30.3.05

L'archiviste


Henri Berr, à l'âge de 91 ans, à son bureau.

Mon enthousiasme concernant les archives nationales est vite retombé. Au bout de deux journées de vaines recherches, me suis adressé une énième fois à la dame qui trône derrière le bureau central. Je lui demande de me guider dans ce labyrinthe kafkaïen où tout est classé de façon abstraite avec des chiffres qui renvoient à des registres qui eux-même renvoient à d'autre chiffres... Elle me dévisage derrière ses lunettes avec un air moqueur. "C'est quoi ce ton geignard", me dit-elle. Je reste calme malgré mon envie de lui envoyer une pique sur son air pincé et condescendant. Après le petit sermon, elle m'explique enfin comment arriver à mes fins, c'est-à-dire tenter de retrouver quelques bribes de la vie d'un homme dans des tonnes de paperasse administrative. Je la prends en faute (avec un plaisir non dissimulé) sur un défaut qu'elle doit connaître. "Vous parlez trop vite", lui dis-je. Rougissante, elle ralentit alors son flot de paroles qu'elle doit répéter chaque jour que Dieu a fait. Je commence à compatir. Elle a dû sentir mon élan de tendresse car elle se détend, devient plus amicale et finit par m'ouvrir ses trésors d'archiviste principale. Nous nous quittons avec un sourire complice.

"Souvent Guérin m'horripile. A quoi bon s'amuser à chercher qui se cache derrière la figure de cet agent général d'assurances! N'a-t-on pas décrété qu'un biographe finit toujours par faire, à travers son modèle, son propre portrait?" (31, allées D'amour, Raymond Guérin 1905-1955 par Jean-Paul Kaufmann, éditions La Table Ronde, 2004)

"Je suis dans les assurances. C'est un métier idiot, mais il laisse pas mal de libertés." (Raymond Guérin)

28.3.05

Teasing



Pour ceux et celles qui voudraient en savoir plus (en attendant la biographie...), j'ai publié dans la Nouvelle Revue française (N° 571, octobre 2004) un dossier consacré intégralement à Jacques Rigaut. Beaucoup de choses inédites : informations biographiques, lettres, photos, etc. Enjoy!

26.3.05

"J'écris pour vomir"




Le mouvement Dada, via sa revue "Littérature", a été l'initiateur des fameuses "enquêtes" qu'on retrouvera dans les publications surréalistes. En novembre 1919, le comité éditorial de la revue (Breton, Soupault, Aragon) posait aux "représentants les plus qualifiés des diverses tendances de la littérature française" cette simple question : "Pourquoi écrivez-vous?" L'histoire retiendra quelques réponses radicales comme celle de Paul Valéry : "Par faiblesse". On se souvient également de la réponse de Beckett - "Bon qu'à ça" - en 1985 au journal Libération qui avait réalisé avec Daniel Rondeau la mise à jour de cette illustre enquête. Rigaut est absent des réponses publiées par "Littérature". Beaucoup plus tard, il griffonnera sur un bout de papier sa réponse non moins radicale : "J'écris pour vomir."

L'été dernier (août 2004), la Quinzaine littéraire poursuivait la tradition en réalisant une enquête auprès d'une centaine d'auteurs avec cette pertinente question d'actualité : "Pour qui vous prenez-vous?" J'ai noté la réponse d'Enrique Vila Matas : " (...) Vous êtes tous des poètes et moi je suis du côté de la mort, disais-je à mes contemporains en imitant Jacques Rigaut."

25.3.05

Icono






Pratique de l'alternance dans ma méthodologie de recherches pour tenter de juguler le découragement qui parfois m'envahit devant l'ampleur de la tâche à effectuer. Immersion hier dans le fonds Man Ray pour faire l'inventaire des portraits de Rigaut. La conservatrice m'accueille chaleureusement. Elle me donne les coordonnées de personnes susceptibles de m'éclairer sur Man Ray et sa relation avec les dadaïstes. A l'aide du compte-fil, j'observe la moue désabusée de J.R. avec souvent cette légère ironie dans le regard. "Un je-m'en-fichisme d'ange" notera Jacques Porel.

