'usage de la chirurgie esthétique », ou par la « surexposition médiatique » (les journalistes ne savent même pas parler correctement de leur fonds de commerce), certes on fit remarquer les problèmes d' « identité » que l'écrivaine semblait « subir » et « révéler » par son écriture, c'est à dire très exactement l'inverse que ce que cette même écriture était précisément en train de produire, y compris contre la volonté de l'écrivain qui la portait.

Ce que Nelly Arcan ne pouvait savoir à l'époque c'est qu'il était devenu impossible à la critique journalistique québécoise de se dédire. On avait fait d'elle bien plus qu'une « simple » écrivaine (il n'est jamais suffisant d'écrire, pour les cuistres), on l'avait couronnée impératrice de la relève littéraire québécoise, reine de la modernité autofictionnelle, elle avait impressionné Paris, elle était publiée au Seuil, elle était promise à un succès international, il aurait été anti-patriotique, et surtout contraire à ses intérêts bien compris, d'émettre la moindre opinion vraiment négative à son sujet.

Quelques-uns, micro-exceptions à la méga-règle, firent un peu la fine bouche devant l'abandon de ce qui avait permis le succès initial de l'auteur, mais on peut affirmer sans risque de se tromper qu'ils n'étaient que les dociles instruments de la seconde mâchoire du piège socio-médiatique, ils donnaient du crédit (presque) gratuitement à tous les autres et surtout, ils ouvraient subrepticement la porte à l'incompréhension assumée comme telle.

Que l'on ait saisi la dimension spécifique de ce livre importait peu, il fallait continuer coûte que coûte cette comédie pathétique de la petitesse bourgeoise, qui consistait à encenser (ou « critiquer ») l'écrivain non pour son ½uvre mais pour le personnage public que l'on avait fait d'elle et sur lequel tant de personnes avaient investi.

Ce livre, pourtant, marquait l'heure de la rupture intégrale.

A l'autofiction, Nelly Arcan substituait un récit polymorphe, aux limites du fantastique, dans lequel l'invisible prenait corps et où, étrangement, le thème du miroir, ou plutôt des miroirs, comme jeu labyrinthique, et piège à identité, occupait une place centrale.

La fiction, seul véritable vecteur de la littérature, se libérait de son « auto », réflexif et emmurant, ce « self » qui n'a pour raison d'être que de finir détruit par l'écriture, l'imagination n'était plus contenue par la volonté de coller à la soi-disant « réalité » et se permettait dès lors de côtoyer des territoires mystérieux où les technologies cosmétiques du corps-objet dialoguaient avec les abysses forés au c½ur de l'âme de l'écrivain.

Une étincelle se mettait à scintiller pour de bon dans la cellule, un rayon de lumière prenait son autonomie au c½ur de la machinerie humaine socioprogrammée, un départ de feu semblait en mesure de la court-circuiter pour de bon et de faire fondre la carapace de plastique qui séparait encore l' « individu » Nelly Arcan de la phase de « réunification », cette ultime étape de la quête alchimique, celle de tout être humain qui se met à la disposition du verbe.

C'était aussi le moment que le nihilisme préfère.

La Mort pouvait se contenter d'attendre, ce ne serait plus très long maintenant.

La société de la culture dé-singularisée était déjà prête à faire de la disparition de l'écrivain la chronique d'un suicide annoncé, la rubrique nécrologique était déjà dans toutes les têtes.

Elle ne pourrait éviter de s'inscrire dans celle de Nelly Arcan.

Il suffirait que le ciel s'ouvre.

Le sommet bétonné d'un immeuble, à ciel ouvert. La Cité « humaine » perçue depuis le zénith de la parfaite impersonnalité. Un triangle amoureux à la fois tragique et terriblement « banal ». La trahison comme processus de survie, l'amitié comme bourse d'échanges entre les individus aux plastiques métamorphiques. Le regard de l'autre considéré comme chirurgie intrusive. La haine de soi par soi cristallisée en colère « du double » envers le « moi », désormais clairement désigné pour cible. Le mépris des hommes radicalement accompagné de son équivalent féminin, plus de vengeance et ses boucs émissaires, mais la justice dans toute sa terrifiante et universelle implacabilité, la violence de l'écriture désormais distribuée à tout ce qui se dénomme humanité, une rage glaciale quoique tout juste apparente envers les roitelets de la communication et les Miss-Culture de la modernité. La cosmétique générale comme régime universel des ontologies de remplacement, sentiments annihilés donc exacerbés jusqu'à l'ultra violence. Le ciel orageux comme une immense blessure qui englobe le monde et dont l'ouverture, paradoxalement, incarcère ceux qui vivent sous son dôme électrique naturel.

