3.5.11

Ma main amie


Samuel Beckett à l’enterrement de Roger Blin,
le 27 janvier 1984,
par Bernard Morlino.

"Toute la racaille moderne n’est qu’une poignée de mondains de la déchéance, surtout son chef de fil qu’on a pris le pif poudré sur un capot de bagnole. Ce gringalet n’est rien à côté de Jacques Rigaut qui se shootait à travers son costume.
Je ne fais pas l’apologie de la défonce. J’ai simplement horreur de la fausse souffrance. Ma vie se confond avec la littérature depuis au moins 50 ans. Vers 8 ans, j’ai pris conscience de la mort quand mon cousin m’a dit : « Tu sais, ma mère va mourir. Et la tienne aussi. » Auparavant, je n’y avais jamais pensé. Il m’a dit ça quand on a aperçu au loin sa mère. C’était juste avant midi. Je m’en souviens car après il est parti mangé, me laissant seul avec mes jonglages. Nous jouions au foot, ou plus exactement au ballon. Lui et moi, on y jouait dès que nous sortions de l’école. Le football ne m’a jamais quitté. Nos mères, oui.
J’ai ce flash au moment où je suis en train de lire Lord Patchogue, soit quelques heures après la découverte du corps de Marie-France Pisier dans la piscine de sa résidence. Savez-vous ce que raconte le livre de Jacques Rigaut (1898-1929) ? Il s’agit de quelques pages sauvées du néant qui racontent l’histoire d’un homme qui se jette dans un miroir pour tenter de le traverser. Ce Lord Patchogue c’est le double de Jacques Rigaut. Est-ce que la comédienne a elle aussi voulu voir ce qu’il y a de l’autre côté ? Une piscine est un miroir mouvant. A-t-elle lu ce texte ? Je ne pense pas. Et c’est bien dommage. Ce récit est inachevé. (La vie de Marie-France Pisier aussi malgré les apparences.) On ne pouvait plus le trouver en librairie depuis 1930 et 1970, les deux seules fois où il était à la portée des lecteurs. Grand merci aux éditions du Chemin de fer de remettre dans le circuit ce texte dans une remarquable présentation.
Lisons cet ouvrage, avant de lire la biographie de Rigaut par Jean-Luc Bitton qui sera un météore dans le monde de l’édition tant on l’attend avec impatience tout en souhaitant retarder le plus longtemps sa parution. Bitton est comme François Weyergans. Il n’aime pas rendre ses manuscrits.

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