23.3.05

Salonard (bis)




Nocturne hier soir au Salon du livre en compagnie de Dagmara (portrait ci-dessus) qui prépare un mémoire de maîtrise sur Cioran. Je lui présente Roland Jaccard au stand des Puf en train de dédicacer son livre "Cioran et compagnie". Quelques instants auparavant une jeune asiatique à l'air dubitatif était assise devant sa pile de livres. Coïncidence amusante quand on connaît l'amour de l'essayiste suisse pour les lolitas japonaises. Chez Liana Levi nous croisons Alexandre Gouzou et Patrice Lelorain qui nous suivent sur le stand de Champagne-Ardenne où le volubile Eric Poindron des éditions du Coq à l'Ane nous présente Hubert le jardinier, auteur phare de sa maison d'édition. Sur le chemin qui mène au stand de l'Imec, nous rencontrons Marc Dachy qui distribue des tracts (pas dada) avec le sommaire du dernier numéro de sa belle revue, Luna Park. J'attends avec impatience la parution de ses archives Dada en deux tomes chez Hazan. Olivier Corpet, directeur de l'Imec se joint à nous. Dachy se plaint de la place que lui prennent ses archives. "Appelez-nous" lui glisse Corpet avant de s'éclipser. Une soirée quasi surréaliste qui se poursuit dans la bonne humeur chez Denoël où Olivier Rubinstein m'apprend que Jean Echenoz est un lecteur du "blog Rigaut".

Rencontré aujourd'hui Dominique Tiry qui a présenté et annoté le Journal de Mireille Havet. Elle me confirme que J.R. et M.H. se sont rencontrés. A la fin de notre conversation, Jacques Rigaut et Mireille Havet m'apparaissent comme frère et soeur. Même violence, même passion pour les stupéfiants, même soif d'exigence et d'absolu. Mireille Havet avait acheté également un revolver pour se tuer. En avril 1930, dans l'une de ses dernières lettres Mireille Havet confie sa désespérance à Ludmila Savitzky, la grand-mère de Dominique Tiry : " Lud! ne me laissez pas seule, avec tant de morts; venez, aidez-moi à ne pas rejoindre ceux-là qui nous quittent et que j'envie trop! mais je ne peux plus rester ici, dans cette solitude absolue où jamais personne ne me parle plus de rien de ce que je connais et aime."

Remerciements à Thomas Baumgartner qui m'a transmis les coordonnées de la comédienne Yvonne Clech qui jouait le rôle de Mademoiselle Farnoux dans "le Feu follet".

Ecoute des Gymnopédies et Gnossiennes
d'Erik Satie. dont les notes vives et nostalgiques collaient merveilleusement à l'ambiance désemparée du film de Louis Malle.

22.3.05

Solange











ALAIN : Tu es jolie femme, tu es bonne. Et pourtant, nous deux, rien à faire. S'en aller sans avoir rien touché, beauté, bonté, tous leurs mensonges!

SOLANGE : C'est une question de moment Alain, entre un homme et une femme. Et toutes les autres? Elles sont ravissantes, elles vous adorent.

ALAIN : Pas assez belles, pas assez bonnes, elles sont parties.

SOLANGE : Elles vous attendent, elles aiment autant que moi l'amour, la chose bien faite.

ALAIN : Voilà, c'est ça, la chose bien faite. Je m'en vais.

Conversation téléphonique aujourd'hui avec Alexandra Stewart, l'actrice qui jouait le rôle de Solange dans le film de Louis Malle. Très chaleureuse, elle accepte de me rencontrer pour évoquer le tournage du "Feu follet".