Unité de lieu, unité de temps, unité d'action.

Qui aurait pu se douter un seul instant que l'acte de liberté absolue de Nelly Arcan allait prendre la forme du trinôme multicentenaire de la pure prose classique ?

Pas ceux qui, en tout cas, durent avaler la pilule, si j'ose dire, tout en maintenant un semblant de maintien et de correction à la table des invités.

Certains allèrent jusqu'à susurrer des mots susceptibles d'évoquer, indirectement certes, la notion de « trahison » voire d' « ingratitude », sans comprendre (comment le pourraient-ils ?) que la « fonction » d'un écrivain, s'il en est une, c'est justement de trahir ce monde et de ne devoir strictement rien à personne.

Les plus courageux d'entre eux parlèrent d' « abandon » certains firent même vaguement allusion à une possible « régression », voire, pire encore, de « construction traditionnelle », beaucoup s'accordèrent pour trouver ce livre « moins intéressant » et « moins novateur » que les précédents.

Le titre était déjà tout un programme. Il ne laissait guère de doute quant à la direction empruntée par l'écrivaine. Il était grand temps de la ramener à de plus raisonnables ambitions littéraires.

Il était temps de lui rappeler par qui et pourquoi elle avait été fabriquée.

Il était temps de lui rappeler qu'aucune étincelle de liberté ne résiste à la puissance ignifuge des extincteurs de la Culture.

Il était temps de lui rappeler que ce n'est pas l'immuabilité du silence qui peut condamner un écrivain, mais l'incessante insignifiance des bavardages.




Le moyen le plus sûr pour qu'il ne puisse s'y soustraire est d'une simplicité effarante : il suffit de le convaincre d'entrer dans le club de ceux qui les profèrent, en profitant de cette période de doute insufflée par la société elle-même. Lui offrir une « tribune » dans un journal ou un autre est une des méthodes les plus sûrement éprouvées par les maquereaux du nihilisme alphabétisé.

Peu de temps après la parution d'A ciel ouvert, alors que la critique journalistique poursuivait ses valses-hésitations autour de la « nouvelle Nelly Arcan », l'hebdomadaire gratuit ICI-MONTREAL parvint à l'attirer dans ses colonnes même pas infernales, et le ciel enfin offert se transforma irrésistiblement en une nouvelle cellule carcérale, celle de la presse à poncifs humanitaires, celle des pigistes guévaristes à la petite semaine, celle des « transgressifs » à géométrie phantasmatique variable, celle qui aimait bien Nelly Arcan, mais sous la neige carbonique des idées reçues.

Ainsi Nelly Arcan devint chroniqueuse socioculturelle pour une vulgaire machinerie du nihilisme soft alors même que les cieux littéraires s'étaient enfin ouverts dans l'orage de la krisis ontologique, avaient avalé le monde, et permis à toutes les identités de sa personne de se réunir tout en restant disjointes, bref, au moment où elle était devenue un écrivain à part entière.

Certes, je n'affirmerais pas ici qu'on a voulu sa mort stricto sensu, qu'un complot conscient a déterminé son geste, mais plutôt qu'on a tout fait (ce « on » amorphe et venimeux du collectif anonyme social) pour que ce désir thanatique que j'évoquais au début puisse revenir à l'avant-plan par la voie même qui ouvrait sur l'espérance. L'Agence de Programmation Générale n'est ni vénale ni cruelle, elle ne poursuit aucun intérêt spécifique, elle est la nature même de l'Homme de la Chute, elle est juste la métaphore actualisée de la masse humaine et de tous les moyens dont elle dispose pour faire taire toute singularité émergente.

Nelly Arcan risquait de devenir un être libre. Et elle risquait de le faire savoir. On comprend l'empressement qu'on a mis pour en faire une journaliste.

On comprend pourquoi on a voulu à ce point qu'elle reste dans le camp de la mort.



Maurice G.Dantec, le 10 octobre 2009.


SOURCE : http://www.surlering.com

11.7.10

2012



Rubrique "Nightitude", textes et images par Franck Chevalier,
Technikart juillet-août 2010.

8.7.10

Mieux vaut tard...



Monsieur,

Après multiples recherches, nous avons retrouvé une trace de Mr RIGAUT Jacques.

Nous tentons de retrouver son dossier dans nos archives.

Cordialement.

