24.11.08

Mort d'un biographe




François Caradec, né à Quimper en 1924, disait de sa jeunesse: «Je suis d'une génération difficile, celle qui a eu 16 ans en 1940 et 20 ans en 1944. J'ai passé ma jeunesse sous l'Occupation. J'ai été obligé d'abandonner mes études à un moment où on se faisait rafler trop facilement, je suis devenu typographe» («Le Matricule des anges», n° 20). A la Libération, il reprend ce métier et fréquente la librairie de Maurice Saillet, l'associé d'Adrienne Monnier. C'est là qu'il rencontre Queneau, Leiris, Nadeau...Il travaille ensuite pour plusieurs maisons d'édition, dirigeant la collection «Classiques du rire», chez Garnier, collaborant aux «Guides noirs», édités par Tchou. Il est le biographe passionné et érudit de Lautréamont, Raymond Roussel, Alfred Jarry ou Willy. Mais son maître, c'est Alphonse Allais, dont il disait, dans la même interview: «Alphonse Allais est un très grand écrivain et l'on refuse de s'en apercevoir parce qu'il est humoriste.» En revanche, Colette ne trouve pas grâce à ses yeux. Expliquant qu'il a dû lire toute son œuvre pour sa bio de Willy, il se plaint: «Ça me tombe des bras! Son style, c'est du sirop de groseille, sirop d'orgeat avec des girandoles et des astragales. C'est ce qu'il y a de pire dans le déchet du symbolisme. De la mauvaise littérature» (id.). On le voit, Caradec avait aussi la dent dure.

Grand amateur de pastiches et de canulars, il était membre de l'Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle, dont ont fait partie Queneau et Perec) et du Collège de Pataphysique, dont il fut l'un des Régents: Régent Toponome et Celtipète pour ses recherches sur Jarry et la Bretagne et même Régent d'Alcoolisme éthique. Comme tous les membres de la prestigieuse assemblée, Caradec avait fait sienne la devise: «Le vrai pataphysicien ne doit pas se prendre soi-même au sérieux. [La pataphysique] le met ainsi à l'abri d'une tentation à laquelle cèdent tant, hélas, de ses contemporains!»

En dehors des biographies, il a aussi publié un «Dictionnaire du français argotique» et populaire; une histoire du café-concert; un ouvrage sur les bistrots qu'il a beaucoup fréquentés («La Compagnie des zinc»).

Son premier - et dernier - roman est un polar, qui vient de paraître chez Fayard Noir. «Le Doigt coupé de la rue du Bison» - peut-être en souvenir de Gaston Leroux et du «pied gauche de la rue Oberkampf», mais aussi en hommage à Boris Vian, dont l'anagramme du nom était Bison ravi - est une plongée dans le Paris des années 1950. Le commissaire Pauquet - «Avec Pauquet, in the pocket!» - enquête sur la disparition partielle d'un individu de sexe féminin. Les personnages y sont souvent accoudés au zinc; on croise Léautaud bouquinant au jardin du Luxembourg; et Pierre, l'un des protagonistes, fouinant au cimetière Montparnasse, découvre dans un caveau humide le cartouche suivant: «La mort seule guérit de la vie». François Caradec est guéri.

Sylvie Prioul