21.3.05

Jacques, Pierre, Maurice, Louis et Serge





Manuscrit dactylographié du texte "Adieu à Gonzague"
de Pierre Drieu La Rochelle



Si vous ne devez voir qu'un film de Louis Malle, voyez le plus beau, le plus grand, le plus sublime : "Le Feu follet". Ce film est l'adaptation du roman homonyme (l'un des plus beaux également) publié par Drieu en 1931. Ce "roman qui fait encore peur", écrivait le biographe de Drieu (Magazine littéraire, 1978) est la suite de "La Valise vide", la longue nouvelle parue en 1923 dans La N.R.F où Jacques Rigaut avait déjà servi de modèle à son ami. Drieu bouclera ce triptyque littéraire avec "Adieu à Gonzague", un mea culpa déchirant écrit après le suicide de Rigaut. Restons dans le superlatif, Louis Malle avec ce film noir et douloureux donne à Maurice Ronet le rôle de sa vie. L'excellentissime comédien qu'était Ronet atteint ici des sommets en jouant le personnage d'Alain Leroy. De la première à la dernière image, on est saisi, presque hypnotisé, par le jeu de l'acteur dont la sobriété froide et la violence retenue nous transpercent le coeur. L'histoire même de ce film mériterait un livre tant elle est passionnante. Un chapitre important de la biographie y sera consacré. A l'automne 1963, un jeune journaliste de "Clarté" (journal des étudiants communistes) nommé Serge July rencontre le réalisateur au Balzar pour un long entretien. "Je n'aime pas Rigaut, confie Louis Malle au futur directeur de Libé. C'est un drogué. Il m'exaspère." La bonne nouvelle pour la fin : "le Feu follet", film aujourd'hui introuvable, devrait sortir prochainement en DVD .

18.3.05

Salonard




"Je préférerais me (faire) tuer qu'aller au Salon du livre"
(Frédéric-Yves Jeannet à JLB, le 18 mars 2005
)



Hier soir donc, au Salon du livre. On commence le name-dropping ? Ai entamé le tour des stands par celui de mon éditeur. "J'espère que vous ne passez pas trop de temps sur votre blog" me lance Olivier Rubinstein. Je croise Audrey Diwan qui me confie qu'elle est "éditrice" chez Denoël. Je bifurque ensuite chez Flammarion où Juliette Joste me présente à quelqu'un dont j'ai oublié le nom, mais qui m'affirme que Rigaut dépasse de loin tous les surréalistes. J'opine du chef puis me rends aux éditions des Femmes où Caroline m'offre une coupe de Ruinart. Dans les couloirs surpeuplés, je tombe sur Franck Chevalier qui m'entraîne chez Verticales. Nous demandons à Yves Pagès s'il a vu Chloé Delaume. "Elle ne devrait pas tarder" nous répond-il. Je sens une main se poser sur mon épaule, c'est Jean-Yves Jouannais à qui j'avoue l'avoir vu au bord d'un passage piéton avec sa petite famille dans l'attente d'un feu vert. "Comment c'était ? me dit-il, pathétique? dis-moi..." N'importe qui est pathétique quand on attend qu'un feu passe au vert, lui réponds-je. Chloé arrive enfin, avec son compagnon Thomas. "Vous faites couple goth" remarque Franck. Chloé me présente Marc Décimo, le très sympathique spécialiste de Marcel Duchamp. On se promet de se réunir prochainement tous autour d'une table. Subitement, un mouvement de foule, c'est Jean-Pierre Raffarin qui passe près de nous. Je l'observe, de profil il ressemble de plus en plus à Dany de Vito dans Batman. Le calme revenu, je vais faire un coucou à Claire Paulhan qui me donne trois superbes cartes postales illustrées par un portrait de Mireille Havet et un extrait du Journal. Sur le chemin, je croise Nathalie Kuperman, Catherine et Alix Leduc des éditions Leduc et Laurent Sorbier, le Mossieur Internet du gouvernement Raffarin justement. Je leur donne mes cartes postales en leur conseillant vivement de lire MH. Nous finissons la soirée entre le stand Denoël et celui de Verticales. Emma nous a rejoint ainsi qu'Antoine, Jérome la Perruque, Stéphane Million, Pascal Bories, Claro, Laurence Rémila, Nathalie Jungerman, Anne Bonnin, Olivier Chaudenson des Nuits de la Correspondance. Je dois en oublier. Pardonnez-moi...

17.3.05

Oubli et redécouverte


"Adhérer! un idéal de mollusque..."
(Georges Hyvernaud)

Matinée productive. Plusieurs coups de fil avec des rendez-vous fixés. A Doucet, cette après-midi. Appris avec tristesse la disparition d'Andrée Hyvernaud, la veuve de Georges Hyvernaud qui inlassablement a défendu la mémoire de son mari. Grâce à son action, l'oeuvre éclatante d'Hyvernaud a resurgi des oubliettes de la littérature dans lesquelles elle avait sombré. En 1999, à travers un poème, elle exprimait magnifiquement ce dévouement : "Son ombre - je suis là/ pour empêcher son ombre de mourir/ je n'ai rien d'autre à faire - à dire."