16.6.10

POST REPORT









Dimanche 13 juin 2010, au Point Ephémère, "exercice d'admiration" autour de Jacques Rigaut dans le cadre du festival Paris en Toutes Lettres, avec la participation du comédien Philippe Languille. Merci à Emma Rebato et Franck Chevalier pour les photos, et à Claire Duchesne-Bitton pour les films. Enfin merci à celles et à ceux qui avaient fait le déplacement.

4.6.10

SAVE THE DATE



Jean-Luc Bitton / Jacques Rigaut
EXERCICE D’ADMIRATION
avec la participation de Philippe Languille


« Pourquoi Jacques Rigaut ? Une question qui sous-entend : cet écrivain presque sans oeuvre dont la vie brève (suicidé à 30 ans, « Je serai un grand mort » annoncera-t-il) fut celle d’un « feu follet » polytoxicomane, gigolo, dandy désengagé à l’humour froid et insolent, mérite-t-il une enquête biographique au long cours ? Pourtant, derrière la trajectoire météorique d’une vie fitzgeraldienne vouée aux plaisirs et à la frivolité, se cache un personnage d’une vertigineuse complexité. Un homme qui durant toute sa courte existence « a cherché à ne pas mourir », avec la détonation d’un pistolet comme point d’exclamation final d’une vie consacrée aux questionnements et au doute. » JLB

Jean-Luc Bitton, Jacques Rigaut, Le Suicidé magnifique, une biographie à paraître chez Denoël
Point Éphémère | 13 juin 2010 | 15h

25.5.10

ADJUGE



LOT N° 519 / Estimé : 10 000 euros / Adjugé : 9000 euros



LOTS 520 et 521 / Estimés : 30 000 euros et 15 000 euros / Adjugés : 26 000 euros et 12 000 euros



LOT N° 522 / Estimé : 80 000 euros / Adjugé : 69 000 euros



LOT N° 523 / Estimé : 30 000 euros / Adjugé : 25 000 euros

La vente a rapporté au(x) vendeur(s) un total de 141 000 euros (hors frais).

5.5.10

Suicide en poche



Ai donc consulté le lot de manuscrits de Rigaut qui sera mis aux enchères ce vendredi 7 mai à 14h à Drouot. Rien d'inédit malheureusement, quelques variantes assez proches des textes publiés. Rien n'a échappé à Martin Kay. Emu d'avoir entre mes mains le télégramme sur lequel J.R. a écrit (avant Cocteau) l'un de ses aphorismes les plus célèbres : "Et maintenant, réfléchissez, les miroirs." Autre fameux aphorisme :"Essayez, si vous le pouvez, d'arrêter un homme qui voyage avec son suicide à la boutonnière." Dans une première version, Rigaut avait écrit "en poche". Si vendredi l'acheteur ne se cache pas derrière un téléphone, je me présenterai en espérant le convaincre de me fournir une copie de ces manuscrits.

26.4.10

"Cette passion de la possession..."


Lot n°519

RIGAUT Jacques

PUBLICATIONS POSTHUMES. MANUSCRITS AUTOGRAPHES. 7 pages in-4, in-8, in-12. Manuscrits autographes des « Publications posthumes » à l'encre et au crayon de Jacques Rigaut, comportant des ratures et des corrections. (7 pages). Mes cinq sens ne m'appartiennent pas. On a qu'une chose à soi c'est son désir. Je voudrais vivre à mon propre compte. » ... « Le plaisir est bien la chose au monde la plus difficile à imaginer (avec qui voulez-vous lutter !). Le désir c'est probablement tout ce qu'un homme possède. Je suis un homme qui cherche à ne pas mourir. » Publié dans « Ecrits » de Jacques Rigaut chez Gallimard en 1970. Jacques Rigaut se tire une balle dans le coeur en 1929, il a 31 ans. Son oeuvre se situe entre 1918 et 1929. On reconnaît Rigaut à son style « dénudé jusqu'à l'os », à ce ton inimitable qui lui valut l'admiration d'André Breton. De Rigaut on connaît les pensées, les aphorismes ; les manuscrits proposés ici sont exceptionnels, ce sont les plus longs qu'il ait jamais écrits, en particulier Lord Patchogue et E.L.

