10.1.08

Des nouvelles de Daniel (3)





Extrait de l'entretien de Daniel Darc avec Christophe Honoré.
Magic Revue Pop Moderne N° 116 janvier 2008





L'ex-chanteur de Taxi Girl n'en finit pas de ressusciter : son nouvel album, une merveille, en témoigne. Rencontre avec le plus classique des rockeurs.

C'est un survivant. Personne ne comprend par quel miracle il est encore là. Des proches affirment que la mort le fuit : il a survécu à tout. Overdoses, ouvertures des veines en direct sur la scène du Palace dès l'époque Taxi Girl, pancréas en loque, misère, vie dans la rue, clochardisation. Son corps, hier à la Noureïev, est désormais cassé en mille morceaux. Le regard est à moitié mort, la silhouette, celle d'un vieillard.

Daniel Darc n'est pas « staracadémique ». Il ferait une bonne pub pour les Narcotiques et (ou) les Alcooliques anonymes. Mais, « dans l'obscurité de ses jours », comme il le dit lui-même, cet homme-là concocte une musique sans équivalent. Des textes d'une perfection humiliante pour tous les auteurs français. Des textes dont la puissance évocatrice est décuplée par la musique idéale d'un Fréderic Lo, déjà coauteur de Crèvecoeur (2004), premier chef-d'oeuvre d'un homme ayant accouché jusque-là d'albums réalisés à la va-vite dans l'unique but d'empocher l'argent nécessaire à l'entretien de ses vices.

Les deux hommes ont réédité l'exploit avec Amours suprêmes, nouveau chef-d'oeuvre inespéré. Les deux albums auraient été conçus afin de « pouvoir enfin entendre quelque chose de digne à la radio, et non pas la nouvelle chanson française », explique Daniel Darc. D'où un immense effort de concentration. « C'est vrai que ces deux albums sont concis, pensés, pas bâclés. Les deux sont composés de 10 morceaux. J'aime les oeuvres qui laissent chacun sur sa faim. C'est pour ça que mes deux auteurs français préférés sont Jacques Rigaud [sic]et Roger-Gilbert Lecomte. On les lit et on se dit : "Pourquoi n'ont-ils écrit que ça ?" C'est ainsi que je conçois les choses. Pas de détails superflus, il faut aller à l'essentiel, comme le faisaient Selby et Bukowski, pour moi les plus grands. »

C'est que Daniel Darc n'est pas le rockeur basique à peine capable, généralement, de citer son petit manuel du Che, Kerouac ou Burroughs. Tout le monde connaît sa vénération pour Drieu (« C'était un salaud, mais enfin pas tant que ça, puisqu'il s'est suicidé ! »), mais moins son amour de Céline et de Benjamin Constant ou de Charles Péguy. « Péguy est mon préféré avec Verlaine. C'est ainsi : je préfère Verlaine à Rimbaud et Tzara à Breton, qui ne m'intéresse pas du tout. »

De même ne soupçonne-t-on pas sa passion du jazz et de la musique classique. « Le rock, c'est trop étroit, il faut voir plus loin. J'aime les compositeurs russes et slaves, Rachmaninov, Lutoslawski, Rimski-Korsakov, Penderecki, mais aussi Mahler, Fauré et Satie. J'aime aussi le jazz, qui fait partie de ma vie depuis si longtemps : John Coltrane (auquel Amours suprêmes fait directement allusion, ndlr), Albert Ayler, Charlie Parker, Don Cherry, Mal Waldron. Ce sont des géants. Mais je pourrais tout aussi bien parler de la country, que j'adore, et dont je suis en train de revenir un peu après l'overdose Johnny Cash de ces derniers mois, même si je le vénère, bien sûr.»

Et puis, il y a le Daniel Darc mystique, que les gens connaissent encore moins, même s'ils ont sans doute vibré en écoutant son adaptation du Psaume 23 sur son précédent album : « Je suis juif à l'origine, enfin à moitié, et je me suis récemment converti au protestantisme. Ça a été quelque chose d'incroyable, et ça l'est toujours, parce que, pour moi, le baptême, c'est chaque jour, chaque seconde. » A celui-là, on demande pourquoi il se détruit autant, aussi méticuleusement, depuis tant d'années, avec l'alcool et l'héroïne. La réponse ne tarde pas : « On me dit que j'ai des problèmes de drogue et d'alcool. J'affirme que j'ai des solutions de drogue et d'alcool. Sans ces solutions, je serais mort. La vie est trop dure pour moi, parfois. » Pourtant, depuis le succès de Crèvecoeur, les choses doivent aller mieux ? « Non. L'argent n'est pas une réponse. D'ailleurs, une fois que j'ai eu remboursé mes dettes, il ne restait plus grand-chose ! Là, je vais en avoir un peu et j'ai envie de me faire plaisir, de m'acheter une guitare et d'aller vivre à l'hôtel, parce que je n'en peux plus du taudis dans lequel j'habite. Et puis, je me dis que, pour mon prochain album, je ferais bien un exercice, à la manière de Perec avec La Disparition : un album entièrement composé de sonnets ! C'est très dur, mais ça me tente beaucoup. » Nicolas Ungemuth dans le Figaro 18/01/2008