16.3.05

Open Bar


Mireille Havet en 1923

Pour la première fois, au Centre Historique des Archives nationales. Au prime abord, comme tout novice accédant à un institut d'archives, la recherche des documents semble laborieuse, voire complexe. Je dois également me rendre aux Archives de Paris. L'excitation de trouver de nouveaux documents dans un territoire de recherches encore vierge.

Cliquez ici pour avoir des informations plus détaillées sur l'actualité autour de Mireille Havet. Demain soir, nous serons au vernissage du Salon du livre. Le plus grand Open Bar littéraire de l'année!

«Aller au-devant, rompre, ne rien admettre, détruire et rejeter tout ce qui, même de très loin, menace une seconde l'indépendance, voici mes lois. Ce n'est pas une politique de la conciliation, c'est exactement une révolte. Je ne mangerai pas de votre pain. Je serai abracadabrante jusqu'au bout.» (Mireille Havet)

15.3.05

A (dé)faire!



Mireille H. avait le sens de la formule... Me suis égaré dans le lycée Louis-Le-Grand où J.R. a suivi une partie de sa scolarité. Le bibliothécaire me reçoit dans un bureau très XIX ème. Pour accéder au dossier scolaire du petit Jacques, il me faut demander une dérogation auprès de Madame la Directrice des Archives de France. Je consulte les traditionnelles photos de classe en espérant y reconnaître le futur Lord Patchogue, en vain. Les photos ne sont pas légendées ni datées... Tsss Tsss, un aussi prestigieux établissement qui ne soucie pas de ses archives, c'est dommage et ennuyeux pour le biographe. Mon Bloc Bureau 100 feuilles format 210 X 297 sur lequel au marqueur noir j'ai écrit " Rigaut, A faire!" se remplit plus vite qu'il ne se rature. A chaque biffure de la tâche accomplie, je ne peux m'empêcher d'avoir un rictus de contentement. Suite à mon "enquête" sur Paul Chadourne, coup de fil de Pierre Belfond : "Je ne peux malheureusement pas vous aider, vous en savez plus que moi..." Merci d'avoir rappelé M. Belfond. Sourions un peu avec ce mail reçu suite à mon post sur Alain Jouffroy. Son auteur est un chroniqueur mondain érudit interlope qui écume les nuits parisiennes. Ses propos n'engagent que lui.

"Of course sir, si vous voulez rencontrer Alain J (qui n'a pas connu le méchant JR anyway et il déteste parler des autres gens plus connus que lui, sinon son esquisse en murmure de chuchotement, comprenne qui pourrira ) avant de lui parler de JacK vaut mieux noter STANISLAS RODANSKI, et cette séance au Cyrano (?) ou Café Blanche (??) repaire alors notoire de revendeur de non couleur, où il s'est autoéjecté de la Bretonnerie, alors presque ambiante couac vacillante. Ce cher Alain la dernière fois que je l'ai rencontré - il va bien et était venu quand même cherché son Art Awards, car présidé par Guillaume Durand, rejeton des galeristes dont l'amitié blablabla transgresse le sperme les ovules et sa supposé detestation du Monde de l'art comptant pour rien - bref il manque d'Umour, ne lui parle surtout pas d'in mais d'externet et clean lui bien son ego à chaque révélation pour le relancer, sinon sans grand intérêt comme de moi même (ahah). N'oublie pas de ne pas citer mon nom, sinon ultime last but not least, qcar je lui ai avoué, lui aussitôt détourné avec sa compagne japonaise (pas eurasienne) "Je ne m'interesse plus à toute chose intellectuelle". Private but for real not joke. J'avais préféré son incontinence à la projection privée d'un film sur Erro (peintre pop commercial) auquel j'avais alors presque collaboré. I'm in the same old shit.

Burps !"