Estimation : 10 000 €

IMAGE NON FOURNIE

Lot n°520

RIGAUT Jacques

PUBLICATIONS POSTHUMES. MANUSCRITS AUTOGRAPHES. 24 pages in-8 et in-4. Manuscrits autographes des « Publications posthumes » à l'encre et au crayon de Rigaut comportant des ratures et des corrections. (24 pages). Sur une page de télégramme Jacques Rigaut l'annote de la façon suivante : ... « Inconcevable, injustifiable, le commencement. D'où cet amour des choses rondes, tenté de les prendre pour la perfection, car on y voit pas de commencement. Et maintenant, réfléchissez les miroirs. ». Rigaut signe le manuscrit : « Fendue, cousine de Coco-folie ». ... « La malchance, nous sommes dans le même sens. Moi aussi je pose des questions. Je suis ici pour ça.... De mes 24h, de mes 70h, de mes 30 ans, de mes souvenirs, de mes anticipations, de mon amour et de mes amours, de ma solitude et de mes contacts. Au plus et de moins, je cherche à répondre. Il ne peut pas s'agir que de poser le problème et de s'arrêter ». QUELQUES INÉDITS ET QUELQUES VARIANTES publiés en partie dans « Ecrits ».

Estimation : 30 000 €




Lot n°521

RIGAUT Jacques

PUBLICATIONS POSTHUMES. MANUSCRITS AUTOGRAPHES. 11 pages in-8 et in-4. Manuscrits autographes des « Publications posthumes » à l'encre et au crayon de Jacques Rigaut comportant des ratures et des corrections. (11 pages). ... « A tort et à travers Ma Chère, allons fumer dans la nuit, ceci sans l'aide d'aucun alcool, d'aucun poison, d'aucun chagrin, d'aucune fatigue, d'aucune faim. Cette passion de la possession, cette démangeaison d'agir, j'achète 7 automobiles, connaissez-vous ma collection unique au monde de boites d'allumettes ... Quelle personnalité. La table des matières c'est l'homme. Plus je suis dépossédé, plus je me possède (chanson, paroles de l'auteur) ». NOMBREUSES VARIANTES ET INÉDITS.

Estimation : 15 000 €




Lot n°522

RIGAUT Jacques

LORD PATCHOGUE. 3 ENSEMBLES DE MANUSCRITS AUTOGRAPHES. I. LORD PATCHOGUE. Manuscrits autographes à l'encre et au crayon de Jacques Rigaut comportant des ratures et corrections. (39 pages in-4). ... « La chambre, les 4 murs, c'est intenable. Il faut bouger. On ne sait plus quelle rue éviter, celles qu'on connaît parce qu'on les connaît, celles qu'on ne connaît pas pour la même raison ou pour une autre. Je soupçonne mes semelles de n'avoir pas été faites pour ces trottoirs, mes jambes pour ces pantalons ni ma patiente pour cette attente. Hauts faits, bas faits, acrobaties, records. Le plus difficile c'est de respirer. La lâcheté c'est toute la dignité de Lord Patchogue. Qu'est ce qu'on pourrait accepter ? Le départ est honnête : toute proposition étant inacceptable, toute attitude indésirable, il ne reste qu'un refus paresseux et contracté, et les gestes, les désirs, la pensée s'éloignent de moins en moins de la coquille. La suite l'est moins : quoiqu'il fasse et quoi qu'il ne fasse pas, Lord Patchogue l'appelle sa lâcheté ; on ne peut plus se tromper ». Quelques inédits et variantes publiés dans « Ecrits » de Jacques Rigaut chez Gallimard. II. LORD PATCHOGUE. Manuscrits autographes à l'encre de Jacques Rigaut comportant des corrections (5 pages in-4). ... « Voici Lord Patchogue. Vous savez le reconnaître. Sinon lui vous sauriez en reconnaître un autre... A sa peau brune, son contour, son mouvement, un bel air, son visage ou malgré le caractère des traits, malgré le contrôle des expressions, subsiste une certaine faiblesse qu'on ne sait où placer, quelque chose de vulnérable ». UNE PARTIE EST INÉDITE, l'autre est publiée dans les « Ecrits » de Jacques Rigaut. III. LORD PATCHOGUE. Manuscrits autographes à l'encre et au crayon de Jacques Rigaut comportant des ratures et corrections. (21 pages in-4). ... « L.P. court s'assumer devant la glace qu'il est encore la. Pas lui vraiment, mais son nez, le nez qu'il s'est vu il y a quelques minutes. Ce n'est pas tant de son existence qu'il doute que de celle de chacun, de ses attributs et sinon de leur existence, de leur légitimité ». ... « Vous qui le connaissez, vous savez faire des différences, vous aimez ses cheveux mais vous n'aimez pas le son de sa voix... Vous ne me croirez pas, je n'ai pas de désir pour lui, son corps qui me donne plus de plaisir que je ne mérite, son corps dont chaque poil est chéri je ne le désire pas ». PASSAGES ÉCRITS EN MÊME TEMPS, VARIANTES ET INÉDITS.

