8.6.13

DEADLINE




"Seuls ceux qui vont mourir savent toucher un homme s’il est vivant." (Jacques Rigaut) 

"Je rentre à l’instant de l’hôpital et, pour la première fois depuis ces dernières heures, je suis seul avec moi-même. J’alterne entre euphorie et désespoir. Je me sens comme saoul, assommé.

Moi qui croisait les doigts pour ne pas devoir me faire opérer, pour ne pas devoir subir un long et lourd traitement, je suis en partie exaucé. Le verdict est tombé : il n’y a rien à faire. Il me reste approximativement trente jours à vivre.

J’ai 58 ans et je n’en aurai jamais 59. Je mourrai en 2013.

Sur le trajet du retour, mon fils m’a donné l’idée de faire un blog, de me forcer à écrire mes impressions pour chacun des derniers jours de ma vie. Afin de les conscientiser, de les vivre intensément, de laisser un souvenir. Et de ne pas me réveiller un matin en me disant « plus qu’une semaine », « plus que deux jours », « plus rien ».

Le nom de ce blog est, bien entendu, inspiré du chef-d’œuvre de Victor Hugo qui marqua mon adolescence. Mais il ne s’agit plus d’un pamphlet politique. Des grandes espérances, de ma juvénile ambition de changer le monde il ne reste que trente petits jours.

Je ne souhaite pas entrer dans les détails concernant la maladie. Je ne souhaite pas entrer dans les particularismes de ma vie. Et parce que le temps m’est compté, il n’y aura pas de commentaires, pas d’adresse de contact. Du moins, de mon vivant.

Je m’excuse également par avance auprès d’éventuels lecteurs pour les fautes de frappe qui jalonneront certainement ces billets. Je n’ai jamais été très attentif à l’orthographe. J’avoue que c’est à présent le cadet de mes soucis.

Je me sens désœuvré. J’ai tant à faire avant l’échéance fatidique que je ne sais par quel bout commencer. Les idées se bousculent dans ma tête, les cris, les pleurs, les sentiments. Je suis spolié, victime d’une profonde injustice. Mais en même temps déjà résigné. Au moins ce blog me donne un moyen d’action.

Je sens poindre en moi la motivation pour faire des millions de choses. Des petites bulles d’enthousiasme qui gonflent puis éclatent, me laissant l’amère sensation que tout cela est vain, qu’on verra bien demain.

Hier encore, j’avais toute la vie devant moi. Trente ou quarante années, au bas mot. Aujourd’hui trente jours. Je pense que je ne réalise pas encore. Je dois être sous le choc.

Bon, je pense que mon fils doit avoir créé et configuré le blog. Il m’a même créé un compte Twitter. Je vais pouvoir poster ce premier billet.


À demain…" La suite ICI 

2.6.13

Jap Gambardella le magnifique



La grande injustice du dernier festival de Cannes s'appelle "La Grande Bellezza" (La Grande Beauté en VF), le dernier film de Paolo Sorrentino aurait mérité la Palme d'Or qui a été attribuée à un réalisateur dont le démagogue discours de remerciements a déclenché, à juste titre, une vive polémique. On conseillera donc aux lecteurs et lectrices du blog Rigaut de se précipiter dans les salles obscures pour déguster le magnifique film de Sorrentino. Le vrai Gatsby est italien, il s'appelle Jap Gambardella aka l'excellent comédien Toni Servillo. Ecrivain sexagénaire presque sans oeuvre, Jap Gambardella dérive avec élégance dans une Rome sublime et mortifère, méditant sur la vacuité de son existence. Pour tromper son ennui, il organise sur sa terrasse d'incroyables fêtes où le Tout-Rome vient s'étourdir dans une sorte de transe collective alimentée par les drogues et l'alcool qui coule à flots. Le jour se lève, ça m'apprendra, semble dire la moue de l'écrivain désabusé mais juste. Il y a du Jacques Rigaut chez Jap Gambardella. Quand il fait une confidence au spectateur : "J'étais destiné à la sensibilité." Rigaut a écrit lui-même : "Le Désir a été la sensibilité de mon enfance." Quand Jap croise une mondaine et qu'il lui demande son métier, la belle lui répond : "Je suis riche". "Un très beau métier", conclut-il.