F..K

14.3.05

Un autre point de vue





"La mort est toujours soudaine, même si vous l'avez longtemps attendue." (Hubert Selby)

Suis passé chez Flammarion où la ravissante Violaine m'a remis le dernier roman (traduit par l'ami Claro, mais comment fait-il pour être si productif?) d'Hubert Selby Jr, mort le 26 avril 2004. Voici le synopsis du roman par Selby himself :
" C'est l'histoire d'un type très déprimé qui décide de se faire sauter la cervelle mais doit attendre cinq jours le flingue qu'il a commandé à cause d'un problème d'ordinateur. Du coup, il devient tellement furax contre le système que ses tendances suicidaires se changent en pulsions homicides. Il se met à tuer des gens et se sent tout de suite mieux!" Il est amusant de comparer la couverture du "Feu follet" (édition 1972) avec celle de "Wainting Period"...

Passé également à la librairie les Autodidactes pour acheter le "Dictionnaire du Dadaïsme" (éditions Jean-Claude Simoën, 1976) que Georges Hugnet avait commencé avant de mourir d'une crise cardiaque en 1974. Sa femme Myrtille a terminé la rédaction de cet ouvrage de référence qui contient de nombreuses informations et illustrations. La notice consacrée à J.R. est courte et efficace, mais, comme l'écrit son auteur, rien de plus à dire, mais rien de moins non plus. Croisé à la bibliothèque Doucet Jean-Pierre Baril plongé dans les archives Calet. Petite victoire du jour : ai retrouvé la trace de la secrétaire personnelle de Paul Chadourne, second rôle du mouvement Dada, mais qui, au début des années 20, avec Drieu, ne quittait pas Rigaut. Un trio inséparable qu'on avait surnommé : les trois mousquetaires.

13.3.05

Collector




Ai acheté l'un des 308 exemplaires de "Papiers Posthumes" publié Au Sans Pareil en 1934. Vendu 400 euros chez un libraire parisien, je l'ai négocié à 250 avec l'échange d'une édition originale de Bove. Les papiers de Jacques Rigaut, écrit le préfacier et ami Raoul de Roussy de Sales, représentent à peu près tout ce qu'il a été possible d'extraire d'une liasse de manuscrits qu'il a laissés après sa mort.

12.3.05

Dans le texte

En mars 1921, J.R. publie son "roman" dans la revue "Littérature". Pour une lecture plus confortable, cliquez sur les documents.




11.3.05

Portrait tiré



Cette couverture minimaliste et sans ambiguïté est celle de la traduction allemande de 1983 des "Ecrits" de Rigaut publiés chez Gallimard en 1970 (édition toujours disponible). Ce portrait de J.R. a été pris probablement à New York à un stand de tir dans une fête foraine. Quelques années plus tard, J.R. retournera l'arme contre lui.

9.3.05

Back in town




"Peut-être reviendrai-je un jour avec une surprise très blonde (et malheur à ceux qui en feront assez ou trop) ? sinon la valise vide." (Lettre de J.R. à Colette Clément)

"Aucune surprise blonde ou brune, Rigaut, fin novembre 1928, rentre seul à Paris. On ne peut s'empêcher de songer au film de Man Ray tourné deux ans auparavant. On y voit Rigaut qui descend d'un taxi avec une petite valise à la main, image d'un homme qui retrouve son foyer après un long voyage. Dans la réalité, personne n'attend Rigaut, qui d'ailleurs s'en contrefiche. Le lendemain soir de son arrivée, il rejoint dans une chambre d'hôtel, l'écrivain Pierre de Massot, pour y fumer de l'opium jusqu'à l'aube. Pour lui, Paris est encore une fête, même si elle a le goût amer de l'héroïne." (Rigaut l'excentré magnifique, La Nouvelle Revue Française, octobre 2004, JLB)

Remerciements à Eric Stetten qui
m'a envoyé le photogramme extrait
du film "Emak Bakia"
(Droit Réservé
Man Ray Trust)

8.3.05

"Il semble que le feu ait pris aux poudres..."