Estimation : 80 000 €



Lot n°523

RIGAUT Jacques

E.L. MANUSCRITS AUTOGRAPHES. 21 pages in-8 et in-4. E.L. Manuscrits autographes à l'encre et au crayon de Rigaut comportant des ratures et corrections. (21 pages). ... « On vit alors E.L. s'empresser autour de la jeune fille, introduire dans leur amitié un soin autoritaire, un contrôle jaloux qui ne manqua pas de libérer l'espoir de sa partenaire. E.L. fut ignoble, il se fiança et ceci au mépris de la désolation de sa famille avec une jeune fille pauvre ; toutes les apparences étaient avec lui... » ... « C'est un taxi qui a fait sa fortune, c'est un taxi qui la défit. A l'angle de la rue de Provence et de la rue Mogador, la voiture où sa fiancée avait pris place fut proprement aplatie contre un immeuble... La fortune de la malheureuse passait à ses héritiers... Au retour du cimetière, E.L. à nouveau monta dans un taxi. Une femme y avait laissé son sac. E.L. le ramassa, et sans colère, le jeta par la portière. » PREMIER JET COMPLET DE E.L., QUELQUES VARIANTES ET INÉDITS publiés dans « Ecrits » de Jacques Rigaut.

Estimation : 30 000 €

Merci à Bernard Morlino et à François Martinet de m'avoir signalé cette prochaine vente aux enchères qui propose d'importants manuscrits de Rigaut. Des manuscrits qui proviennent toujours de la même liasse, celle avec laquelle Martin Kay avait préparé l'intégrale des Ecrits de J.R. chez Gallimard en 1970. A l'époque Kay avait consciencieusement relevé les variantes et inédits de cette liasse de manuscrits et les avait insérés dans ces notes en fin d'ouvrage en soulignant tout de même qu'il n'avait pas retranscrit certaines de ces variantes les trouvant négligeables. On le comprend étant donné l'énorme travail de sauvegarde littéraire qu'il avait déjà réalisé. Curieux de consulter ces "variantes et inédits", j'ai contacté Maître Jean-Claude Binoche et l'expert Claude Oterelo. Un rendez-vous a été fixé pour le 3 mai. Wait & see.

18.4.10

Rigaut vivant




"J’ai des cernes. Je mets mes lunettes noires. Je suis à la terrasse du Soleil de Ménilmontant. J’attrape les rayons UV pendant dix minutes et je me retrouve subitement dans l’ombre. J’enlève mes lunettes et je remets mes cernes. J’arrive au Baron pour le concert d’Open Space & Stars, sacrément en retard, et même pas sur la liste. Tout est très humain cependant et j’assiste à la fin du concert avec la belle Nina Lili qui chante ! Je prends un taxi pour me retrouver dans un embouteillage à 3 heures du matin. Je me rends au prix littéraire de la Closerie des Lilas. Ce cher Rigaut m’attend devant le lieu mythique, il brandit fièrement sa nouvelle acquisition, le roman Arthur Cravan, précipité de Bertrand Lacarelle. «Il y a un dossier Arthur Cravan au FBI, m’assure Rigaut. - Allons-y, dis-je. - Au FBI ? s’exclame-t-il. - Non ! On se fait la Closerie avant !» Mince, je ne suis à nouveau pas sur la fameuse liste… Je passe un coup de fil et les choses s’arrangent grâce à Marie. Nous entrons pour l’adoubement de Véronique Bizot pour Mon couronnement. Mon heure a sonné quand Alistair me reproche de ne pas avoir lu Montherlant. «C’est très humain», lui dis-je, inquiet… Et si Marjorie allait soudain me mordre l’oreille ? La Closerie a un côté vintage ce soir, avec les tailleurs Chanel qui swinguent sur la piste ! Sollers est de sortie. Claire Linda me récite du Ginsberg ! J’aime bien, mais je crois que le champagne me monte à la tête.

Je me retrouve avec Thibaut chez Paulina. Il ne faut pas faire de bruit, car un voisin psychopathe menace de sortir ses lettres de dénonciation au moindre bruit.

Je redescends à pas de loup en imaginant un fou armé d’une francisque.

Je me dis que la Gare aux gorilles va me sauver ! Manger une merguez sur une voie ferrée désaffectée est un pur plaisir !

