6.4.08

Emmanuel & Jacques







En 1994, j'avais demandé à Peter Handke s'il voulait bien préfacer la biographie d'Emmanuel Bove. Il avait accepté au dernier moment, quelques jours avant que le livre ne parte chez l'imprimeur, en m'envoyant une longue lettre écrite sur le vif, après la lecture du tapuscrit que je lui avais envoyé. Quand je doute, je relis cette préface. Handke est resté fidèle à Bove comme on peut le lire dans le dernier supplément Livres de Libération dont les pages littéraires, dirait-on, s'améliorent...


«Le premier que j’ai traduit est Emmanuel Bove, il y a trente ans. Je revenais d’Alaska, j’avais fini Lent Retour, je retournais en Autriche et je ne pouvais plus écrire. C’était une pause d’angoisse. Je trouve scandaleux d’écrire, je ne comprends pas que ce ne soit pas un problème. C’est un sacrilège et, parfois, je suis un criminel heureux. Je ne pouvais plus écrire, mais je ne voulais pas abandonner les mots, leur rythme, la chaleur qui est à leur place, et, en Autriche, j’avais besoin de lire dans une langue étrangère. J’ai commencé par lire mot à mot les présocratiques. Puis Luc Bondy m’a fait découvrir Emmanuel Bove. Le traduire était un vrai match de foot : Emmanuel Bove était le joueur principal et moi je l’aidais à jouer dans l’autre camp, en langue allemande. Le premier texte était Bécon-les-Bruyères. Il décrit les alentours de la gare, simplement cette gare de banlieue, et c’est incroyable. On n’a vraiment pas besoin de Gabriel Garcia Marquez (1) ! De lui, j’ai également traduit Mes amis et Armand."

(1) De Gabriel Garcia Marquez, évoquant les dictateurs et même les dirigeants de l’Otan que le Colombien a imaginés ou décrits, Peter Handke dit : «Dans chacun de ses livres, le protagoniste est soit un homme puissant, soit un puissant déchu - et lui, l’écrivain, y est toujours plus ou moins lié, il veut être avec les puissants. […] Que cet écrivain, qui est un bon écrivain, fasse de pareils crétins les héros d’une histoire, pour moi c’est tout simplement un sacrilège.»
Philippe Lançon

Source : Libération du jeudi 3 avril 2008