Alain Jouffroy est un survivant. Né en 1928, il n'a pas connu Dada mais il raconte dans un très beau livre "La vie réinventée" (réédité en mars 2004 au éditions du Rocher)l'explosion des années 20 à Paris. Je l'avais appelé pour l'interroger à propos des faits qu'il rapporte dans son ouvrage. Jouffroy a été un membre du Surréalisme dont il a été exclu par Breton. Cette après-midi, je lisais sa préface du recueil des derniers (superbes!) poèmes de Jean-Pierre Duprey et j'ai pensé que je devrais aller prendre un verre avec lui comme il me l'avait proposé. Sortir un peu le nez des archives...le plus frustrant dans ce travail, c'est l'absence de témoins directs. Les chercheurs des années 60 avaient encore la chance de retrouver et de rencontrer les acteurs de l'époque. Les chercheurs d'aujourd'hui sollicitent les enfants ou les petits-enfants. Le témoignage est déjà moins précis, plus flou. Qu'en sera-t-il dans 50 ans? D'où l'importance de conserver, d'archiver, d'enregistrer, de filmer afin de sauvegarder cette mémoire qui s'étiole au fil du temps... Jouffroy a partagé pendant deux mois la chambre de l'asile où le poète Stanislas Rodanski a été enfermé volontaire pendant vingt-sept ans, il a également connu le sculpteur et poète Jean-Pierre Duprey et il est encore vivant pour nous les conter!

"Quand un poète se suicide, ce n'est pas qu'il « cède » au désespoir, mais qu'il l'assume, qu'il ajoute au poids de ses mots le poids de sa volonté, qu'il ratifie de son sang la véracité d'une expérience de l'impossible. Nul sentiment d'échec, mais l'affirmation véhémente d'un esprit tout-puissant, un coup de tête devenu coup de force, coup d'éclat. Roger Gilbert-Lecomte, René Daumal, Antonin Artaud, George Bataille sont morts ; Duprey s'est tué. Mais leur aventure permettra peut-être à quelques-uns de se libérer un jour, sans mourir, de cette mort qu'est la vraie vie absente." (Alain Jouffroy)

De l'autre côté de la glace



"ET MAINTENANT,
REFLECHISSEZ,
LES MIROIRS."
(Jacques Rigaut,
juillet 1924)

"Les miroirs feraient bien
de réfléchir un peu plus
avant de renvoyer les images."
(Jean Cocteau, 1930)

7.3.05

Rigaut, ravi...




Découverte des lettres (1919-1929) de Simone Breton à sa cousine Denise Lévy, publiées par les éditions Joëlle Losfeld (février 2005). Une édition établie par Georgiana Colvile. Magnifique portrait de Simone Kahn-Breton par Man Ray en couverture. Sylvie Sator (fille de Simone) m'avait appris l'existence de ces lettres dans les archives de sa mère que j'ai commencé à consulter l'été dernier. Je me précipite sur l'index des noms propres. Rigaut est cité sept fois. Le passage le plus important est une rencontre avec André Breton le 14 juillet 1920 où J.R. joue le rôle de témoin-chaperon pour Simone. Un rôle paradoxal quand on connaît les sentiments (une sorte d'amitié amoureuse) de Rigaut pour Simone Kahn avec laquelle il a correspondu entre 1916 et 1920. Extrait de la lettre de Simone à Denise du 31 juillet 1920 : " Rigaut, ravi sitôt qu'il est dans une aventure, qui me plaisantait et accentuait tout."

5.3.05

Dis Dada...



Germaine Everling, l'une des compagnes de Francis Picabia, raconte dans ses mémoires, que Tristan Tzara - qui a passé sa première année parisienne chez le couple - aimait à bercer leur nouveau-né Lorenzo dans ses bras et lui disait tout bas et inlassablement :
- Dada, mon petit...Dis Dada!...

Le nerf de la guerre

Un article du Monde m'a fait sourire jaune. Déjà le titre : "Ces poètes qui réussissent à vivre de leurs mots". Les poètes en question déclarent des revenus de smicard, "revenus annexes à l'écriture, notamment les ateliers". On n'en saura pas plus sur la teneur de ces revenus annexes, sinon que pour le journaliste du Monde "la meilleure des solutions est sans doute la résidence". Dans le titre, j'aurais remplacé le mot "vivre" par "survivre", car, pour qui connaît le coût de la vie à Paris (voire ailleurs...), comment peut-on "vivre" aujourd'hui avec l'équivalent d'un smic ? On survit, c'est tout. Je conseille aux donneurs de leçons de méditer cette citation de J.R. « Ce qui est bon pour vous, pour moi peut n'être pas mauvais. Je veux avoir tout ce que vous avez, je veux avoir tout ce que vous voulez avoir. Avant vous, s'il en reste ! »