Vision préraphaélite : Feten aux cheveux bouclés danse devant moi. Luis le Créaliste organise un jeu où chacun doit inscrire sa règle pour une nouvelle société. Je retiens deux règles : la danse du papillon ! Soulevez votre cavalière par la taille et laissez la battre des bras ! C’est onctueux. Et enfin le fameux baisemain érotique d’Aurélie. Délicieuse pratique quand elle passe délicatement sa langue entre mes doigts. Tout cela est très humain, car j’ai droit à un second baisemain."

Tristan Ranx / Libération du 17/04/2010

31.3.10

Mise en scène




Définitivement, les photographies de Man Ray méritent une observation attentive (voire un agrandissement) qui souvent révèle des détails surprenants que personne jusqu'alors n'avait remarqués. Sur cette célèbre image du groupe dada, Tristan Tzara tient dans sa main gauche un pistolet dont le canon est braqué vers la tête de Rigaut.

30.3.10

Evelyn & Robert



"On May Day, just after leaving her fiancé, 23-year-old Evelyn McHale wrote a note. 'He is much better off without me ... I wouldn't make a good wife for anybody,' ... Then she crossed it out. She went to the observation platform of the Empire State Building. Through the mist she gazed at the street, 86 floors below. Then she jumped. In her desperate determination she leaped clear of the setbacks and hit a United Nations limousine parked at the curb. Across the street photography student Robert Wiles heard an explosive crash. Just four minutes after Evelyn McHale's death Wiles got this picture of death's violence and its composure."(Girl jumps to death from Empire State Building, magazine Life du 12 mai 1947, p. 43)

29.3.10

MARION



"Lorsque l'enfant était enfant,
il ne savait pas qu'il était enfant,
tout pour lui avait une âme
et toutes les âmes étaient une.

Lorsque l'enfant était enfant,
ce fut le temps des questions suivantes:
pourquoi suis-je moi, et pourquoi pas moi ?
Pourquoi suis-je ici et pourquoi pas là ?
Quand commence le temps et où finit l'espace ?
La vie sous le soleil n'est-elle pas un rêve ?
Ce que je vois, entend, sens, n'est-ce pas simplement
l'apparence d'un monde devant le monde ?
Le mal existe-t-il vraiment et des gens
qui sont vraiment les mauvais ?
comment se fait-il que moi, qui suis moi,
avant de devenir, je n'étais pas,
et qu'un jour moi, qui suis moi,
je ne serai plus ce moi que je suis."

(Peter Handke)

25.3.10

Sainte Mireille


Mireille Havet en 1927


Mireille Havet en 1931



Claire Paulhan publie le quatrième tome du magnifique Journal de Mireille Havet, qui témoigne d'une lente mais vertigineuse descente aux enfers de la « petite poyétesse » d’Apollinaire, méthodique et lucide organisation d'un suicide social (refus radical des conventions) et physique (polytoxicomanie effrénée): “Pas d’argent. Pas de rémission. Pas d’amis. Pas d’explication possible à leur donner qui, désormais, justifie que cet état se prolonge, du reste, et que je sois toujours empêchée de gagner normalement ma vie. Je ne suis plus un enfant qui attire la compassion et un intérêt attendri. Comme les autres, seule comme les autres, un cas entre des millions, sans autre singularité qu’un glorieux et étincelant début et une fin lamentable, complètement anonyme et obscure pour tout ce même monde qui, à 15, 16, 17 et jusqu’à 25 ans même, attendait de moi son divertissement intellectuel principal, m’accordait du génie et, en échange, me promettait une gloire sans précédent. (...) Progressivement, je le répète, comme un rouleau compresseur qui avance, ne connaît aucun obstacle et fait lentement son travail d’heure en heure, la morphine a tout détruit, tout sapé, tout anéanti, et j’ai tout perdu, mon amie, son argent, nos maisons, ma confiance, ma santé, mes années, mon talent, mon courage, ma fraîcheur, l’amour, même l’amitié, la poésie qui s’est retirée de moi comme la mer abandonne un rocher trop ingrat et qui, désormais, déchiqueté, rude, délaissé, presque effrayant dans son isolement dès lors éternel, s’élèvera seul des flots, sans oiseau et sans graine, sans terre surtout pour qu’y germent les graines apportées des oiseaux, sans rien à l’infini et dans l’Eternité que le ciel et la mer, tout deux aussi distants et aussi éloignés de lui.
J’ai tout perdu, ma vie, mon instinct de vivre, ma répugnance du mal, mon goût de me soigner. La morphine, cette écharde invisible du début, est devenue le poignard, la hallebarde qui, à travers mon corps, a transpercé mon cœur et m’a tuée, m’a clouée au sol le plus bas, à la terre boueuse où l’on m’enterrera… enfin ! La morphine, et sa sœur la cocaïne, et l’héroïne son aînée, sept fois plus dangereuse et toxique qu’aucun des poisons, ont peu à peu tout remplacé et maintenant me restent seules.
Comment voulez vous que, n’ayant plus rien, je n’aie pas fait le pacte du diable, de l’âme vendue, avec mes pires ennemies ? C’est pour les acheter que je donne mes derniers billets, que j’emprunte, mendie à n’importe qui. Je vendrai sans doute tout pour cette unique et dominante dépense qui me détruit, comme le vitriol dissout le squelette même de l’homme et ses bagues, car même tous les métaux sont détruits par lui et son acide inguérissable et brûlant.»

