5.3.08

La traversée du miroir




"[...] J'ai connu autre fois un homme d'une fort médiocre beauté mais équipé d'une sensibilité si aiguë et doué d'une vélocité d'esprit tellement excessive qu'il n'avait jamais pu trouver deux fois de suite son visage sans le même miroir- il suffisait qu'il abaissât, dans un clin d'œil la paupière- il avait devant lui une autre image.

Il me dit- vous comprendrez, j'en suis sûr, que je ne me connais absolument pas moi-même. Et comme je ne connais pas davantage les autres, qui changent sous mes yeux aussi vite que ma propre image dans la glace, je commence à croire qu'il n'y a jamais eu au monde, ni personne, et à me demander ce qu'il y aurait de changer pour moi et pour les autres si nous nous décidions à anticiper sur cette fin du monde en dégradé, et dégradante, en effet, qui livre, avec tant d'indifférence l'homme aux caprices du temps

Et les hommes -détachés de l’humanité par la mort comme les grains de sable des rochers par le flot tout aussi inlassable- s’en vont un à un fournir la matière anonyme des vastes étendues de l’éternel oubli. [...]"

Pierre Reverdy in La liberté des Mers p:42-43.