On me pose souvent cette question (pertinente) : "Mais comment tu fais pour vivre?" Réaliser une biographie demande beaucoup de temps (entre 4 et 7 ans), d'argent (voyages, achat de documentation, photocopies, etc.) et d'énergie, surtout quand on choisit un auteur dont on ne sait rien ou presque. Pour la biographie de Bove, j'aurais pu ajouter à la longue liste des remerciement l' Assedic, grâce à laquelle j'alternais contrats et périodes de liberté indemnisée à la manière d'un intermittent du spectacle littéraire. Pour l'heure,comme beaucoup je me "débrouille" entre les très temporaires subsides glanés de-ci (bourses ministérielles), de-là (à-valoir) qui me permettent de me consacrer pleinement à mes recherches, mais pour combien de temps encore? Aux Etats-Unis, les éditeurs, paraît-il, salarient les biographes. En France, la plupart des biographes sont des universitaires qui transforment leur thèse en biographie, d'autres sont journalistes ou enseignants en congé sabbatique. Les autres sont des chercheurs indépendants, des navigateurs solitaires qui s'embarquent par passion sur un fragile et précaire navire pour une longue et dangereuse traversée vers une destination inconnue. Ils ne connaîtront pas de répit tant qu'ils ne seront pas arrivés à bon port. Vogue la galère!

Une vie romanesque



"De nouvelles générations se sont engouffrées dans la brèche pour nous proposer des travaux sur des personnages de plus en plus insignifiants, du négociant au savetier dont on espère que la vie serait exemplaire, d'une classe et présenterait un autre intérêt que celui d'une simple trajectoire personnelle. Las, une telle démarche renvoie l'auteur et, ce qui est plus grave, son lecteur à cette évidence : un roman en aurait dit bien plus long en pareil cas. Rien de surprenant qu'à ce petit jeu le lecteur ait déjà abandonné la partie... La crise est bien là, et comment s'étonner que, pour ces ouvrages ennuyeux ou mal faits, qui sont au mieux des nourritures de fastidieux colloques, on trouve de moins en moins de curieux et d'acheteurs...."
(Jacques De Saint-Victor, Le Figaro littéraire du 3/03/05)

Une biographie doit se lire comme un roman. Point barre.

3.3.05

Dada is not dead

Vu au département audiovisuel de la BN, un documentaire assez passionnant sur le mouvement Dada. Réalisé par Philippe Collin en 1971, ce film en deux parties (naissance, déclin et mort de Dada) est constitué essentiellement de témoignages des principaux acteurs du mouvement hormis ceux qui avaient déjà disparu ou refusé de parler comme Louis Aragon ou Max Ernst. Mettre enfin des visages sur des noms! Soupault (avenant et sympathique) est le fil conducteur du docu, Germaine Everling (très mamie du 16ème), Georges Ribemont-Dessaignes (délicieux petit pépé à l'oeil vif), le méconnu Pierre Deval (tendre et fragile), Jacques Baron (encore beau gosse et séducteur), René Hilsum qui, paraît-il, n'appréciait pas Rigaut (ça devait être réciproque...) et Georges Auric (dandy caustique et toujours Dada...). Cadeau pour vous ces deux extraits choisis en toute subjectivité. Des propos plus que jamais d'actualité. La situation d'aujourd'hui est on-ne-peut-plus parfaite pour l'émergence d'un mouvement similaire à Dada.

Jacques Baron : « Dada c'est un mouvement très fluide qui existe encore je crois, enfin qui est dans l'esprit de tout le monde, c'est l'esprit de l'humour, n'est-ce- pas, et il est d'autant plus virulent maintenant, que la situation sociale est en complète désagrégation, je crois que c'est le même esprit avec des composantes différentes qui anime les jeunes que ce qui nous animait à l'époque. »

Georges Auric : « je sais qu'actuellement pour beaucoup de très jeunes gens, Dada représente quelque chose de tout à fait actif, de tout à fait nouveau, de tout à fait ressuscité, ça représente certainement quelque chose qui correspond à des choses violentes et dont je comprends la nécessité, alors tant mieux, tant mieux car que je suis tout à fait, quoique vieillissant je me sens plus violent que jamais quand je pense à la médiocrité de qui m'entoure. »