Mireille Havet est morte le 21 mars 1932 à Montana en Suisse dans le même sanatorium où son ami René Crevel avait séjourné. Elle sera enterrée au cimetière de Montana. Au fil du temps, sa tombe disparaîtra dans l'anonymat.

20.3.10

Porter la main sur soi




"L'arme braquée par le suicide contre la vie en a toujours raison. Nuls débris, nulles ruines ne peuvent subsister après le passage de cette volonté qui brûle de tout détruire. Mais un tel attentat laisse entière la force de celui qui l'a commis.[...]" (Paul Eluard à propos de Jacques Rigaut)

8.3.10

Mark Linkous (1962-2010)




From the Linkous Family: "It is with great sadness that we share the news that our dear friend and family member, Mark Linkous, took his own life today. We are thankful for his time with us and will hold him forever in our hearts. May his journey be peaceful, happy and free. There’s a heaven and there’s a star for you." - March 6, 2010






"Cheveux fous, lunettes épaisses et démarche claudicante. Mark Linkous n'a pas vraiment changé depuis sa dernière venue à Paris, il y a trois ans. A peine remarque-t-on le sillon de ses rides un peu creusé. D'allure voûtée, l'homme qui se cache derrière Sparklehorse rassemble en lui seul deux styles antinomiques. Le bûcheron au volant de son pick-up croise l'intello hypersensible amateur de poésie et de musique abstraite.

Cloîtré. En quatre disques et près de dix années de rock taciturne, Mark Linkous est devenu une référence discrète et crédible, que l'on débusque au gré d'albums importants. Il a travaillé avec Christian Fennesz, producteur d'une electronica cérébrale. Il a finalisé le dernier disque de Daniel Johnston, l'homme aux huit cents chansons et autant de séjours en hôpital psychiatrique qui chante depuis vingt ans l'amour perdu de Laurie, cette adolescente partie avec un employé des pompes funèbres. Mark Linkous a tourné avec The Flaming Lips. Il est aussi (et surtout) resté cloîtré chez lui, en Virginie, dans cette ferme qu'il occupe avec sa femme Teresa, où deux chevaux côtoient des chats, des lapins et le chien Barko. Enfermé dans sa chambre, au fond de son lit, sans rien faire durant trois ans.

Dreamt for Light in the Belly of Mountain, le quatrième album, clôt une demi-décennie durant laquelle Mark Linkous n'a pas touché terre. Ou très peu, lors de ces rares collaborations en marge de Sparklehorse. Voilà pourquoi le disque flotte et délaisse les balises folk et country qui jalonnaient Good Morning Spider en 1999, ou It's a Wonderful Life, en 2001.

«Submergé». Plus aérien, sans être aéré, d'une mélancolie dénuée d'afféterie, Dreamt for Light... révèle une pop ouvragée aux voix serties d'effets. Précipité sensible d'une rémission : «Il m'a fallu du temps pour reprendre pied. Durant cette dépression, j'étais incapable de composer, d'écouter de la musique, ou même de lire un bouquin. J'ai passé des mois au fond du trou. Le 11 septembre m'a beaucoup affecté : voir mon pays s'enfoncer dans la bêtise avec l'administration Bush aux commandes m'a donné l'impression d'être perdu.C'est arrivé à un moment où j'étais déjà très affaibli : beaucoup de personnes autour de moi sont mortes, des amis très proches ou des membres de ma famille. Je me suis senti submergé, j'avais l'impression que tout le monde devenait fou. Faire de la musique n'avait plus aucun sens.»