1.3.05

L'éclatement par le Verbe




De retour à la Bibliothèque nationale de Tolbiac. La BN pour les intimes... De 9H à 20H dans ce caveau anxiogène mais source intarissable de richesses pour le chercheur. Dès l'arrivée, impossibilité d'entrer dans les lieux, le système de "résa" connaissant un "dysfonctionnement temporaire". Je décide de rester serein (qualité primordiale pour le chercheur) et en profite pour observer le flot des lecteurs piaffant d'impatience devant les tourniquets sans vie. Une jolie étudiante (petit bonheur visuel du chercheur dans cette architecture carcérale) s'évertue tout de même à réserver sa place en tapotant sur toutes les bornes de consultation, en vain... Une heure après, "l'incident d'accès" est clos. Reste à trouver une place de libre dans le secteur qui vous intéresse (Littérature et art, salles T,U, V,W). Ici la moindre erreur d'orientation vous condamne à d'interminables promenades sur les jolis tapis rouges qui longent les salles de lecture. Il faut être efficace : d'abord évaluer le nombre de documents que vous pourrez consulter dans votre journée, pas facile...trouver les cotes (prévoir de faire ce travail préliminaire chez soi on line, gain de temps...) puis passer la commande et patienter en feuilletant les livres en accès libre. Vient enfin le meilleur moment : la découverte des documents. Enfin la retranscription ou la photocopie (autorisée si les ouvrages peuvent résister à la pliure imposée). Journée productive sans incident notable, ai consulté environ 14 documents. En savourant mon sandwich à l'espace "prévu pour cet usage", ai noté à 12H05 l'arrivée incongrue de Philippe Sollers, accueilli sans tambours ni trompettes par une petite dame brune sur le tapis rouge. De nouveau à ma place (U 48), j'observe en face de moi une fille aux yeux fascinants, bleus transparents, semblables à ceux des chiens Huskies. Elle se cure consciencieusement le nez comme si elle était seule au monde. A ce moment-là, je me dis que les hommes pardonneront toujours tout à une femme belle. La grande faiblesse des hommes. Cette pensée m'incite à faire la liaison avec Gabriel Pomerand (auteur d'un émouvant texte sur la mort de J.R.) qui fut la joie de cette journée de laborieux travail : "Je lègue toutes mes danses dorénavant disponibles aux filles laides qui au cours des bals restent dans les coins et ne sont jamais invitées par personnes." (Le testament d'un acquitté, 1951). Je découvre donc l'archange Gabriel Pomerand (1926-1972) et m'interroge : pourquoi les meilleurs restent dans l'ombre quand les médiocres sont toujours visibles? je ne sais plus qui a dit que la nuit est plus propice aux éclats du diamant... Voici quelques extraits d'une conférence donnée par Gabriel Pomerand le 22 décembre 1941 lors d'une séance lettriste à laquelle Breton assista, ce dernier a dû croire au retour de Dada à Paris... : « Nous représentons l'unique force naturelle capable de dynamiter les vieilles pourritures conservées en bocaux, comme les serpents, sans queue ni tête. C'est pourquoi nous crions merde aux vieilles badernes. Le rôle de la jeunesse est de faire peur, et c'est sa justification. Elle arrive comme une épidémie dans la cité qui roupille. Nous allons emmerder votre tranquillité, votre lâcheté ; nous allons vous contraindre à lever les couilles drapeau du monde, ou à crever. Nous allons apprendre à vos enfants l'alphabet du meurtre, et c'est pour vous qu'ils nous écouteront ; c'est pour casser vos sales gueules réjouies qu'ils catapulteront leur secret. Aragon et les profs qui, tour à tour, chient sur les drapeaux et parlent de la France. Tout ça pour finir académiciens. Tout ça, à la fin, n'est pas sérieux. Mais le sérieux, qu'est-ce que c'est ? Les Breton, les Aragon, le Malraux. Je sais ce qu'ils ont dans la tête ; mais je ne sais pas ce qu'ils ont dans le ventre. Je veux un retour au cri, pour que l'homme éclate. Parce que l'éclatement se fait par le Verbe ! C'est pas moi qui l'ai dit, c'est le Prophète.»

Pomerand s'est suicidé au début de l'été 1972. Notre très molle époque manque d'archanges et de dadas. Bientôt?