Mark Linkous est un habitué des accidents de parcours. Il y a dix ans, une chute dans un escalier, un soir de bringue, l'a collé dans un fauteuil roulant pendant des mois. Il a fallu réapprendre à marcher, s'appuyer sur une canne et accepter de porter à vie une attelle à la jambe. Cette fois, la sortie de crise s'est imposée d'elle-même : «N'ayant plus d'argent, je ne pouvais même pas payer mon loyer. Mon manager m'a envoyé des disques pour que je me remue. Dans la pile, il y avait The Grey Album, de Danger Mouse. J'ai adoré et l'ai appelé. Il m'a alors avoué être fan de Sparklehorse.» La rencontre avec l'un des producteurs hip-hop les plus en vue du moment (Gnarls Barkley, c'est en partie lui) l'oblige à quitter le lit : «Il s'est pointé chez moi et je ne savais pas quoi lui dire. Il a pris possession de mon studio, on a ressorti des vieilles chansons et on s'est mis au boulot. J'ai alors commencé à me dire que j'étais peut-être capable de refaire de la musique.»

Au total, Danger Mouse a produit quatre titres de Dreamt for Light... Il y a Getting It Wrong, comptine minimaliste où Linkous, comme à son habitude, chante à travers un microphone d'enfant. Il y a aussi Don't Take my Sunshine Away, qui ouvre l'album sur des grésillements amnésiques, ou Return to Me, «très difficile à chanter en public, parce qu'elle exprime tant de peine qu'elle en paraît impudique».

Ravalement. Pour les autres titres, Linkous a souvent travaillé seul, notamment sur Some Sweet Day («écrite pour ma première petite amie, morte il y a deux ans»), avant de s'entourer de Dave Fridmann, producteur de Mercury Rev et de Low, et, pour une chanson, de Tom Waits au piano : «C'est la première fois qu'on jouait ensemble. J'avais l'impression de faire un voyage dans le temps.» Précisément à la fin des années 80 quand ce fils et petit fils de mineurs monte à 20 ans un premier groupe, The Dancing Hoods, avec pour modèle Swordfishtrombone, de Tom Waits. Linkous tente sa chance du côté de Los Angeles, puis rentre à la maison et se convertit au ravalement de façades dans une entreprise du bâtiment.

Elevé au bluegrass et à la country, fan de Johnny Cash puis des Sex Pistols, fondateur de Sparklehorse en 1995 au côté du discret Scott Minor, Mark Linkous garde cet attachement à la terre que l'on retrouve dans les romans de Chris Offutt ou Larry Brown. Une manière de s'ancrer les pieds au sol, quand la tête, entre désillusion et peur panique, aurait tendance à dériver : «Je ne peux pas me dire à jamais guéri. Je sais qu'au fond de moi, l'équilibre demeure fragile. Mais je sais aussi qu'en ce moment les choses vont de mieux en mieux. Et je me mets des coups de pied au cul pour que cela continue.»

MASI Bruno / Libération / 2006

6.3.10

Pierre Ubu



"De tous ces gens qui prétendent m'aimer, de ces petites amies, de ces amis, de ces camarades, est-il un seul être qui soit capable de me retenir sur terre, qui ait vraiment besoin de moi et pour qui ma mort serait une mutilation irréparable? La réponse est négative, impitoyablement négative, et pourtant la certitude que nous sommes là pour quelqu'un serait la seule force capable de nous arracher au petit oeil noir, rond et méchant qui, à la fin du Feu follet, fixe le coeur d'Alain dans une éblouissante éternité." (Le défi, Gabriel Matzneff)


Drôle de justice : d'un côté elle laisse en liberté un psychopathe "connu des services de la police" qui a fini par tuer sa conjointe et de l'autre elle menace de prison un ami écrivain à cause de propos publiés sur son blog au sujet de l'affaire Perret/ Léautaud. Je n'ai jamais été sensible à la poésie mièvre et bien-pensante de Pierre Perret. Cette affaire me conforte dans mon opinion à propos de l'auteur du Zizi.... et j'apporte évidemment mon soutien à Bernard Morlino qui risque tout de même la zonzon et une forte amende. Le plus révoltant est le silence assourdissant du monde des Lettres qui souvent se drape dans l'indignation pour moins que ça. Quelques-uns heureusement dénoncent le caractère ubuesque de cette affaire comme Pierre Assouline ou Jérome Garcin. Les dadaïstes qui avaient demandé la peine capitale pour Maurice Barrès et craché sur le cadavre d'Anatole France seraient derrière les barreaux aujourd'hui.

27.2.10